Andy Shauf

The Neon Skyline

Sortie le 24 janvier 2020

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Andy Shauf fait partie des rares conteurs sachant faire preuve d’habileté et d’une désarmante capacité d’observation. Chacune des chansons de l’artiste de Toronto se dévoile comme une nouvelle : elles sont emplies de personnages originaux et d’une riche profondeur émotionnelle. Sur son nouvel album, The Neon Skyline, il met en scène une tranche de vie familière, inviter un ami à boire une bière, sur le titre d’ouverture : “I said, ‘Come to the Skyline, I’ll be washing my sins away.’ He just laughed, said ‘I’ll be late, you know how I can be’”. Les onze morceaux de l’album suivent une intrigue assez simple : le narrateur sort dans les bars de son quartier, découvre que son ex est revenue en ville, et finit par tomber sur elle. La véritable émotion de l’album réside en la manière dont Shauf trouve l’humanité et l’humour dans une simple soirée à l’extérieur et dans les cendres d’une relation passée.

 

Le dernier album de Shauf, The Party, en 2016, constituait une impressionnante collection de chansons touchantes et joliment décorées qui suivaient différents protagonistes lors d’une soirée organisée chez l’un d’eux. L’attention aux détails de Shauf dans son écriture faisait penser à Randy Newman, et son phrasé plutôt particulier et fluide évoquait Joni Mitchell. Cet album a été son meilleur succès, mais son indéniable talent pour l’écriture a toujours été évident. Elevé à Bienfait, dans la province de Saskatchewan au Canada, il s’est fait la main dans la communauté musicale voisine de Regina. Son LP de 2012, The Bearer of Bad News, illustrait son ambition musicale établie et dévoilait la voix naissante de Shauf en tant que compositeur narratif avec des chansons comme « Hometown Hero », « Wendell Walker », et « My Dear Helen » qui paraissaient constituer leur propre monde autonome. En 2018, son groupe Foxwarren, formé il y a plus de dix ans avec des copains d’enfance, a sorti son album éponyme, à propos duquel Pitchfork a dit : « Shauf a peaufiné avec soin son talent de conteur au cours de ces dix dernières années. »

 

The Party, qui s’est retrouvé sur la shortlist pour le prix de musique Polaris en 2016, a permis à Shauf de participer au Late Late Show with James Corden, et a récolté les louanges de, entre autres, NPR, The Washington Post et The Guardian. « Ce LP était un album concept, il m’a vraiment donné envie de faire un meilleur album. Je voulais avoir une histoire plus homogène », explique Shauf. Tandis que le concept de The Party s’est révélé au milieu du processus d’écriture, il savait quelle histoire il voulait raconter dans The Neon Skyline dès le début. « Je revenais toujours à ce mec qui va dans un bar, ce qui était en réalité exactement ce que je faisais à ce moment-là. Ces chansons sont des fictions, mais elles sont assez proches de ma vie pendant cette période. »

 

Pour The Neon Skyline, Shauf a choisi de commencer chaque composition à la guitare au lieu de son habituel piano. « Je voulais pouvoir jouer chaque chanson, accompagné seulement d’une guitare sans devoir recourir à un arrangement astucieux pour la faire exister. » Le caractère immédiat de l’album naît de la simplicité. Sur le typique « The Moon », les arrangements sont humbles et directs, dans le style de Gordon Lightfoot, et pourtant son envie d’expérimenter est évidente. La preuve sur le morceau « Thirteen Hours », qui se glorifie d’un arrangement à la fois jazz et audacieux.

 

Comme il l’a fait tout au long de sa carrière, Shauf a écrit, joué, arrangé et produit chacune des chansons de The Neon Skyline, dans son nouveau studio dans l’Ouest de Toronto. Il a beaucoup expérimenté, par exemple avec une nouvelle pédale de reverb à ressort sur le dernier titre « Changer ». Utiliser des bandes magnétiques l’a obligé à simplifier ses arrangements sur les morceaux. Au bout d’un un an et demi Shauf possédait presque cinquante chansons, toutes sur cette soirée dans un bar. Piocher dans tout ce travail de quoi faire un unique album a été un vrai défi, mais la tracklist finale est cohérente et aboutie.

 

Bien que The Neon Skyline parle d’une soirée normale dans un bar entre amis et d’un barman qui lit déjà dans vos pensées avant que vous ne passiez commande, l’album parle aussi de la douleur à se remettre d’un amour perdu. Le single phare « Things I Do » se penche sur la dissolution de la relation passée du narrateur. Sur une orchestration intense d’inspiration jazz, Shauf chante : “Seems like I should have known better than to turn my head like it didn’t matter. Why do I do the things I do when I know I am losing you?” Il explique : « Il y a beaucoup de rupture dans ce disque. Je n’ai pas rompu depuis bien longtemps, mais nombre de relations ont connu l’une de ces soirées où l’un des deux dans le couple fait irruption là où il n’est pas censé se trouver et s’engueule avec sa moitié. » D’autres chansons s’intéressent à des jours plus doux, comme « Clove Cigarette », où un souvenir fait revenir les bons moments (“takes me back to you summer dress”).

 

Comme dans tous les albums qui évoquent un amour perdu, l’élément clé est la générosité, la bonté que seul un compositeur aussi empathique que Shauf possède. Sur le piquant single « Try Again », le narrateur, ses amis et son ex se retrouvent dans un nouveau bar. Les retrouvailles entre les ex sont gênantes et drôles: “Somewhere between drunkenness and charity, she puts her hand on the sleeve of my coat. She says ‘I’ve missed this.’ I say “I know, I’ve missed you too.” She says, ‘I was actually talking about your coat.’” C’est un moment charmant sur un album qui en contient beaucoup d’autres. Les personnages de Shauf sont tous sympas, ce sont des gens qui partagent plusieurs inside jokes, des shots, et des interrogations métaphysiques autour de sujets comme la réincarnation au fur et à mesure que la nuit se fait floue.

 

En plus de la rupture, l’amitié, et les moments d’humanité qui définissent son écriture, Shauf fait une musique qui explore la facilité avec laquelle on se retrouve sur des chemins familiers, on refait les mêmes erreurs. Son personnage s’interroge : “Did this relationship end too soon? Would going to another bar cheer my friend up?” En fin de compte, les chansons de The Neon Skyline trouvent du réconfort dans le fait d’accepter que la vie continue, et que tout ira bien. Shauf dit : « A certains moments sur l’album les personnages se disent que c’est la fin du monde. Mais il y a aussi des moments de lucidité : rien ne représente la fin du monde. »