Squid

O Monolith

Sortie le 09 juin 2023

Warp Records

Regorgeant de mélodies fulgurantes et de couches de sons superposées, le deuxième album de Squid, O Monolith, fait la part belle à des thèmes comme l’environnement et la vie de famille, ainsi qu’à un folklore maison. Tout comme son prédécesseur le succès critique Bright Green Field en 2021, le nouveau venu est dense et astucieux, mais également plus chaleureux et doté d’une grande personnalité, d’une nature ingénieuse et curieuse. « Je crois qu’on a pu s’amuser beaucoup plus ce coup-ci », confie le guitariste Anton Pearson à propos des changements opérés entre Bright Green Field et O Monolith. « On voulait profiter de ces moments un peu étranges, quand on pose un son et qu’on débarque dans un autre univers sonore, ce qui se produit à chaque fois qu’on fait de la musique ensemble. » C’est l’échange qui est privilégié, et s’il s’agit à n’en pas douter d’une musique créée entre amis, celle-ci n’est jamais exclusive : ils nous invitent à venir écouter avec eux.

 

La gestation de l’album a débuté deux semaines tout juste après la sortie de Bright Green Field, durant le Fieldworks Tour du groupe en mai-juin 2021. « Sans cette tournée, aucun de ces morceaux n’existerait, explique Ollie Judge, le chanteur et batteur, à propos de ces concerts assis, respectant les règles de distanciation sociale, qui leur ont permis de tester la musique alors en cours d’élaboration. « Les gens étaient si impatients d’assister à un concert en vrai qu’on a pu tout essayer, même des choses inachevées. Sous une forme ou une autre, on a joué environ 80 % de O Monolith, la plupart du temps sans paroles. » Le groupe s’est retrouvé face à des structures de chansons qui lui étaient familières, ainsi qu’à des signatures temporelles et des manières de jouer inhabituelles. « On voulait se dépasser musicalement en réaction à ce qu’on avait fait avant, ajoute le guitariste Louis Borlase. On jouait donc des éléments de Bright Green Field tout en explorant librement ces nouvelles idées. »

 

Les membres du groupe poursuivent la composition des chansons dans des salles de répétition à Bristol, où ils résident alors. Bien que chacun ait son ou ses instruments fétiches, il n’y a pas de rôle prédéfini lors de l’écriture et de l’enregistrement. « Tout ce qu’on fait, explique Anton, on le fait sous forme collaborative, en gardant à l’esprit qu’il n’y a pas de hiérarchie dans le groupe. On crée l’espace musical ensemble, tout vient de là. En essayant d’être attentifs les uns aux autres, de ne pas se marcher sur les pieds. »

 

Le groupe rejoint ensuite les studios Real World de Peter Gabriel, dans le comté du Wiltshire, au Sud-Ouest de l’Angleterre, – un environnement luxueux et plein de recoins, très différent du studio intimiste en sous-sol du producteur Dan Carey, où Bright Green Field avait vu le jour. Ce changement d’environnement a fait évoluer le son du groupe, qui est passé d’un son post-punk à quelque chose de plus vaste. « A certains moments on pouvait se cacher ou se perdre, explique Louis. La possibilité de s’éloigner du noyau du groupe et de dénicher à tour de rôle un coin pour s’asseoir, écouter et observer avant de revenir a déterminé nos expériences sonores. » Cette sensation de voix multiples se reflète dans les neuf chansons métamorphiques de l’album.

 

L’environnement proche du studio a également exercé une influence tangible. Bien qu’originaires de Brighton et aujourd’hui installés pour la plupart dans le Sud de Londres, tous les membres du groupe entretiennent un lien fort avec le Sud-Ouest de l’Angleterre, qui n’a cessé de s’approfondir au fil de l’enregistrement. Le rapport à l’environnement oriente O Monolith. « La relation entre l’homme et l’environnement est récurrente tout au long de l’album, poursuit Louis. Il y a des allusions au monde dans lequel nous nous sommes immergés, à l’urgence environnementale, au rôle de la famille et à la sensation de déracinement qu’on éprouve quand on s’absente pendant longtemps. » Des éléments de folk britannique ont tout naturellement trouvé leur place dans certaines chansons, notamment les enregistrements effectués dans les environs du studio pour « After the Flash » et « Green Light », et les bois inspirés de Shirley Collins dans « Devil’s Den ».

 

L’une des principales tensions de l’album réside dans le contraste entre cette interprétation tous azmiuts du monde naturel et les paroles d’Ollie, nées en plein cœur du confinement et du travail à mi-temps qu’il a trouvé à l’époque afin de structurer ses journées. « Cette routine monotone se ressent dans les paroles, explique-t-il. Je me suis vraiment intéressé à l’animisme, à l’idée que des esprits peuvent habiter des objets inanimés. Je passais tous les jours devant les mêmes choses et je m’imaginais me réincarner dans un truc ennuyeux. Je regardais aussi Twin Peaks, et il y avait cet épisode où l’esprit d’une femme se retrouve dans une commode. C’est comme ça que « Undergrowth » a fini par être écrit de mon point de vue dans l’au-delà, sous la forme d’un tiroir. » Il rit. « J’ai essayé d’être spirituel, mais je suis en fait quelqu’un d’assez cynique, donc la spiritualité passe par un prisme pessimiste. »

 

Les autres textes de l’album sont tout aussi ésotériques. Les images horrifiques abondent, des émeutes psychotiques de « The Blades » à l’effrayante chasse aux sorcières de « Devil’s Den ». Les informations en continu et l’excès de compassion (« Siphon Son »), tout comme les supercheries de la célébrité (« Parlour Games »), côtoient une pastorale onirique reflétant l’angoisse climatique (« Swing (In a Dream) »). Les paroles d’Anton sur « If You Had Seen The Bull’s Swimming Attempts You Would Have Stayed Away » traitent de la relation entre les humains et les rats, en s’inspirant du documentaire Rat Film de Theo Anthony. Ce désarmant morceau de clôture fourmille de voix, soutenues par l’ensemble choral Shards.

 

Si le groupe a testé de nouveaux rôles en son sein, de nouveaux musiciens et collaborateurs ont à leur tour rejoint la mêlée durant l’enregistrement, offrant ainsi au monde sonore de Squid un nouveau déploiement. La production de Dan Carey, collaborateur de longue date, est complétée par le mixage de John McEntire, de Tortoise. « Il y a une intensité dans les enregistrements de Dan qui fonctionne très bien, et John y a ajouté un son vaste et naturel », explique le trompettiste Laurie Nankivell. Les bois de Nicholas Ellis et Dylan Humphreys ont contribué à cette sensation, et les percussionnistes Henry Terrett et Zands Duggan ont aidé à capter et à accentuer une partie de l’énergie du groupe lors des prises en direct. Martha Skye Murphy est de nouveau présente sur « After the Flash », suite à son apparition sur le premier single de Bright Green Field, « Narrator ».

 

La contribution d’un autre personnage clé, Roger Bolton, a été plus fortuite. « Nous avons rencontré Roger au studio Real World, explique Arthur à propos du programmateur interne du studio, qui entretient les échantillonneurs Fairlight, connus pour leur utilisation pionnière par Kate Bush. « Nous sommes devenus amis et il nous a permis d’utiliser le Fairlight sur les enregistrements. Beaucoup de sons de synthétiseurs sont agrémentés du Fairlight, c’est une couleur importante et caractéristique de l’album. » Sur « After the Flash », le groupe a utilisé des données informatiques pour jouer du Fairlight, conférant à la chanson une sonorité Shepard ascendante qui la hante tout du long. « Ce morceau tout entier semblait nouveau, poursuit Arthur, depuis les arrangements de cuivres de Laurie jusqu’à la structure en 5/4, mais aussi sa lenteur et la façon dont Ollie chante. »

 

La dynamique de la voix d’Ollie constitue un autre changement notable de l’album, notamment sur « The Blades », le morceau de Squid qu’il préfère. « Il y a beaucoup plus de vulnérabilité dans cette chanson que dans tout ce que nous avons fait auparavant, explique-t-il. Dan et moi on a parlé de la voix, qu’il serait bon de ne pas me laisser aller complètement, de ne pas me contenter de crier seulement parce que c’est plus immédiatement gratifiant. La fin de la chanson est vraiment douce et tendre, et je ne crois pas qu’on ait fait quelque chose comme ça avant. »

 

Dense, évocateur et extrêmement varié, O Monolith conserve l’esprit tournoyant et mystique de Squid, tout en réservant de nouvelles surprises aux familiers de Bright Green Field. Le nouvel album reflète les pas de géant d’un groupe constamment tourné vers l’avenir. « Chaque disque que nous faisons est un instantané de notre situation, conclut Ollie. Musicalement parlant, on est un groupe du genre têtu, et ce disque l’est aussi, d’une manière attachante. Il demande beaucoup d’écoutes attentives. » Tout comme son titre, O Monolith est un album dense et étrange, riche d’interprétations infinies pour en éclairer les mystères.