High Pulp

Pursuit Of Ends

Sortie le 15 avril 2022

ANTI-

« On est une bande d’outsiders ayant refusé d’être laissés à l’écart, déclare Bobby Granfelt, le batteur de High Pulp. Notre approche du jazz n’a jamais été académique (on vient pour la plupart de groupes très DIY), – c’est l’aspect brut, l’énergie et la liberté absolue de cette musique qui nous ont appelés au départ. »

 

Il y a clairement un air de défi, un vent d’émancipation dans le remarquable premier album de High Pulp avec le label ANTI- Records, Pursuit of Ends. Puisant dans le punk rock, le shoegaze, le hip-hop et la musique électronique, le jazz expérimental du groupe est tout à la fois vintage et futuriste, avec des références qui vont de Miles Davis et Duke Ellington à Aphex Twin et My Bloody Valentine. Les chansons font tenir en équilibre composition méticuleuse et spontanéité viscérale, avec des performances d’une totale virtuosité, alimentées par des cuivres lancés dans des courses sauvages se faufilant entre des lignes de basse denses et des percussions étourdissantes. Si le collectif de Seattle s’articule autour de six membres principaux, il s’adjoint aussi un grand nombre collaborateurs sur l’album, parmi lesquels des invités spéciaux comme la star du saxophone Jaleel Shaw (Roy Haynes, Mingus Big Band), la harpiste Brandee Younger (Ravi Coltrane, The Roots), le trompettiste nommé aux GRAMMY Theo Coker, et le claviériste Jacob Mann (Rufus Wainwright, Louis Cole). Tous aident à repousser les limites d’un univers sonore déjà très vaste. A l’arrivée nous avons droit à un disque savoureux à l’allure éminemment cinématographique, aussi imprévisible que captivant, un album instrumental plein d’urgence et stimulant qui parvient à parler du moment présent sans prononcer un seul mot.

 

« On a essayé de traduire dans ces chansons ce que ça faisait d’évoluer dans le chaos ambiant, raconte Granfelt. La musique était notre médicament à nous. »

 

La musique a été plus qu’un médicament pour High Pulp durant les années écoulées, elle a été source de solidarité et de sens. Né au cours d’une jam session hebdomadaire organisée dans l’historique Royal Room de Seattle, le groupe s’est formé comme pour un bon vieux braquage. Il y avait le claviériste Antoine Martel, un vrai Géo Trouvetou avec un mur de synthétiseurs modulaires et une passion sans bornes pour la musique de film et les paysages sonores abstraits ; le claviériste Rob Homan, dont la capacité innée à traiter, déconstruire et réassembler les sons à la volée est proprement décoiffante ; le bassiste Scott Rixon, métalleux tendance hardcore doté d’une sensibilité pop impeccable et tout entier au service des chansons ; le saxophoniste ténor Victory Ngyuen, disciple de Pharoah Sanders avec une oreille faite pour des solos enchanteurs de premier ordre ; le saxophoniste alto Andrew Morrill, auquel les sonorités audacieuses et les intrépides sensibilités harmoniques ont valu la réputation de faire entrer la vieille école dans le 21ème siècle ; enfin, et non des moindres, Granfelt, dont le jeu de batterie aux inspirations hip-hop et bebop a jeté les bases de tout le projet.

 

« Quand on se retrouve tous ensemble, notre son ressemble plus à une synthèse qu’à une addition, explique Granfelt. Nous sommes des personnalités différentes issues d’horizons différents, c’est notre moteur pour créer quelque chose qui n’appartient qu’à nous. »

 

Après s’être créé un public local à Seattle, High Pulp apparaît sur la scène nationale en 2018 avec la sortie d’un premier album, Bad Juice, qui récolte tous les éloges et débouche sur un contrat avec le label britannique KingUnderground. Le groupe sort ensuite un ensemble de trois EP intitulé Mutual Attraction, qui comprend des reprises d’artistes tels que Sun Ra, Cortex et Frank Ocean, pour n’en citer que quelques-uns. The Stranger s’extasie sur le fait que « les innombrables membres du groupe s’imbriquent avec autant de précision que de souplesse pour créer un mélange subtile de funk, de jazz fusion et de R&B », tandis que KEXP salue le fait que le collectif est « profondément ancré dans l’exploration de formes musicales très différentes les unes des autres mais avec un son et une éthique n’appartenant qu’à lui ». Le groupe a effectué de nombreuses tournées, parcourant la côte ouest avec une équipe de musiciens en constante évolution, jusqu’à ce que la pandémie de COVID-19 les oblige à quitter la route et à regagner leurs studios respectifs.

 

« Devoir commencer à travailler à distance nous a permis de tester des choses qu’on aurait jamais pu faire autrement, explique Homan. Ça nous a permis de faire la part entre nos instincts jazz assoiffés de liberté et d’improvisation d’une part, et nos tentations électroniques plus réfléchies de l’autre, ça nous a permis d’atteindre un équilibre vraiment gratifiant entre l’individuel et le collectif. »

 

Cet équilibre est au cœur de Pursuit of Ends, qui s’ouvre sur l’onirique « Ceremony ». Mêlant des paysages sonores denses et magnétiques avec une signature temporelle perpétuellement décalée, la chanson est à la fois engageante et déconcertante, menant les auditeurs dans le monde verdoyant et parfois explosif de l’album. La frénétique « All Roads Lead To Los Angeles » nous plonge dans des breakbeats à la Louis Cole en faisant allusion au déluge sensoriel incessant qui caractérise nos vies actuelles, tandis que des flashs de Red House Painters et de Karriem Riggins traversent la brumeuse « Blaming Mercury », chanson sur le tourbillon de doute et de confusion qui nous a tous assaillis ces dernières années. Vient l’aérienne « Chemical X », clin d’œil à Thom Yorke et Jonny Greenwood dans sa quête de légèreté et de transcendance. Aussi complexes qu’en soient les arrangements – l’opulente « A Ring On Each Finger » s’ouvre par exemple sur un choral de vent, de cor et de piano – les chansons ne perdent jamais de vue l’émotion de départ, et les exercices de retenue du groupe sont tout aussi remarquables que leurs éblouissants solos.

 

« En fin de compte, tout doit favoriser la chanson et non l’ego, analyse Granfelt. C’est parfois difficile quand on a autant de musiciens qui ont tous quelque chose à dire, mais la philosophie de ce groupe veut essentiellement que nous soyons en pleine possession de nos moyens, en nous souvenant pourquoi nous faisons de la musique et d’où nous venons. »

 

Il est probable qu’aucun morceau n’illustre mieux les origines du groupe que les deux qui concluent l’album : le kaléidoscopique « Wax Hands », qui transmet les ondes psychédéliques entre Escher et Dali de la pochette de l’album, et « You’ve Got To Pull It Up From The Ground », tour à tour tranquille et rentre-dedans, comme s’il serrait les dents, penché sur le moment présent, embrassant le chaos et la cacophonie de notre monde.

 

« Quand on est dos au mur, on peut compter sur une certaine dose de volonté pour se frayer un chemin, dit Granfelt, mais ça se fait pas tout seul. C’est à nous de faire le boulot. A nous de déterrer ce qui est déjà là, et j’ai l’impression que c’est ce que notre groupe fait avec cet album, qu’il s’agisse de musique ou d’émotions. »

 

Et de cet enchevêtrement de racines émerge quelque chose de totalement neuf, une synthèse des sons du passé, du présent et de l’avenir, faite des plus hautes énergies créatrices, en somme du pur High Pulp.