Beth Orton

Weather Alive

Sortie le 23 septembre 2022

Partisan Records

« C’est en écrivant ces chansons et en élaborant cette musique que j’ai retrouvé le chemin du monde extérieur, – un chemin d’accès à la nature et aux personnes que j’aime et auxquelles je tiens. Ce disque est une exploration sensorielle à l’origine de l’éveil que je recherchais. Grâce au son et à un vieux piano déglingué que j’ai acheté sur le marché de Camden alors que je vivais dans une ville où je n’avais absolument pas l’intention de rester, j’ai trouvé la sérénité et un moyen de guérir. »

 

Nombre de musiciens se replient sur eux-mêmes lorsque le monde extérieur leur semble chaotique et manquer de fiabilité. Recadrer la perception qu’on a de soi révèle souvent de nouvelles vérités personnelles, aussi malaisantes que profondes. Ces dernières années, la musique a refait surface comme une force d’ancrage dans la vie de Beth Orton, y compris lorsque son existence semblait plus tumultueuse que jamais. Les fondations de son nouvel album, Weather Alive, sont sa voix et un piano droit « à deux balles tout pourri » installé dans une cabane dans son jardin. On y baigne dans une atmosphère de méditation profonde qui se poursuit longtemps après que la dernière note s’est évaporée.

 

« On me connaît pour mes collaborations, je suis très douée pour ça. C’est quelque chose à quoi je suis vraiment ouverte.», confie l’artiste. Beth Orton s’est fait connaître dans les années 90 pour ses collaborations avec William Orbit, Red Snapper et The Chemical Brothers, avant de se lancer dans une série d’albums solo à succès. « Ce qui s’est passé avec ce disque je pense, c’est que comme j’étais acculée par la vie, j’ai pu me révéler à moi-même et collaborer avec moi-même, en fait. »

 

Orton est depuis longtemps reconnue pour sa voix parmi les plus singulières et les plus expressives, – une voix qui n’a cessé de gagner en intensité et en maturité au fil du temps. Trailer Park, son premier album, opère en 1996 une synthèse de sons électroniques et acoustiques, avant le succès international Central Reservation en 1999. Les albums suivants, parmi lesquels Comfort of Strangers, produit par Jim O’Rourke, et en 2016 Kidsticks, à prédominance électronique, n’ont cessé d’élargir le champ de son art.

 

Après des années de lutte contre des problèmes de santé mal diagnostiqués, un tournant majeur se produit. En 2014, une fois posé le bon diagnostic, Orton parvient enfin à reprendre la main sur sa santé grâce à un traitement adapté. Elle s’aperçoit cependant que cette clairvoyance nouvelle peut être aussi handicapante que les interrogations auparavant sans réponse sur son bien-être, car cela fait vaciller sa conscience d’elle-même. Des faits étranges persistent, qu’Orton parvient à traiter uniquement en faisant de la musique au piano durant de longues périodes. Ces expériences ont donné naissance aux huit morceaux de Weather Alive, le premier album qu’elle autoproduit en près de 30 ans de carrière.

 

« Mon état a affecté jusqu’à la confiance que j’avais dans ma perception du monde et des autres, mais la musique a continué pour moi à fonctionner comme un moyen de repère, explique-t-elle. Il arrivait que je ne sache pas si les mots que j’écrivais signifiaient quelque chose, ce qui est vraiment flippant dans le monde réel mais très intéressant quand on fait de la musique. Ça a donné à tout une signification nouvelle. »

 

Les premières notes du titre sur lequel s’ouvre l’album entraînent effectivement l’auditeur dans un univers sonore vaste, sensible et onirique sans réel précédent dans l’œuvre antérieure d’Orton. L’artiste s’est demandé par exemple à quoi ressemblerait Nebraska avec de la batterie ou si Solange chantait à la place de Bruce Springsteen. Ou ce qui se passerait si des chefs-d’œuvre ambient comme Spirit of Eden de Talk Talk ou Brilliant Trees de David Sylvian fusionnaient avec Alice Coltrane et ce qu’a ressenti Orton lorsqu’elle a entendu pour la première fois la grande artiste de jazz disparue.

 

« Ce vieux piano m’a vraiment parlé, c’était une caisse de résonance pleine d’émotions que je pouvais explorer d’une manière qui aurait été impossible à la guitare, – une profondeur, ou une voix, avec lesquelles je n’avais jamais travaillé auparavant, s’enthousiasme-t-elle. Pour moi, cette atmosphère était également un instrument. Tout était en accord. »

 

Il a été tout aussi important pour Orton d’être aux commandes de son propre travail et, quand ce fut le bon moment, de choisir des collaborateurs comme le batteur Tom Skinner (Sons Of Kemet, The Smile) et le bassiste Tom Herbert, dont elle savait qu’ils seraient à l’écoute du matériel de Weather Alive. « Il ne s’agissait pas seulement de me révéler à moi-même. Ce serait réducteur, dit-elle. Mais il est vrai que j’ai passé ma vie à confier des éléments de mon travail à d’autres avant d’être prête, les laissant réinterpréter ma perception, ajouter des accords pour produire autre chose et, en cours de route, mener parfois la musique à un endroit où je n’avais pas l’intention d’aller. Les choses se sont faites subtilement, mais parvenir à conserver mon intention à moi tout du long a été une expérience incroyable. »

 

Les musiciens ont naturellement adhéré à la sensibilité d’Orton, amplifiant le nouveau monde sonore qu’elle avait créé. « Chaque personne que le projet a attirée a apporté sa sensibilité et son amour, et a répondu je pense à cette vulnérabilité », dit-elle. Cette interaction intuitive se retrouve sur des chansons comme « Fractals », initialement inspirée par la mort en 2020 des légendaires producteurs Andrew Weatherall et Hal Willner, deux des compatriotes musicaux qu’Orton chérissait le plus. « Ce morceau est un bel exemple de ce qu’est une collaboration, où les gens viennent comme ils sont, explique-t-elle. Prenez la première prise. Je n’aurais jamais été capable de proposer cette musique-là sans ces musiciens. »

 

Avec le temps, d’autres collaborateurs ont apporté de nouvelles nuances et de nouvelles couleurs à l’instrumentation, notamment Shahzad Ismaily à la guitare, à la batterie, à l’harmonica, à la basse et au Moog, Sam Beste au vibraphone, Francine Perry au synthé et Alabaster dePlume au saxophone. « Me plonger dans ce qu’ils ont apporté était vraiment magique, raconte Orton. J’avais une palette géniale à ma disposition, les instrumentistes étaient incroyables. » Travaillant à distance depuis son jardin, Orton a utilisé toute la matière brute et a passé quatre mois à sculpter ce qui est devenu le disque final.

 

Y compris lorsque les paroles s’apparentent à un véritable flux de conscience, la part de narration caractéristique du style d’Orton n’est pas en reste dans Weather Alive. Ainsi du chaleureux « Friday Night », qui fait référence à Proust (« Though we never do get too close, I still hold you now and then », « Bien que nous ne soyons jamais trop proches, je continue de te serrer dans mes bras de temps en temps », chante Orton). Viennent les souvenirs aigre-doux de « Arms Around a Memory » (« Didn’t we make a beautiful life in your eighth-floor walkup that night ? », « N’avons-nous pas mené une belle vie dans votre appartement du huitième étage cette nuit-là ? »). L’album trouve sa conclusion dans l’ambivalence chatoyante des sept minutes de « Unwritten » (« I was sure we made a promise, but you never know », « J’étais sûre que nous nous étions fait une promesse, mais on ne sait jamais »).

 

« Je voulais faire partie de ces femmes qui ont tout réglé et mis en ordre, mais à 40 ans j’étais toujours plus désordonnée et souffrante, et les choses continuaient à aller mal, confie Orton. Ce disque explore tout ça. Je parle de mes expériences d’une manière peut-être plus personnelle que jamais, mais l’important c’est ce que cette musique fera ressentir aux autres. Ce n’est pas un chef-d’œuvre achevé, c’est une collaboration avec le temps, de quelqu’un qui se bat pour trouver du sens. Et dans cette lutte, quelque chose de beau a été fait. »