Danny Brown

Quaranta

Sortie le 17 novembre 2023

Warp Records

Si Danny Brown, le chanteur de Détroit, reçoit tant d’attention des fans, c’est pour une bonne raison. Peu de rappeurs ont su canaliser la férocité de leurs mots dans un personnage aussi saisissant que celui de Danny. Reconnu à ses débuts tout autant pour sa mèche de cheveux permanentée, son sourire en coin et son incroyable sens de la mode que pour ses rimes et ses rythmes, Danny Brown savait toujours quand il fallait monter en puissance. Mais c’est surtout son aptitude à écrire sur les rues de Détroit, ainsi que son quotidien surréaliste, qui ont assuré sa longévité et gravé son héritage dans le marbre. A une époque où le hip-hop partait dans toutes les directions, Brown semblait avoir tout compris : lorsqu’il a sorti son album à succès XXX, il était le fer de lance d’un mouvement hip-hop d’avant-garde sur le Net, dans le sillage duquel nous vivons encore aujourd’hui.

 

Depuis, Brown a mis les ravers en ébullition dans les festivals européens et a fait partie des Freshman du magazine XXL. Il a créé un pont entre l’ancienne et la nouvelle école du rap (collaborant par exemple avec Earl Sweatshirt ou Q-Tip), il s’est associé avec les labels électroniques underground les plus réputés, et le plus remarquable, c’est qu’il est toujours resté fidèle à lui-même, sans jamais aller trop loin dans un sens comme dans l’autre, ni prendre la peine d’expliquer cet équilibre. Quaranta commence enfin à lever le voile, et révèle les monologues intérieurs d’un artiste qui a déconcerté ses fans pendant plus de dix ans. Le sixième album studio de Brown, écrit durant les confinements en 2021, est autobiographique et personnel à un point rarement proposé par le rappeur auparavant. « Y avait pas grand-chose à faire, alors pour moi ce qu’il y avait de mieux a été de mettre tout ce que je vivais dans la musique. »

 

«Quaranta », c’est « quarante » en italien. Selon Brown, Quaranta est la suite spirituelle de XXX, sorti chez Fool’s Gold en 2011 et qui décrivait de façon terrible sa trentaine vécue sur le fil du rasoir. Le tourbillon de fêtes, de tournées, de collaborations et de réussites qui a suivi cet album phare semble être passé en un éclair. Dix ans plus tard, en pleine période COVID, Brown se retrouve dans le centre de Détroit, seul pour la première fois de sa vie. Après des années de fuite, il a été contraint de s’adapter au calme et au silence, et les mesures de Quaranta sont un véritable journal intime, à la Danny Brown. Des scènes de famille à la première personne remontant à la petite enfance de Brown surgissent de façon très vivante sur « YBP ». Il s’attaque à l’augmentation des loyers et aux nouvelles boutiques gastronomiques qui occupent désormais le centre-ville de Detroit sur « Jenn’s Terrific Vacation ». Et des réflexions teintées de regrets sur une carrière de près de quinze ans dans le rap viennent encore étoffer le projet. Celui-ci regorge de ces couplets choc typiques de Brown, sur une production anguleuse et hypnotique par certains de ses plus anciens collaborateurs, dont Quelle Chris, Paul White et SKYWLKR. « Tantor », produit par The Alchemist, est de ces contradicitons typiques qui lui ont valu d’être célébré tout au long de sa carrière.

 

Aujourd’hui, ce natif de Motor City vit à Austin, au Texas, en dehors de sa ville natale pour la première fois. « J’adore. J’aurais aimé déménager plus tôt », avoue-t-il. Il enregistre son podcast populaire, The Danny Brown Show, à Austin, mais c’est une rupture qui l’a véritablement poussé à partir. Il en parle dans « Down Wit It », une confession à cœur ouvert sur l’introspection masculine, et l’un des nombreux moments saisissants de franchise qui émaillent l’album. Grandir, souffrir, évoluer, prendre du recul, – la mission majeure de Quaranta est contenue dans ces mots de « Celibate », la collaboration avec MIKE : « I used to sell a bit, but I don’t fuck around no more, I’m celibate » (« Je vendais genre un peu, mais je fais plus l’idiot, je suis célibataire »).

 

« Les gens vieillissent plutôt mal dans le hip-hop, explique-t-il. C’est un sport jeune en ce sens, la jeunesse lui dicte où aller. Dans la plupart des autres genres, on peut avoir 50 ou 60 ans. » Mais Danny Brown a l’air bien : il a annoncé cette année qu’il était sobre après avoir suivi une cure de désintoxication, et une tournée avec JPEGMAFIA dans la foulée de leur album collaboratif Scaring the Hoes témoigne d’une productivité accrue sans aucun signe de ralentissement. L’esprit vif de Brown et ses récits sur les dessous de la société, toujours là, sont ceux d’un homme plus sage, et qui n’en est que meilleur. « Beaucoup de gens font des albums conceptuels, dit Brown, mais le concept, c’est ma vie. »