Mush

Lines Redacted

Sortie le 12 février 2021

Memphis Industries

Mush, le trio art rock basé à Leeds, sort son deuxième album, Lines Redacted, chez Memphis Industries, le 12 février 2021. Cet album, qui a vu le groupe travailler avec Lee Smith (The Cribs, Pulled Apart By Horses) au mixage, arrive un peu moins d’un an après leur premier LP, 3D Routine. Il ponctue ce qui aura été une année tumultueuse mais très prolifique pour le groupe. Sans concerts à l’horizon, le groupe, avec son leader Dan Hyndman, a trouvé le temps de sortir deux EP (Great Artisanal Formats et Yellow Sticker Hour) et deux albums.

Mush, avec Hyndman (guitare et voix), Nick Grant (basse et voix) et Phil Porter (batterie), c’est un style unique. Leur son brouille les lignes du surréalisme abstrait, de l’existentialisme et de l’analyse sociologique : les guitares y sont les outils de 2020 pour juguler le malaise, tout en décrivant la propension de la nation à dégringoler dans une passe aussi compliquée. C’est un déluge sensoriel de sonorités nerveuses. Les zigzags entre punk, rock progressif et funk sont d’une habileté implacable à refléter les travers et l’apathie de la société d’une manière unique et acerbe.

Alors que les débuts du groupe étaient le reflet d’un moment, en partie inspirés par l’atmosphère politique de la mi-2019 et un vrai souffle d’optimisme, quand la perspective d’un gouvernement socialiste au Royaume-Uni était au programme, ce nouveau disque utilise l’ironie comme moyen d’adaptation au monde dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui. D’une chanson à l’autre, Lines Redacted nous présente une série de narrateurs qui proposent chacun une réflexion différente sur le scénario d’Apocalypse dans lequel nous nous glissons, en le déplorant ou en le réclamant avec ardeur. 3D Routine faisait la part belle aux querelles politiques cinglantes qui allaient avec les thèmes et les décisions du moment. Lines Redacted transforme ces idées en quelque chose de légèrement plus sinistre, tout en conservant l’esprit tranchant de Hyndman.

Lines Redacted fonctionne comme un manifeste de désinformation qui parle de confusion sociale, politique et économique. Une idée que vient renforcer la cover de l’album. Conçue par Martyn Hill, cette image impressionniste abstraite montre un document dont les mots sont barrés. Bien qu’on saisisse de quoi il s’agit, il est impossible de comprendre de quoi ça parle. Une métaphore qui convient bien à la musique.

Que ce soit sur le plan sonore ou visuel, Lines Redacted c’est Mush à son plus fort et au sommet de sa bizarrerie dans les accords de guitare et le lyrisme abstrait. D’obscures fables dystopiques disent notre climat social actuel et comment nous sommes biberonnés aux médias jour après jour. Le premier single, « Blunt Instruments », plante le décor du disque : le protagoniste tente de mener l’autopsie surréaliste d’un événement apocalyptique et de retrouver le Nord dans son nouvel environnement dystopique, en éprouvant un plaisir coupable à l’effondrement. « Drink the Bleach » fait référence aux derniers conseils en matière de santé. Hyndman : « On the inside / Peroxide Dye / What could go wrong ? / Blondes have more fun » (« A l’intérieur / Teinture péroxydée / Qu’est-ce qui pourrait mal tourner ? / Les blondes s’amusent plus »). La chanson « Lines Redacted » se consacre à l’un des grands champs d’investigation de cet album, les idéologies troubles. Le morceau voit notre protagoniste rejoindre le troupeau des idiots utiles qui cherchent à tirer plaisir de leur nouvelle amoralité. « Seven Trumpets » déplore quant à elle l’attitude petits-bras et pas très réactive dont nous faisons si souvent preuve face au changement. « Spectator sports . An apathy » (« Un spectateur qui arbore. De l’apathie »), chante Hyndman, « conservative with a small “c” » (« conservateur avec un petit “c” »).

Une fois combinés, les différents éléments forment une proposition tout à la fois immédiate, drôle et qui tombe sous le sens. « Positivity » offre peut-être ce cynisme exacerbé sous sa forme la plus subtile, Dan pointant du doigt la philosophie du Keep Calm and Carry On après laquelle nous courons si ardemment en période de conflit : « Blitz Spirit, yeah you get the gist / And I’m off my tits of happiness » (« Zen en guerre, ouais tu vois le truc / Et je suis fou de bonheur »), chante Dan sur un ping-pong de guitares, dévoilant ses visions de gestes langoureux dans le récit intitulé « Peak Bleak ! ». Acmé de l’album, « B2BCDA » (« back to back consecutive dark age », « âge sombre consécutif dos à dos ») Hyndman propose un chemin à suivre qui s’appuie sur l’accélérationnisme. Cette idée est en quelque sorte sculptée dans les métadonnées sonores du morceau, avec des licks de guitares cloués à un tempo fou, alors que Dan suggère de nous installer pour assister à l’effondrement final.

Les concerts aux côtés de Girl Band, Shame, The Lovely Eggs, Stereolab et d’autres avaient permis aux morceaux de 3D Routine de mûrir sur scène avant de trouver leur forme définitive en studio. Lines Redacted, en revanche, est le fruit d’un travail de maturation plus longue à domicile cette fois : écrit en fin de période électorale, en plein milieu d’une pandémie et avec une récession à grande échelle, persistante comme une tache sombre au bord d’un horizon de plus en plus étroit. Avec Lines Redacted, le groupe se dépouille de certains des aspects punk de ses débuts en faveur de quelque chose de plus progressif et sophistiqué, avec des tendances expérimentales. « Lines Discontinued » clôt l’album en grattant là où ça démange : la méchante coupure d’où jaillissent certaines des pensées de Hyndman sur la patrie, dans un tourbillon de guitares dont l’accélération fait penser au moment d’apogée du season finale dans une série.