
The Besnard Lakes are the Ghost Nation
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Sortie le 10 octobre 2025
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Full Time Hobby

« Ils sont toujours différents ; ils sont toujours les mêmes. »
Cette célèbre phrase de John Peel à propos de The Fall pourrait tout aussi bien s’appliquer aux Besnard Lakes. Le groupe s’est imposé avec une constance remarquable, une vision pure et un niveau de qualité rare dans la musique contemporaine.
Mais non, ils ne sont pas toujours les mêmes. Loin de là. Leur nouvel album, The Besnard Lakes are the Ghost Nation, en est la preuve éclatante. On y retrouve leur univers sonore familier, les voix plaintives et harmonieuses de Jace Lasek et Olga Goreas, mais une légèreté nouvelle et un souffle d’optimisme émergent. Comme une forme d’espoir, peut-être illusoire, dans un monde où il se fait rare.
« Je trouve que c’est un titre très fort, qui parle de notre époque », explique Jace. « Il évoque la mort des nations, la crainte que le Canada devienne le 51e État américain. Il y a ce désir de tranquillité, de communautés qui vivent et évoluent à leur façon… et tout cela semble menacé. C’est ça, la ‘nation fantôme’. »
L’album s’inscrit dans une certaine continuité avec le précédent, The Besnard Lakes are the Last of the Great Thunderstorm Warnings (2021). « Le dernier était très lourd », se souvient Jace. « Il traitait de choses dures, comme la mort de mon père. C’était un disque hanté par la mort. Celui-ci, en revanche, me paraît beaucoup plus léger, presque ludique. »
Le titre d’ouverture, ‘Calling Ghostly Nations’, incarne tout ce qu’on aime chez le groupe : une nappe drone en guise d’introduction, une lente montée en puissance aux accents de Phil Spector et des girls bands, la voix d’Olga relayée par le falsetto de Jace. La chanson prend son temps, s’installe, puis se dissout dans un bruissement presque bavard. Les paroles interrogent le sens du progrès :
« Cette question me hante depuis toujours : évoluons-nous ou régressons-nous ? Avons-nous oublié l’essentiel en avançant trop vite ? »
Une réflexion déjà esquissée en 2010 dans ‘And This Is What We Call Progress’, sur …are the Roaring Night.
Si l’album est traversé par une conscience aiguë du monde actuel, le groupe refuse pour autant l’étiquette de « politique». « On essaie d’éviter les messages trop explicites. Ici, c’est peut-être un peu plus présent, mais ça reste flou, volontairement ambigu. »
‘Chemin de la Baie’, morceau à la fois envoûtant et apaisant, en est un bon exemple. Porté par un arpège bancal et un refrain étonnamment pop, il dégage une énergie lumineuse, presque insouciante, et exhorte à « garder ces pensées et fuir ».
Suit ‘Carried It All Around’, dont les guitares cliquetantes se mêlent au Mellotron et aux images fugaces :
« We were ragged and incomplete » (Nous étions en lambeaux et incomplets), chantent-ils, avant un refrain aux harmonies évoquant Low. Le morceau se conclut sur une phrase lourde de sens :
« We’ve been lazy for centuries, carried it all around. »
Une critique implicite de l’activisme virtuel, de cette illusion d’engagement. « Beaucoup pensent faire le bien, mais se contentent de commenter. Il faut se salir les mains pour que les choses changent », souligne Jace.
Lors de l’enregistrement, le groupe a replongé dans son « coffre-fort » numérique, un disque dur qui enregistre en continu dans leur studio. Certaines idées, comme celles de ‘In Hollywood’ et ‘Battle Lines’, remontent à l’époque de …are the Roaring Night. « On savait qu’on tenait quelque chose de bon, même si on ne savait pas encore quoi en faire. Et soudain, tout a pris forme très vite. »
Les autres membres (Kevin Laing à la batterie, Sheenah Ko aux claviers, Gabriel Lambert à la guitare) ont joué un rôle plus marqué dans les arrangements. Le groupe a peaufiné l’ensemble lors d’une résidence au Lost River Studio, chez Rebecca Foon (Esmerine, ex-A Silver Mt. Zion), dans une ambiance détendue et familiale.
Sur le partage des voix, Jace avoue que « c’est souvent moi qui décide… ou plutôt, c’est mon manque d’inspiration qui décide. » Il rend hommage à Olga : « Elle a une oreille incroyable pour les mélodies, un instinct sûr quand je suis bloqué.»
Elle acquiesce : « On se complète bien quand on compose. »
‘Pontiac Spirits’ est peut-être le morceau le plus impressionnant du disque. Il se construit lentement : un piano hésitant, presque mécanique, noyé sous les flûtes et cuivres du Mellotron, avant l’arrivée tardive, mais jouissive, de la batterie.
« J’avais en tête quelque chose qui rappelle ‘Shine A Light’ de Spiritualized, car Lazer Guided Melodies est l’un de mes albums préférés », raconte Jace. « J’essaie depuis longtemps d’atteindre ce niveau avec Besnard Lakes. »
Cette quête de dépouillement se poursuit avec ‘Battle Lines’, dont le groove évoque Spoon, rythmé par un piano sec, en contraste avec la luxuriance habituelle du groupe. « D’habitude, je fous plein de trucs inutiles partout, je suis un maximaliste », plaisante Jace. Ici, ils ont essayé de freiner leurs élans. Et ça fonctionne : le refrain final (« Don’t want to be left without it, don’t want to be left without your love ») sonne comme un hymne, prêt à être repris par des milliers de voix.
Dans une discographie déjà riche, The Besnard Lakes are the Ghost Nation s’impose comme un sommet : un album lumineux, inquiet mais résolument tourné vers l’espoir et peut-être leur œuvre la plus aboutie à ce jour.