Un album éponyme est un temps fort symbolique dans la carrière d’un artiste. Bien qu’il trouve fréquemment sa place en début de catalogue, il arrive aussi qu’il fasse figure de recueil revisitant le passé et incarnant un moment culturel majeur. Oneohtrix Point Never remet catégoriquement en question la plupart des notions standard qui caractérisent la pensée linéaire en musique, évoluant constamment à l’intérieur des modèles traditionnels, démêlant et retissant des gâchettes sensorielles numériques en sonates contemporaines. Disponible aujourd’hui, Drive Time Suite inclut « Cross Talk I », « Auto & Allo » et « Long Road Home » (où l’on entend la voix de Caroline Polachek). C’est un prélude au retour très attendu de Daniel Lopatin, l’artiste et producteur établi à New York, dont le nom est devenu synonyme d’un art qui définit l’époque.

Fin 2019, Lopatin enregistrait l’une des musiques de films les plus remarquées de ces dernières années : une balade angoissée couplée au thriller noir des frères Safdie, Uncut Gems. Avant cela, son album Age Of (Warp, 2018) avait déjà anticipé la sensation universellement partagée d’un monde en changement permanent, sensation plus incisive encore aujourd’hui. Lopatin tourne maintenant le cadran vers ses propres fréquences intérieures, en puisant aux origines d’OPN comme un moyen de découvrir une légèreté et un enthousiasme nouveaux en ces temps troublés. La structure de Magic Oneohtrix Point Never (« mOPN ») elle-même évoque librement la logique de diffusion des émissions de radio, qui commencent le matin et se terminent pendant la nuit ; l’artiste les entrelace avec des transformations kaléidoscopiques et nerveuses du son. Lopatin est engagé dans un travail au long cours avec la radio comme mode d’écoute aléatoire. La beautiful music, aujourd’hui disparue et popularisée plus tard par l’easy listening et la new age, est l’une des nombreuses couleurs de mOPN. Lopatin fait également des collages avec des enregistrements d’archives de transitions entre émissions issues de stations de radio américaines. Les mots de fin des présentateurs, détournés, y entrent en collision avec des publicités et des mantras de développement personnel, pour aboutir à des réflexions teintées d’humour noir sur la culture musicale américaine.

Magic Oneohtrix Point Never, un jeu de mots sur le nom de la radio de Boston Magic 106.7, forme un corpus nostalgique et autoréférentiel qui définit la carrière de Lopatin, en agrégeant une pop baroque maximaliste à des paillettes atmosphériques. Lopatin y maîtrise sa propre autobiographie. Double sens musical flamboyant de la part d’un artiste qui produit la musique la plus éclairée de sa carrière.

Oneohtrix Point Never a toujours été méticuleux et évocateur, de la réutilisation fragmentaire de musiques existantes dans Replica et R Plus Seven, au rock alternatif et à la pop intimiste de Garden Of Delete et Age Of, en passant par les compositions symphoniques de Uncut Gems et Good Time, et par ses productions pour d’autres artistes. Magic Oneohtrix Point Never synthétise tous les éléments de ses créations antérieures pour faire émerger un chef-d’œuvre humaniste cohérent, faisant du titre éponyme de l’album une référence à ses racines aussi bien qu’à son enracinement dans le moment présent.