Trio SR9

Déjà Vu

Sortie le 26 août 2022

No Format

Featuring Camille, Blick Bassy, Malik Djoudi, Camélia Jordana et Sandra Nkaké

 

Capables de passer du triangle à la mâchoire d’âne, des cymbales au gong chinois, du vibraphone à la machine à vent, les percussionnistes sont sans doute les figures les plus atypiques de l’orchestre classique. On ne s’en étonnera pas : nombre d’entre eux ont tôt fait de prendre des chemins de traverse, s’invitant dans les formes artistiques les plus variées. C’est ce qu’ont fait Paul Changarnier, Nicolas Cousin et Alexandre Esperet qui, ayant jeté leur dévolu sur le marimba – un xylophone d’Amérique latine cousin des balafons africains – ont décidé de lui confier leurs rêves artistiques. Pour lui, ils ont adapté Bach, Satie, Ravel, ainsi que la fine fleur des compositeurs contemporains. Le Trio SR9 (soit « square root 9 », racine carrée de neuf) a ainsi reçu les prix les plus prestigieux.

 

Mais l’esprit aventureux de ces trentenaires ne pouvait s’en contenter. Le compositeur Clément Ducol – un ancien comme eux du Conservatoire National Supérieur de Lyon, mais qui a pris les chemins de la pop (d’Alain Souchon à Vincent Delerm, en passant par Camille et Christophe), leur présente en 2019 le label Nø Førmat!. Ensemble, ils décident de monter un projet où ils s’attaqueraient aux hits de la pop music, produits dans les grands studios d’outre-Atlantique qui scintillent de mille feux et d’autant d’effets. Mais sans quitter la France, ni leurs chers instruments, pour en faire des pop songs sans machines, sans guitares, ni basse, ni synthés… Cet intérêt pour les tubes internationaux, ceux de Rihanna, Billie Eilish ou Pharell Williams pourrait en surprendre plus d’un, mais il est au fond assez logique pour ces trois complices qui savent que beaucoup de thèmes classiques ont été adaptés de danses populaires oubliées. Leur camarade Clément Ducol – lui aussi passé par la classe de percussions – a choisi avec eux les tubes qu’il a réarrangés pour le trio. En commençant par les déshabiller, n’en gardant que l’épure. Une fois ces morceaux mis à nus, il a envoyé une partition semée d’indications qui restaient à éprouver… et a rejoint le trio pour traduire tout cela en musique. Quitte à inventer, bricoler, faire construire sur mesure d’immenses lames sonnant aussi grave que les basses boostées, ou même plaquer sur les marimbas une feuille d’aluminium pour simuler une saturation… Tout est artifice, et pourtant tout est naturel. Logiquement analogique. Et strictement chorégraphié : les déplacements des mains sur les claviers de bois, les changements d’instruments ou de baguettes…Les trois funambules de cet orchestre de poche font valser leurs maillets sur les lames des marimbas, et les sons qu’ils tirent du bois vibrent dans le ventre et éclatent en comètes dans la tête.

 

Ces chercheurs, dont les expériences combinent la précision de la physique et l’imagination de la pataphysique, sont en quête de nouveaux sons comme d’autres de nouvelles molécules. Ils ont fini par trouver une formule instrumentale inédite, qui n’appartient qu’à eux, pensée pour épouser les voix de celles et ceux qu’ils ont conviés pour reprendre ces chansons. Après la chimie donc, l’alchimie : Camille – avec toute son énergie, fait valser Don’t Stop the Music (Rihanna) en mode organique, Blick Bassy repeint One Last Time (Ariana Grande) aux couleurs de sa langue maternelle, le bassa, et lui offre un supplément d’âme. Quant à Malik Djoudi, il enveloppe Super Rich Kids (Frank Ocean) de subtiles textures éthérées, sa voix au diapason des lames et des étincelles célestes du trio. Camélia Jordana, elle aussi, a apposé sa patte : elle a fait tamiser les lumières du studio et ralentir le tempo d’un Dance Monkey… transformé ici en cérémonie ! La voix de Sandra Nkaké, lovée dans une cascade cristalline de verres, a fait de Video Games (Lana del Rey) un mystère solennel et sublime. Tous ont donc insufflé leur énergie, leur douceur, leur grain de voix, celui de leurs folies… et mille autres nuances qui participent de cette sensation troublante que les Anglo-Saxons désignent par un terme français : « déjà vu ». Comme un ancien amour qu’on redécouvre avec des yeux nouveaux, un air qui revient de loin mais serait né aujourd’hui, familier mais jamais vu… ou mieux : déjà vu, mais complètement inouï. Déjà vu, c’est le nom de cette magnifique expérience inédite, et de ce disque ovni.