sir Was

Let The Morning Come

Sortie le 15 octobre

Memphis Industries

2020 était censée être la grande année de Joel Wästberg. Fort du succès en 2019 de Holding on to a Dream, son deuxième album sous le pseudo sir Was, le multi-instrumentiste suédois devait assurer la première partie de Little Dragon en Europe et aux Etats-Unis. Lorsque la tournée est annulée en raison du COVID, il décide de mettre toute son énergie dans l’écriture de nouvelles musiques. Mais en août 2020 sa vie est bouleversée. Des tests révèlent qu’il est porteur d’une maladie génétique rare provoquant des attaques cérébrales à répétition.

 

« Au début, j’étais très triste et j’avais peur », raconte aujourd’hui l’homme de 39 ans, depuis son domicile de Göteborg, à propos de ce diagnostic dévastateur. Mais en même temps, c’était comme si d’un coup tous les autres soucis que j’avais n’avaient plus d’importance. J’ai juste eu cette sensation très forte d’être en vie. »

 

On retrouve cette dichotomie au cœur de son troisième album magnifiquement doux-amer. Méditation sur l’amour, la croissance, l’acceptation de soi, le pardon, la mortalité et le temps qui passe, Let the Morning Come comporte les textes les plus spontanés de Wästberg à ce jour. Et pourtant, malgré toute la peine que l’on éprouve à être cruellement confronté à sa propre mortalité, le sentiment majeur qui naît à l’écoute de l’album est l’espoir, grâce à une collection de morceaux qui forment un hymne à la vie au sens le plus pur. Comme il le dit lui-même dans l’autobiographique « One Day », « J’ai couru un marathon pour en arriver là, j’ai attendu toute ma vie pour ceci : Je prends le risque de saisir ma chance. » (« Ran a marathon to make it here, waited all my life for this: I’ll take the risk to get the chance. »)

 

Le marathon semble une description appropriée de son parcours jusqu’à ce jour. Né à Frillesås – un petit village de la côte ouest de la Suède – Wästberg manifeste un vif intérêt pour la musique dès son plus jeune âge, s’imprégnant des classiques de Stevie Wonder, des Beatles et de Led Zeppelin grâce à ses parents. Il commence le violoncelle à l’âge de huit ans, avant de se consacrer au saxophone deux ans plus tard. Il démontre un talent immédiat et commence à s’entraîner avec ardeur, aspirant à devenir un jazzman professionnel comme son héros Charlie Parker. A 18 ans il intègre l’une des plus prestigieuses folkhögskola (écoles populaires supérieures) de Suède et étudie ensuite le jazz à l’université de Göteborg.

 

C’est à mi-chemin de ses études que Wästberg a une révélation. « Je me suis soudain demandé pourquoi je faisais ça, se souvient-il. J’étais arrivé à un point où je pouvais jouer toutes ces choses compliquées et j’étais un jeune saxophoniste prometteur, mais [faire du jazz] commençait à me sembler inutile. A 17 ans, j’avais entendu Voodoo de D’Angelo et j’étais époustouflé, mais je pensais que le jazz était ce que je devais faire. Et là, tout d’un coup, je n’avais plus envie du saxophone. »

 

A la place, Wästberg commence à mettre à profit les moments de pratique à l’université pour jouer de la batterie, il s’inscrit à divers cours de composition classique et commence à élargir ses habitudes d’écoute, se plongeant dans l’œuvre de John Cage ainsi que dans une variété d’artistes africains, dont Oumou Sangaré, Thomas Mapfumo et Danyèl Waro. Très inspiré par ce dernier, il s’inscrit à un programme d’échange avec l’université du Kwasulu-Natal en Afrique du Sud et enseigne durant six mois à Durban, s’immergeant dans la scène musicale locale et faisant des voyages au Mozambique et au Zimbabwe.

 

Une fois ses études terminées, de retour à Göteborg, il jongle entre une multitude de cachets de musicien, jusqu’à être contacté par José González, qu’il connaissait grâce à son amie Yukimi Nagano de Little Dragon. González lui propose les percussions et les claviers dans son groupe Junip. Désormais en tournée à plein temps, Wästberg réalise le rêve de toute une vie. Pourtant lorsque le groupe se met en pause en 2014, et cela lance Wästberg sur la voie d’un autre rêve.

 

« Soudain, il n’y avait plus de tournée avec Junip pendant Dieu sait combien de temps, et j’avais de moins en moins d’argent, se souvient-il. J’ai également rompu avec ma copine et je me suis demandé ce que je devais faire. Dans ce moment de crise, je me suis rendu compte que j’avais envie de faire ma propre musique. Parce que pendant tout ce temps j’avais fait ma propre musique, en assemblant des ébauches dans GarageBand et Logic. »

 

Encouragé par ses amis de Little Dragon, il commence à proposer ses chansons à des labels et reçoit rapidement les éloges de Peanut Butter Wolf, fondateur de Stones Throw (la maison de disque de ses héros Madlib et J Dilla), avant de signer finalement avec le label allemand City Slang. Son premier album, Digging A Tunnel, sort en 2017 et connaît un premier succès critique. Il est loué pour sa fusion de « rythmes panafricains, de funk, d’électronique et de jazz, le tout dans un “désordre conçu avec précision”. » En 2019, même succès critique lorsqu’il sort chez Memphis Industries son album suivant, Holding on to a Dream.

 

Wästberg voit dans sa tendance perfectionniste et sa crainte du jugement les principaux facteurs pouvant expliquer pourquoi il n’a pas poursuivi une carrière solo avant l’âge de 35 ans. « J’ai un peu honte de l’admettre, mais je ressens vraiment très fortement la nécessité d’exceller. Je suis très motivé. Je ressens un certain besoin de montrer, à moi-même et au monde, que je suis bon. »

 

L’album autoproduit Let the Morning Come est la dernière étape de son évolution en tant qu’artiste réputé pour faire surgir des mélodies oniriques à partir d’arrangements non conventionnels. S’inspirant de la richesse sonore du chef-d’œuvre de Marvin Gaye, What’s Going On, et s’appuyant sur une palette éclectique qui englobe des couches de rythmes complexes, des harmonies de flûte à bec médiévale et le soupir d’un orgue Hammond d’occasion, Wästberg a cherché à « condenser » son écriture, dans le but d’évoquer la fulgurance de la musique de sa jeunesse.

 

« Les Beatles peuvent écrire une chanson de 3 minutes 10, et c’est comme si quelque chose de fou venait de se produire, mais c’est juste une chanson que vous pouvez passer à la radio. Je ne me compare pas aux Beatles, mais je cherche à supprimer tout le superflu, et à fabriquer ces joyaux. »

 

Le temps imprègne les paroles également, en attestent des titres comme « Before The Morning Comes », « I Don’t Think We Should Wait » et « Time To Let It Out ». Cette sensation palpable de course contre la montre est renforcée par le fait que Wästberg a subi un AVC en janvier 2021, alors que l’album était « terminé à 99 % ». Aujourd’hui heureusement rétabli, il se sent renforcé par cette expérience dans sa détermination à saisir toutes les opportunités possibles et à vivre sa vie de manière authentique et sans peur, autant d’idées qui imprègnent en définitive l’album.

 

« Si ça vous met la larme à l’œil, je pense que ça valait le coup d’essayer », dit-il dans « Time To Let It Out » (« If it brings a tear to your eye, I guess it was worth the try »), tandis que dans « Spend A Lifetime », il cajole gentiment l’auditeur avec des questions comme « Ça urge, combien de temps vas-tu attendre ? » (« Time is running out, how long you gonna wait ? ») Si le résultat donne lieu à une véritable réflexion, au lieu d’être étouffant ou didactique, c’est grâce à la sincérité des sentiments et à l’inventivité des arrangements.

 

« Je me demandais si je devais évoquer ces thèmes, explique Wästberg, et puis je me suis rendu à l’évidence que je mentirais si je n’en parlais pas. Alors bien sûr c’est quelque chose de très personnel, mais j’espère vraiment que j’ai réussi à écrire des chansons qui ne sont pas sur moi et ma situation particulière… Parce que, je veux dire, tout le monde traverse plein de mauvais moments, il n’est pas forcé que ce soit des gros trucs qui changent tout. Et il y aura toujours des difficultés. J’espère surtout que les gens aiment les grooves. »

 

Il est certain qu’ils sont présents en abondance sur Let the Morning Come, une collection révélatrice et réparatrice qui laisse penser que 2021 pourrait bien être la grande année de Wästberg.