Olof Arnalds

Spíra

Sortie le 05 décembre 2025

Bella Union

Quiconque s’est intéressé à la musique islandaise au cours de ce siècle sait combien Ólöf Arnalds peut hypnotiser une salle avec pour seuls atouts une petite guitare et sa voix de soprano reconnaissable entre toutes. En près de vingt ans et à travers cinq albums, elle a façonné un univers où guitare délicatement pincée, charango, violon ou encore koto servent de trame à des récits oscillant entre quotidien et mythologie. Ses chansons, riches en territoires émotionnels, explorent inlassablement les multiples visages de l’amour – familial, platonique ou romantique. Figure incontournable de la scène folk contemporaine islandaise depuis Megas dans les années 1970, elle évoque parfois Joanna Newsom, Nico ou Vashti Bunyan, mais ses arrangements d’une simplicité trompeuse et ses mélodies intimement tissées portent une signature unique.

 

Formée au chant et au violon classiques, Ólöf pratique la musique populaire depuis trois décennies. Après ses débuts dans des groupes d’adolescents, elle s’est illustrée auprès de formations telles que Slowblow, Mugison et Stórsveit Nix Noltes. Elle a marqué les esprits en 2003 lorsqu’elle rejoignit la seconde incarnation de múm en tournée, imposant sa présence avec un violon Stroh à cornes. Trois ans plus tard, sa voix envoûtante surgissait pour la première fois sur l’album Sería de Skúli Sverrisson : au sein d’une suite essentiellement instrumentale, elle apparaissait comme une respiration angélique, doublée de nombreuses contributions instrumentales.

 

Le véritable tournant survient en 2007 avec son premier album solo Við og við (distribué plus largement à l’international en 2009), produit par Kjartan Sveinsson de Sigur Rós dans l’ancien bassin reconverti en studio Sundlaugin. Sorti de nulle part, l’album devint presque instantanément un classique en Islande, primé aux Iceland Music Awards, élu « album de l’année » par le principal quotidien national et classé parmi les 100 meilleurs de la décennie par eMusic.

 

S’ensuivit une intense période de tournées qui la mena à partager l’affiche en Europe, en Amérique et en Australie avec Dirty Projectors, Blonde Redhead, Sigur Rós, Air, CocoRosie, Jonathan Richman et Grinderman de Nick Cave. Même dans les grandes salles habituées à un rock tonitruant, son one-woman-show gardait intacte sa puissance magique.

 

En 2010, entre deux concerts, elle enregistra Innundir skinni (Sous la peau), album plus élaboré auquel participèrent Ragnar Kjartansson et Björk. Cette dernière décrivit Ólöf comme « quelque part entre une enfant et une vieille femme ». Nommé au Nordic Music Prize et couronné aux Iceland Music Awards, l’album introduisit ses premières chansons en anglais, ouvrant la voie à Sudden Elevation (2013), premier disque entièrement anglophone, puis à Palme (2014).

 

Encensée par la presse internationale – The New York Times, Vanity Fair, NME, Spin, Mojo, Paste, The Guardian – elle s’éloigna néanmoins quelque temps de la composition. Elle fonda l’espace culturel Mengi à Reykjavík, travailla comme rédactrice, éleva son fils et sa belle-fille, tout en poursuivant ses collaborations avec Skúli Sverrisson, son ami de toujours devenu mari. Ensemble, ils créèrent notamment ‘Kaldur sólargeisli’, pièce orchestrale pour sa voix et l’Orchestre symphonique islandais.

 

Avec Spíra (Pousse), Ólöf retrouve aujourd’hui le plaisir d’écrire. Cet album renoue avec ses débuts : entièrement en islandais, aux arrangements épurés, enregistré presque d’un seul souffle dans la salle de contrôle de Sundlaugin, comme Við og við.

 

Produit par Sverrisson – également présent à la basse et à la guitare –, Spíra bénéficie de l’expérience d’un musicien ayant collaboré avec Laurie Anderson, David Sylvian, Ryuichi Sakamoto ou encore Bill Frisell. Davíð Þór Jónsson, complice de longue date, apporte piano et guitare, comme lors de la tournée mondiale qu’ils partagèrent il y a quinze ans. Figure incontournable du jazz islandais, Jónsson est aussi connu pour sa collaboration étroite avec l’artiste visuel Ragnar Kjartansson.

 

Ce trio, uni par une longue amitié et une confiance profonde, fait naître de vastes paysages sonores à partir d’une instrumentation sobre et de paroles retenues. Beaucoup de chansons explorent les défis de la créativité et la joie qu’elle procure. Ainsi, « Úfinn sjór » (« Eaux agitées ») transforme la longue obscurité hivernale en refuge intime, propice à l’inspiration et aux éclats de couleurs intérieures.

 

Dans ‘Stein fyrir stein’ (Pierre par pierre), écrite pour son oncle qui prit soin d’elle et de ses sœurs après la mort de leur père, Ólöf célèbre la force de la nature et l’importance de progresser pas à pas, sans se retourner. « Les relations, dit-elle, doivent elles aussi être cultivées pierre par pierre, les yeux toujours tournés vers le sommet. »

 

L’avenir, toutefois, ne signifie pas effacer le passé. ‘Vorkoma’ (L’arrivée du printemps), dédiée à l’écrivaine Guðrún Eva Mínervudóttir, en témoigne : « It’s so nice to bathe / and cry / stop pretending / you don’t have memories » (C’est si agréable de se baigner / et de pleurer / arrête de prétendre / que tu n’as pas de souvenirs). La chanson évoque la volonté de vivre, le réconfort de l’amitié et la floraison après l’hibernation, symbolisée par les nombreuses images florales qui traversent l’album.

 

Avec ‘Tár í morgunsárið’ (Larmes à l’aube), Ólöf revisite le vide laissé par son renoncement adolescent au catholicisme. Au-delà de l’expérience personnelle, elle interroge ce manque universel de spiritualité dans un monde saturé de marchandises.

 

L’amour familial, déjà central dans Við og við, revient également. Dans ‘Von um mildi’ (Espérer la grâce), fable mère-fille écrite pour le Théâtre national d’Islande, elle souligne que le pardon n’est pas un instant unique mais un état permanent : « Trouverai-je la paix, demande-t-elle, si je pardonne complètement ? »

 

Certaines filles deviennent mères à leur tour. Sa relation avec son fils adolescent inspire la chanson-titre ‘Spíra’ (Pousse), centrée sur le moment délicat où il passe d’une maison à l’autre après le divorce. Entre anticipation, hésitation et tendresse retrouvée, la valse en pizzicato déploie peu à peu ses ailes aériennes.

 

L’amour, rappelle Ólöf, nous élève – parfois soudainement, parfois patiemment. À la fin de l’album, elle a affronté ses démons, exprimé sa gratitude, payé ses dettes intérieures. Elle renaît comme un être vivant, créatif et déterminé.