Squirrel Flower

Planet (i)

Sortie le 22 juin 2021

Full Time Hobby / Pias

Le bouleversant Planet (i) de Squirrel Flower, qui fait suite à I Was Born Swimming, son premier album sorti en 2020, est une singulière planète en effet, un monde tout entier conçu par l’artiste Ella Williams. Au départ le titre lui est venu comme une plaisanterie : c’est le nom qu’elle a donné à la nouvelle planète que nous finirons par coloniser et par détruire après la Terre, et qui caractérise également l’univers imaginé dans sa musique. « Planet (i), c’est mon corps et mon esprit, dit Williams, et c’est le monde physique et sensible de notre planète. C’est les deux. » Porté par son inébranlable vision et propulsé par sa voix de comète incandescente, le disque est une lettre d’amour au désastre sous toutes les formes imaginables. Tornades, inondations, trous de balle qui nous enfument, voitures en flammes, – ces chansons sont à l’unisson parfait d’une planète en ruine. Alors que Williams passe de la mélancolie à la jubilation et à une totale dévastation émotionnelle au long des douze chansons de l’album, elle se forge un avenir pour elle-même et pour ceux qu’elle aime. Planet (i), qui sort le 25 juin 2021 chez Full Time Hobby, est tout à la fois un refuge, un acte d’auto-guérison et un reflet musical des mondes intérieur et extérieur de Squirrel Flower.

Williams a écrit la plupart des chansons de Planet (i) avant la pandémie de Covid-19, mais la catastrophe y occupe une place majeure. Sujette aux traumatismes crâniens en raison des nombreux sports qu’elle a pratiqués dans sa jeunesse, Williams a subi trois commotions cérébrales entre 2019 et 2020, – deux dans le café où elle travaillait dans son Etat natal du Massachusetts, et une troisième, assez ironiquement, en embrassant quelqu’un dans un grenier mansardé. En plein milieu du chaos des tours dans le monde entier durant son propre processus de guérison, elle a commencé à tisser des fils entre sa propre sensibilité physique à l’effondrement et cette peur qui l’habite depuis toute petite face au déchaînement des éléments : la peur d’être emportée par une tempête, une inondation, ou au plus profond de l’océan. « Pour surmonter ma peur des catastrophes, explique Williams, il me fallait les incarner, les soumettre du regard. » Ce voyage de déclin en guérison est la pierre angulaire de Planet (i). « I’m not scared of the storm » (« Je n’ai pas peur de la tempête »), insiste-t-elle sur « Desert Wildflowers ». « I’ll be lying on the roof when tornado turns. » (« Je serai allongée sur le toit lorsque viendra la tornade. »)

Lors du premier confinement, Williams, connue pour ses concerts magnétiques, a commencé à produire des démos dans sa chambre, rassemblant une collection de plus de 30 enregistrements. « J’écris constamment, dit-elle, mais du fait de la pandémie et des allocations chômage que j’ai touchées, j’ai pu passer chaque jour à enregistrer ce qui est devenu le squelette de cet album. » Eprouvant une sensation de synchronicité artistique lors de ses échanges téléphoniques avec le producteur Ali Chant (PJ Harvey, Perfume Genius), et avec des anticorps tout neufs face au Covid, Williams s’est envolée vers le Royaume-Uni à l’automne 2020, pour Bristol, afin d’y enregistrer Planet (i) au Playpen, le studio de Chant. « Nous partagions le même langage créatif, se souvient-elle, et le processus d’enregistrement était le même que pour mes démos, c’était de la sculpture. Au lieu d’enregistrer en direct avec un groupe complet, nous avons construit cet enregistrement couche par couche, en expérimentant, en prenant des risques. » A Bristol, Williams a consacré son temps à l’exploration, à la fois au studio et à l’extérieur. Alors qu’elle parcourait la ville dans cette gadoue des jardins qu’elle aime tant, chaussée des mêmes bottes qui figurent sur la pochette de l’album de Planet (i), Squirrel Flower a découvert une nouvelle alchimie créative.

Alors que Williams et Chant se chargeaient de la plupart des instruments du disque, le batteur de Bristol Matt Brown et Adrian Utley de Portishead ont également rejoint leurs sessions. « Adrian a apporté des textures époustouflantes aux arrangements, raconte Williams. J’ai été stupéfaite de le regarder jouer de la guitare avec une paire de pinces. » Et quand son producteur a suggéré l’idée d’un chœur, c’est avec enthousiasme que Williams, seule au chant jusqu’à présent sur ses chansons, a invité ses amis et sa famille à la rejoindre à distance. Autour de Squirrel Flower c’est un ballet de contributions : Jess Shoman (Tenci), Tomberlin, Katy J. Pearson, Jemima Coulter, Brooke Bentham, ainsi que ses frères, Nate et Jameson Williams, et son père, Jesse.

Les chansons de Planet (i) sont pour Squirrel Flower des outils de connexion : avec les personnes de sa vie, ses collaborateurs, son public et ses ancêtres, – une lignée d’artistes dont l’âme continue d’influencer son travail. En son cœur, ce disque insiste sur la connexion et la résilience après la catastrophe. Williams traite ses chansons comme des voitures qu’on chérit, des véhicules cabossés au moteur près à exploser. Ces chansons dévalent une autoroute ravagée par des tempêtes de feu et des déluges éclair, chaque conducteur étant à la recherche d’un lien humain, aussi ténu soit-il, aussi douloureux soit-il. Dans cette recherche de communion, Squirrel Flower chante avec la lucidité d’une artiste qui a non seulement découvert avec précision la puissance de sa voix, mais aussi toutes les formes déchirantes qu’elle peut prendre.

Sur « Hurt A Fly », le premier single explosif, Williams est une présence volatile et impitoyable. Elle incarne le rôle d’un amant manipulateur, passant ainsi de la culpabilité à la douleur puis à la fureur, soutenue par des guitares vrombissantes et frénétiques. « I’ll Go Running » s’ouvre sur un frémissement obsédant, Williams projetant sa voix sur des guitares languissantes, passant d’une résistance silencieuse à une rébellion affective à la fin de la chanson : « I’ll be newer than before / I’ll be something that you’ve never seen. » (« Je serai plus neuve qu’avant / Je serai quelque chose que tu n’as jamais vu. ») C’est le mantra d’une artiste en mutation, obsédée par le mouvement et le changement, mais déterminée à bouger et à changer selon ses conditions à elle. Sur « Flames and Flat Tyres », le troisième single, Williams épouse le mouvement en une lumineuse vague sonore, comparant son corps à une voiture en feu lors d’une balade à 4 heures du matin, la ville s’écroulant derrière elle.

Planet (i) est la proposition artistique brillante et sans compromis d’une artiste confiante dans ses moyens d’auto-guérison et de croissance. Peu importe à quoi ressemble la catastrophe qui l’attend ou qui l’habite, et peu importe la façon dont elle y fait face, Squirrel Flower sera toujours un monde à part entière, une comète en flammes dévalant la route les pneus explosés. A mesure qu’on approche doucement de la fin du disque et qu’on dépasse le chagrin d’amour de « Iowa 146 », les crues de « Deluge in the South » et la furie de tornade de « Pass » jusqu’au point culminant et à l’acceptation tranquilles de « Starshine », Squirrel Flower nous laisse affronter le désastre, l’espoir au creux de la main :

Don’t let it pass.

Don’t let it wither.

(Ne le laisse pas passer.

Ne le laisse pas s’éteindre.)