Ultraista

Sister

Sortie le 13 mars 2020

Partisan Records

Laura Bettinson, du groupe Ultraísta : « Ce groupe est une célébration de notre amitié. Nous sommes tous les trois très occupés, nous ne vivons pas sur les mêmes continents, mais la musique nous réunit toujours. »

En écoutant Sister, ensorcelant nouvel album d’Ultraísta, on s’aperçoit très vite de la force du lien qui unit les membres du groupe. Des synthétiseurs tourbillonnants, des voix éthérées, des rythmes enivrants, Sister est un monde à lui seul, un labyrinthe sonique texturé rempli de coins mélodiques qui s’activent telles les synapses du cerveau musical du groupe. Les chansons sont à la fois irréelles et sensées, abstraites et directes, improvisées mais méticuleuses. Il est difficile de lui coller une étiquette, et il prouve qu’Ultraísta – composé de Nigel Godrich, ingénieur du son, musicien et producteur couronné d’un Grammy, surtout connu pour ses vingt ans de production et mixage des albums de Radiohead, de Joey Waronker, célèbre batteur qui a enregistré et tourné avec, entre autres, R.E.M., Beck, Roger Waters et Elliott Smith, et de la chanteuse Laura Bettinson, artiste solo reconnue qui mélange electropop synthétique et superbes boucles vocales – représente bien plus que la somme de leurs talents individuels.

Le premier album éponyme d’Ultraísta en 2012, pourtant largement apprécié par la critique, a connu un cycle de promotion et de tournée compliqué, de nombreux obstacles ayant entaché l’enthousiasme des débuts. « Quand on a essayé de partir en tournée, on a eu que des catastrophes », se souvient Godrich. « Pendant les balances de notre premier concert aux Etats-Unis, qui était censé être un tremplin pour nous, Joey a appris que son premier enfant était né avec deux mois d’avance. Je pense que sa baguette a dû taper une fois sa caisse claire avant qu’il saute dans un avion pour rentrer chez lui. Laura et moi avons dû réapprendre tout le set pour tenter de jouer sans Joey. Et quand on est revenus aux Etats-Unis, le pays a été frappé par l’ouragan Sandy. Ce qui fait qu’on s’est peu à peu tournés vers nos autres projets et six ans ont passé ! »

Cette série d’embûches a donné à Sister des airs d’œuvre inachevée. Godrich ajoute : « J’avais un dossier avec toute la musique qu’on n’avait pas pu finir, et j’y retournais souvent. Je voyais Laura de temps en temps, et ça me donnait brièvement envie de reprendre les choses là où on les avait laissées, puis autre chose se mettait en place par hasard, il y a eu un effet domino. »

Lorsque les Ultraísta se sont fait connaître en 2012, les racines du groupe remontaient déjà à loin. Godrich, né à Londres, a rencontré Waronker, originaire de Los Angeles, en 1998 alors qu’il travaillait sur l’album Mutations de Beck, et ils ont collaboré ensemble au cours des vingt années qui ont suivi, notamment en tant que membres du supergroupe Atom for Peace, formé par Thom Yorke pour son tout premier album solo, The Eraser.

Inspirés par leur passion commune pour l’afrobeat et la musique électronique, Godrich et Waronker, dès qu’ils avaient un peu de temps, créaient ensemble de la musique nouvelle et expérimentale pour le plaisir. Ils ont proposé à Bettinson de les rejoindre en studio en 2010, après que Godrich l’avait vue en concert dans un petit pub de Londres, et le projet a vite évolué, et est devenu concret.

« On parle assez peu quand on joue ensemble tous les trois », raconte Waronker, faisant partie pour Rolling Stone des « grands batteurs de rock ». « Il y a une alchimie qui nous lie. »

S’inspirant de tout, du pop art et du cinéma à l’ultraïsme, mouvement littéraire dont ils tirent leur nom, leur premier album a mené le groupe jusqu’au plateau du Late Show de David Letterman, et a récolté les louanges des médias : le New York Times, « un mécanisme translucide de beats, de boucles, de motifs au synthétiseur, et de refrains désinvoltes de Mlle Bettinson », NPR, « [un album] rempli de morceaux pop entêtants portés par l’électronique », et Rolling Stone, « une expérience envoûtante, qui déconstruit des grooves africains syncopés, une expérimentation krautrock et des sons électroniques au travers d’une technologie contemporaine d’enregistrement ». En 2013, le groupe a sorti une série de remixes avec des featuring de Four Tet, CHVRCHES et David Lynch pour ne citer qu’eux.

« J’ai beaucoup de chance de travailler avec certains des plus grands compositeurs mondiaux », dit Godrich, qui a également produit des albums pour Paul McCartney et Beck, entre autres. « Le plaisir de travailler la musique avec des artistes comme eux est énorme, mais il est différent de celui de créer ses propres chansons du début à la fin. C’est nous qui faisons tout au sein du groupe, des photos aux vidéos et à l’artwork, et c’est une tout autre implication pour moi. C’est thérapeutique. »

Tandis que leur premier album puisait son inspiration à l’extérieur, cette fois Ultraísta se sont tournés vers l’intérieur, plus confiants dans leur son et leur identité. Bettinson explique : « Cet album est plus mature, plus concentré. On peut entendre tout le chemin parcouru, et combien on a grandi ces dernières années. »

Godrich ajoute : « Avec le premier album, notre objectif n’était pas de le faire trop musical. On créait à partir de grooves, on s’inspirait du dadaïsme, on essayait de faire une sorte de manifeste moderniste. Pour ce nouvel album on voulait faire plus qu’une simple œuvre d’art. »

Presque tous les morceaux sur Sister sont nés de l’improvisation, beaucoup ont été enregistrés plusieurs années auparavant à Londres et Los Angeles. Parfois un rythme de Waronker ou une boucle vocale de Bettinson se révélait comme noyau potentiel d’une chanson, et d’autres fois une ligne de basse ou un riff au clavier de Godrich pouvait devenir un point de départ. A partir de là, Godrich s’isolait avec la musique, découpant, sculptant le matériau brut pour en faire un cadre, une structure autour de laquelle les deux autres membres pouvaient apporter de magnifiques couches de voix et des percussions explosives. Le processus était méticuleux, et a donné un résultat grisant, mélangeant spontanéité et intuition avec un ouvrage soigneux et une constante attention aux détails.

« Trois jours passés à jouer peuvent créer deux ans de travail », plaisante Godrich. « C’est comme construire une navette spatiale avec des allumettes. Finir une aile prend un temps fou, et on est très fier, mais après on fait une pause, on fait autre chose, puis on y revient pour s’attaquer à la prochaine étape. »

L’album est à moitié tête et à moitié cœur, une voyage cinématique qui mélange paysages de science-fiction et performances fascinantes. Des arrangements changeants sont sans cesse injectés dans l’album grâce à d’incroyables schémas, tandis que les chants envoûtants flottent sur un océan de synthétiseurs, de cordes, et de percussions grondantes. Les chansons sont des toiles sur lesquelles une émotion brute se dessine, chacun des morceaux se révèle exclusivement à celui qui l’observe.

« Cette musique provoque des choses différentes chez tout le monde », dit Waronker. « On peut en tirer ce que l’on désire, et c’est ce qui me motive. »

Personne n’entendra les chansons de Sister exactement de la même façon, et c’est l’objectif d’Ultraísta.