The Saxophones

Eternity Bay

Sortie le 6 mars 2020

Full Time Hobby

« C’est si facile de ne pas bouger ; et c’est un miracle si de temps en temps la moindre petite chose change. » Voilà une affirmation étonnante de la part de quelqu’un qui a non seulement sorti un second album, mais qui a également eu un second enfant. Mais le changement, le mouvement sont naturels chez The Saxophones : c’est un groupe qui a écrit son premier album à bord d’un bateau, et qui a appelé son deuxième album Eternity Bay, fusionnant un lieu avec une notion spirituelle du temps.

 

En revanche le nom du groupe était au début une sorte de blague autour du projet de composition d’Alexi Erenkov, à l’époque étudiant en jazz désabusé qui venait de lâcher son instrument. Le jazz ne lui offrait pas la latitude nécessaire pour s’exprimer. Il s’est donc tourné vers la composition, qui lui a permis de se libérer des arrangements musicaux complexes qu’il avait étudiés au cours de sa formation.

 

Le projet solo s’est transformé en groupe lorsque la femme d’Alexi, Alison, l’a rejoint à la batterie. Leur premier album, Songs of The Saxophones, est né juste avant leur premier enfant en 2018. Ecrit à bord du bateau sur lequel ils vivaient, sous la pluie incessante de l’hiver nord-californien, l’album a établi d’entrée le style de The Saxophones. S’inspirant de l’exotica des années 1950, du jazz de la côte ouest et du lyrisme italien des années 1970, le théâtre s’infiltre dans leur son en apparence simple, transformant une surf pop langoureuse en pièces délicatement texturées, avec beaucoup d’espace en leur centre.

 

Là où Songs of The Saxophones s’intéressait aux relations, les interrogations d’Eternity Bay couvrent un champ bien plus large, comme l’évoque le nom du disque. Alexi explique : « Ma musique a toujours été aux prises avec la mortalité, le sens de l’existence. Et la naissance de notre fils et l’arrivée imminente de notre deuxième enfant m’ont rendu encore plus sensible à ces thèmes. »

 

Eternity Bay a commencé à prendre forme juste après la naissance de leur premier fils, qui a bouleversé la routine d’écriture d’Alexi. Mais malgré ce changement strict de planning, Alexi a vite remarqué que le fait d’écrire tard la nuit ou tôt le matin conférait un nouveau souffle à ses chansons. « Je me suis laissé aller à la nouveauté, se débarrasser de tout, bon ou mauvais. Toujours recommencer. Je me suis dit que peut-être cette fois j’écrirais la chanson qui terminerait toutes les autres. »

 

Travailler à ces heures indues de la journée a peut-être poussé Alexi à s’intéresser à la musique qui sait nous emmener ailleurs. « Cet album a été influencé par un large éventail de musiques, mais le fil conducteur semble suivre une atmosphère très forte. J’adore la musique qui nous emmène loin, comme Jonathan Richman qui nous donne l’impression de parcourir les rues de Boston dans “I Love Hot Nights”, ou Arthur Lyman qui nous transporte dans un hall d’hôtel hawaïen des années 1950. »

 

Enregistré et produit par Cameron Spies, mixé par Noah Georgeson, la méthode d’enregistrement analogique a rejoint le minimalisme que le groupe affectionne. Le travail méticuleux de Noah a su cristalliser le son de The Saxophones et y puiser une nouvelle énergie, sans pour autant perdre le feeling peaufiné depuis le début. Le décor d’Eternity Bay est plutôt ordinaire : un trailer park et son bar de quartier, The Lamplighter. A peine a-t-on descendu son verre qu’on médite sur l’expérience humaine dans sa totalité : la parentalité, le travail, la foi, les rêves, l’incertitude, la peur.

 

Côté musique, Eternity Bay est également plutôt simple, mais l’influence du jazz n’est jamais loin, ses subtilités prêtant une gravité toute particulière aux morceaux. C’est un album empli de bois, de guitare et de chant. La voix d’Alexi demeure à la lisière de la fragilité, une limite attirante qui définit la majeure partie des thèmes de l’album : la frontière entre la vie qui fleurit puis se fane, entre l’espoir et la futilité, le stress et la calme dérive de la vie quotidienne, le confort et le changement. Mais malgré cette mélancolie présente depuis le premier album, Alexi souligne : « Il y a de l’entrain dans cet album. » Il n’a pas tort. Outre leur dimension existentielle, on peut établir une connexion avec ces chansons, dodeliner de la tête en les écoutant.

 

The Saxophones a multiplié ses membres par deux avec l’arrivée du second enfant d’Alexi et Alison. Si l’on voit les choses ainsi, alors le changement est effectivement un miracle. « Nous sommes tous seuls, mais nous sommes seuls ensemble », dit Alexi. Et si Eternity Bay était un mantra, ce serait peut-être celui-là. Affrontant les aspects les plus rudes de l’existence, en façonnant un monde de musique qui nourrit et donne de la force, Eternity Bay renforce le lien avec ceux qui l’écoutent, établissant une connexion plus profonde avec ce que signifie être vivant.