Yves Jarvis

Sundry Rock Song Stock

Sortie le 25 septembre 2020

ANTI-

Sur Sundry Rock Song Stock, Yves Jarvis continue d’affiner son approche créative au plus profond de son être, là où la musique et la vie sont harmonieusement liées. Le dernier album du musicien montréalais unit étroitement plusieurs éléments de genres différents – la folk mélancolique, le doux R&B, la pastoral prog et la musique concrète – qui s’alimentent les uns les autres pour donner naissance à de nouvelles formes riches. Bien qu’entourés de mystère, les mots chuchotés de Jarvis peuvent être perçus à la fois comme profondément personnels et comme des messages politiques, d’une manière inédite.

Reprenant la théorie des couleurs qui habitait Good Will Come To You (optimisme jaune matinal) en 2017 et The Same But By Different Means (bleu contemplation nocturne) en 2019, Sundry Rock Song Stock baigne dans le vert naturel. Selon Jarvis, c’est la couleur dont il se sent le plus proche, une attirance esthétique d’abord, mais surtout des désirs de nature sauvage, une énergie sans limites, et une dimension contestataire qui fait partie de lui depuis toujours.

« J’ai eu une véritable révélation musicale avec le son éclatant, simple de mes deux derniers albums. J’ai pris du plaisir à les faire sur le moment, mais ce n’est pas dans ma nature. Les gens pensent que je suis calme, mais c’est tout le contraire, et je suis heureux de le développer aujourd’hui. J’ai créé cet album extrêmement facilement en réaction à ce truc nocturne. Ce vert est un résumé. Cet album est réduit. »

Contrairement à The Same But By Different Means dont les vingt-deux titres allaient de quatorze secondes à huit minutes, Sundry Rock Song Stock est plus traditionnel avec ses dix morceaux concis.

Jarvis s’est occupé de tout lui-même, il a enregistré chacun des instruments, il a mixé l’album et il est même l’auteur de la peinture sur la couverture. L’unique contribution extérieure vient de l’ingénieur du son Mark Lawson (Arcade Fire, Basia Bulat, Peter Gabriel).

Jarvis, qui a commencé à jouer dans la rue quand il était très jeune, a naturellement donné plusieurs de ses premiers concerts en extérieur. C’est donc dans un environnement en plein air que Yves Jarvis a improvisé un studio pour poser les bases de guitare, de synthétiseur Nord, et de piano électrique Rhodes pour cet album. Avec son enregistreur reel-to-reel, il a utilisé plusieurs techniques atypiques, par exemple taper doucement un steeldrum puis le plonger dans divers effets, ou jouer des mélodies sur un bord de verre pour imiter la flûte. « Je veux que mes enregistrements soient naturels, du coup je les enregistre à l’extérieur. Je suis un producteur avant d’être un musicien ou un chanteur, et n’importe quel studio dans lequel je bosse devient ma chambre. J’ai besoin de créer pour vivre, je ne veux rien compartimenter. »

Depuis ses tout premiers enregistrements maison, Jarvis a adopté une vision similaire à celle de Sun Ra, c’est-à-dire laisser ses fenêtres ouvertes en enregistrant, permettant aux sons qui s’invitent de devenir partie intégrante des chansons. Pour cet album Jarvis s’inspire aussi des méthodes minutieuses des groupes de rock progressif King Crimson et Yes, dont les compositions épiques rappellent les immenses paysages de la campagne anglaise. « Leur musique va au-delà de la composition de chansons, elle partage des motifs et des portraits. Je la vois comme une pièce qu’on traverse. »

On retrouve d’autres influences sur Sundry Rock Song Stock, Miles Davis, Franco Battiato, compositeur italien avant-pop, et The Ex, groupe néerlandais post-punk qui mélange engagements politiques radicaux et grooves vifs et mélodiques. Jarvis se montre moins direct dans ses paroles, mais il utilise des métaphores très fortes pour exprimer ses sentiments. Enregistrant la voix dans un flux phonétique de conscience en association libre, qu’il compare à Lil Wayne, Jarvis explique que c’est au détour d’une tournure poétique que se révèle le sens de ses chansons.

« Victim » parle de violence et de racisme intergénérationnels : “I’m a victim of the same old stuff my father was,” / “I’m a vitriolic mass of dynamite just bound to ignite.” Sur « For Props », Jarvis répond aux classes riches qui sont « incapables d’empathie et de réciprocité ». Il s’en prend à la jalousie et aux jugements permanents sur « Semula » : “It’s your aim to shame me / just please spare me your sanctimony.” L’album se termine sur une note plus gaie, un sentiment de satisfaction avec la douce chanson d’amour « Fact Almighty », en hommage au partenaire de cœur de Jarvis avec qui il partage une évolution continue : “I depend on you and you on me / from insular growth one will bloom.”

« En devenant meilleur on embellit le monde. Même en interagissant avec une seule personne, le fait d’essayer de voir les choses telles qu’elles sont apporte des bienfaits immenses. Le changement peut paraître inaccessible, mais je suis optimiste. Je fais de la musique parce que c’est comme ça que j’avance. C’est pour cela que je mets en avant la créativité, chacun peut y trouver le sens qu’il veut. »

Jesse Locke