Squid

Bright Green Field

Sortie le 7 mai 2021

Warp

Le premier album de Squid est le projet commun de cinq personnes qui ont su mettre en forme leurs pensées, leur énergie et leur créativité afin de créer un album d’une portée et d’une ambition immenses.

Louis Borlase, Oliver Judge, Arthur Leadbetter, Laurie Nankivell et Anton Pearson, les cinq membres du groupe, se sont rencontrés à Brighton en 2015 alors qu’ils étaient à l’université. Réunis par leur amour de l’ambient et du jazz, ils commencent à se produire ensemble dans un café local. Leurs goûts s’enrichissent, leurs compétences se déploient et bientôt ce sont les sons de l’Allemagne des années 70 qui se font une place dans le cosmos déjà éclectique du groupe avec un premier EP, Lino, en 2017.

Un an plus tard paraît le single « Terrestrial Changeover Blues (2007-2012) », une nouvelle avancée parée des volutes d’un groove vaporeux et hypnotique. Puis vient le charnière « The Dial », qui favorise la rencontre du groupe avec le producteur Dan Carey (Black Midi, Fontaines DC, Kate Tempest, Franz Ferdinand) et son label Speedy Wunderground. « Houseplants », frénétique rafale post-punk et kraut-jazz, fait de Squid l’un des groupes les plus en vue au Royaume-Uni. Portés au sommet par BBC Radio 6music, ils commencent à enchaîner tours et festivals, de SXSW jusqu’à Glastonbury, sans parler des articles dithyrambiques parus dans The Guardian, NME, The Face, The Quietus et d’innombrables autres magazines. En 2020, le groupe figurait également dans la sélection annuelle Sound Of 2020 de la BBC.

C’est à nouveau avec Carey et son label qu’ils sortent l’EP Town Center. La progression perpétuelle qui les caractérise se poursuit à présent qu’ils débutent avec Warp. Le label est le lieu idéal pour le groupe et cet esprit d’expérimentation en constant renouvellement qu’ils partagent avec tous les pionniers de l’électro qui ont fait leur apparition au sein du label au fil des ans.

Certains groupes pourraient être tentés d’intégrer des singles antérieurs à leur premier album (et Squid en avait déjà sorti deux autres au cours de l’année 2020, « Sludge » et « Broadcaster »). Cet album, au contraire, est complètement nouveau. « On voulait qu’il parle pour lui-même, qu’il fonctionne comme un tout », déclare Leadbetter. « Pour y arriver, on ne pouvait pas inclure des chansons du passé. Elles ont eu leur vie et puis nous on a évolué. »

Pour les sessions d’écriture, les membres du groupe se sont rendus à Chippenham dans le vieux pub local de Judge quand les restrictions du premier confinement se sont allégées. Ignorer si les restrictions seraient de retour du jour au lendemain faisait que chaque minute comptait. « Je pense que le ton particulier, la sensation d’urgence qu’il y a dans l’album proviennent des contraintes de temps que nous avions en écrivant de cette façon », dit Borlase.

Cela dit, l’album est également profondément réfléchi, maîtrisé et complexe. Mettez cinq jeunes hommes dans un pub pour qu’ils écrivent leur premier album, beaucoup à leur place se retrouveraient l’esprit embrumé par la gueule de bois et des idées sans queue ni tête. Pas Squid, qui a mis le temps à profit pour tout essayer sans relâche.

L’enregistrement a eu lieu dans le studio en sous-sol de Carey, à Londres, en pleine canicule. Leur confiance en Carey, leur collaborateur de longue date (associé à l’ingénieur du son Alexis Smith), a fait de l’enregistrement une réussite. « S’il y bien a une chose que j’ai trouvée ultra inspirante dans le travail avec Dan, c’était son ouverture aux expérimentations et son intuition de ce qui devait être fait », confie Leadbetter.

Il en résulte un album qui parvient à transcender les genres, rendant sa trajectoire impossible à prévoir. Le morceau d’ouverture, « Resolution Square », bien qu’il ne dure que 40 secondes, capte à la perfection ce qui fait la créativité sans limites du groupe, avec des enregistrements sur le terrain incluant des cloches d’église, des bourdonnements d’abeilles et les sons captés par un micro gravitant en orbite depuis le plafond dans une pièce pleine d’amplis de guitare.

Vient « Narrator », qui ricoche entre un funk fier et des stridences chaotiques en passant par la touche mélodique qu’apporte la chanteuse Martha Skye Murphy. Puis c’est au tour de « GSK », dont les textures immersives sont aussi denses que le toucher des cuivres y est léger. Sans compter les atmosphères enveloppantes et les paysages sonores post-rock de « Global Groove ».

C’est une Angleterre bucolique que semble convoquer « Bright Green Field » dès son titre. En réalité c’est une sorte de leurre, qui reflète l’attrait du groupe pour le paradoxe et les contrastes. Judge parle du principe de va-et-vient qui caractérise l’album, aussi bien sur le plan sonore, où alternent tension et relâchement, que dans les thèmes abordés et les textes. La géographie de « Bright Green Field » est parsemée de gratte-ciel de béton droits comme des i et de visions dystopiques provenant de villes imaginaires.

La musique de Squid, qu’elle soit agitée et discordante ou bien rythmée et fluide, a souvent été le reflet du monde tumultueux dans lequel nous vivons et cela continue dans une certaine mesure. « Cet album a créé un paysage urbain imaginaire », dit Judge, qui écrit la plupart des paroles. « Les morceaux racontent les lieux, les événements et l’architecture qui peuplent ce paysage. Nos projets précédents étaient enjoués et s’attachaient aux personnages alors que ce projet, lui, est plus sombre et plus préoccupé par le lieu : la profondeur émotionnelle de la musique s’est approfondie. »

Le groupe se faisait passer un dossier d’idées et d’influences, qu’ils ont rapidement rempli de références littéraires, « la plupart SF et cyberpunk », dit Nankivell. Judge a alors commencé à établir des parallèles entre ces mondes de science-fiction et certains des aspects les plus sombres de la société contemporaine. « Bien que cette ville ne soit pas un endroit réel et existe dans une sphère imaginaire et cyber, elle emprunte des caractéristiques claires au monde réel dans lequel nous vivons, dit-il. C’est une sorte de paysage urbain britannique dystopique. »

Comme tous les membres du groupe sont à égalité et jouent un rôle vital pour l’ensemble, cet album est vraiment le produit de cinq têtes pensant comme une seule. « Nous traversons tous différentes phases de notre vie, en tant que groupe et comme personnes, et cela contribue à l’éclectisme qui nous est inhérent », explique Borlase.

Non seulement la collaboration occupe une place essentielle au sein de Squid, mais le groupe s’est aussi ouvert à d’autres. « Nous avons contacté des musiciens d’orchestre et de jazz pour jouer des arrangements », raconte Leadbetter. « On a passé deux jours incroyables à enregistrer des cordes et des cors. » Parmi les invités figuraient Lewis Evans du groupe Black Country, New Road au saxophone et la multi-instrumentiste Emma-Jean Thackray.

Toutefois, malgré toutes les techniques d’enregistrement innovantes, les évolutions, les thèmes abordés, les idées et les récits qui sous-tendent l’album, il s’agit aussi d’un disque joyeux et spectaculaire. Un disque qui marie les incertitudes du monde à un singulier goût de l’exploration, en refusant les chemins tout tracés. Comme le dit Borlase : « C’est ce que nous avons fait de plus ambitieux, mais aussi de plus amusant. »