Plants & Animals

The Jungle

Sortie le 23 octobre 2020

Secret City Records

Le jour où Plants and Animals enregistrent le title track de leur nouvel album est un jour particulier. Tout le monde est en train de regarder la même chose au même moment à la télé : le procès d’un juge. Du coup ils regardent aussi, sur un ordinateur portable dans une des pièces du bâtiment où se situe le studio. C’est à la fois irritant et excitant.

Quand on entre dans le studio, le son est englouti et disparaît, en raison des tapis sur les murs, et on se souvient pendant une seconde de ce puissant courant de pensées qui parcourt notre esprit au cours de notre vie. Puis le tumulte disparaît à nouveau.

Ils sont là pour essayer de réparer une vieille chanson qu’ils avaient écrite pour leur dernier album sans parvenir à la terminer. Warren crée un beat sur son 808. Il prend une basse, Nic prend une guitare et ils jouent les parties modifiées. Woody ajoute un beat motorik. Adèle Trottier-Rivard est avec eux. Elle chante et essaie des shakers différents sur les pédales de guitare de Nic, pendant qu’il les manipule en même temps de sa main droite, leur bébé dans la main gauche. Les choses se mettent en place. Ils écrivent les paroles sur-le-champ. Le juge s’en sort tel un serpent.

Plants and Animals travaillent à l’instinct. Ils jouent ensemble depuis vingt ans, depuis qu’ils sont gamins finalement. Ils ont été une figure majeure de la renaissance musicale de Montreal du milieu des années 2000, à l’époque où l’on ne pouvait pas se balader l’après-midi dans le quartier sans renverser son café sur le jean ajusté d’une célébrité. Après la sortie de leur premier album ils se sont vite fait connaître grâce à l’intensité de leurs concerts. Ils sont parents aujourd’hui, et le sont depuis suffisamment longtemps pour qu’un amour plus grand et une conscience d’une réalité inquiétante aient supplanté l’euphorie. Le monde a changé.

« The Jungle » commence avec des percussions électroniques qui ressemblent à des insectes de nuit. Tout un monde s’anime dans l’obscurité. C’est beau, complexe et troublant. Systématique et chaotique. De l’instinct uniquement. Des voix provoquent :“Yeah, yeah, yeah.” Ces temps troublés se reflètent dans l’ombre.

Chacune des chansons est un paysage. La première s’arrête et on devient un enfant qui regarde la lune par la fenêtre d’une voiture, se demandant comment elle peut nous suivre tandis qu’on accélère en longeant le flou d’une rangée d’arbres. On observe une maison s’envoler vers un stroboscope jaune qui résonne des bizarreries disco de Giorgio Moroder, Donna Summer et David Bowie. On est martelé par un rythme puis libéré par un soudain changement de décor – le vent tombe, la clarté revient. On est sous un réverbère dans le Queens, au ralenti, on tombe amoureux. On parle français. « Bienvenue. »

Ce sont des expériences personnelles vécues dans un monde instable, qui nous renvoient le monde actuel en plein visage, même sans le vouloir. « House on Fire » est inspirée du sentiment obsédant qu’éprouve Warren qu’un ami qui prend beaucoup trop de somnifères pourrait un jour oublier d’éteindre la gazinière. Elle a été écrite avant que Greta Thunberg fasse de cette expression un cri de ralliement.

Il y a une chanson que Nic chante à son fils ado qui s’inquiète pour le changement climatique et qui prend son indépendance pour la première fois. Le groupe la conduit doucement vers un horizon azuré et apaisant. Warren a écrit les paroles d’une autre chanson très peu de temps après la mort de son père. Elle parle des choses dont on hérite, qui ne sont pas toujours celles que l’on aurait voulues. A une échelle plus large, il s’agit de la situation de beaucoup de gens en ce moment.

Faire de la musique, c’est leur façon collective de traiter cette situation. Plants and Animals est un groupe composé de Nicolas Basque, Warren Spicer et Matthew Woody Woodley. The Jungle est leur album le plus court à ce jour, mais aussi sans aucun doute le plus audacieux. Huit chansons dans un monde en proie au vacarme.