Malena Zavala

La Yarará

Sortie le 17 avril 2020

Yucatan Records

« Quand j’ai commencé à faire de la musique, mon objectif était d’exprimer mes émotions, et d’apprendre à écrire et à produire la musique moi-même. Avec mon premier album Aliso, j’avais besoin de me confier. Mais avec ce deuxième album je voulais explorer et surmonter mes problèmes d’identité – le fait d’ignorer où est ma place. C’est un sentiment qui m’a suivi toute ma vie. »

On a tendance à se sentir comme un outsider lorsque l’on est né en Argentine de parents italiens et qu’on a grandi à Hemel Hempstead en Angleterre. Qui est-on ? D’où vient-on ? Comment sonne-t-on ? Langue espagnole, culture latine, nouvelle ville dans un comté anglais, qu’est-ce qui nous représente le mieux ?

« Je n’ai jamais trouvé ma place à l’école à Hertfordshire parce que mes parents étaient étrangers », raconte Malena Zavala. En fait, sa famille était doublement différente, composée intégralement d’architectes et de graphistes. « Ma famille baignait vraiment dans l’art, et j’ai grandi avec lui. Elle m’a poussée à faire des choses très créatives – je fréquentais les musées, les galeries d’art, les concerts –, mais l’école se limitait aux maths, à l’anglais et aux sciences. Mes professeurs n’ont pas tellement apprécié que je choisisse la musique, l’art et le design pour mon GCSE (General Certificate of Secondary Education). Et on était très peu nombreux à faire ces choix. »

Mais, comme sa mère le lui a expliqué, le destin de Malena, c’était la musique. « D’après ma mère, quand on est bilingue la musique vient plus naturellement, parce qu’on entend et on comprend les mélodies comme un langage. »

La chanteuse/compositrice/productrice et multi-instrumentiste Malena Zavala retrouve ses racines avec La Yarará, qui sortira le 17 avril sur Yucatan Records, un nouvel album riche qui nous transporte. Ce deuxième album est une magnifique lettre d’amour destinée à la culture qui coule dans ses veines, aux sons de son âme, aux rythmes dans ses os et au groove dans son cœur. Dix chansons éclatantes, des hymnes aux différentes facettes, couleurs, formes de la culture et de la musique latines : cumbia, reggaeton, afro-cubaine, afro-funk, folk andine, folk argentine, bolero-son. Le tout accompagné de la voix divine de Zavala, mélangeant espagnol et anglais.

« Le yarará est un serpent venimeux, une vipère, que l’on trouve en Argentine », explique Zavala à propos du titre de l’album. « Ce mot désigne également une femme insolente. Mes parents m’appelaient toujours comme ça, du coup j’ai choisi ce titre à moitié pour la blague. »

D’ailleurs, les percussions sur le title-track évoquent les mouvements sinueux et l’attitude d’un serpent.

« Sur cet album je voulais trouver chacun des rythmes et des styles latinos. Avec cette chanson j’ai commencé par le reggaeton, mais je voulais donner ma propre version. Et je voulais créer une chanson en colère. Et quand je le fais en live, c’est un défi, car je chante en général d’une manière douce », confie-t-elle avec un sourire. « Mais j’essaie d’invoquer ce yarará. »

Lorsqu’elle était une ado qui voyait beaucoup de concerts, Malena aimait Arctic Monkeys et Bombay Bicycle Club. Puis Arcade Fire et Devendra Banhart. « J’étais obsédée par les voix, par des chanteuses comme Feist et Cat Power. »

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Malena a commencé dans la musique au sein d’un groupe avec son frère, Oh So Quiet. Elle essayait d’écrire des chansons, mais : « Elles étaient vraiment nulles, du coup je me concentrais sur l’interprétation. Ensuite mon frère a rencontré une fille et est parti vivre à Los Angeles. Je me suis dit que j’allais faire mes propres trucs. Et j’ai écrit mon premier album. C’était la première fois que j’écrivais de la musique que je ressentais vraiment. Et ce que je ressentais, c’est que j’avais vraiment quelque chose à dire. C’est à ce moment-là que je me suis révélée. Avant je me laissais marcher dessus par tout le monde. Faire cet album m’a permis de devenir celle que je suis aujourd’hui. »

Malena Zavala a écrit, enregistré et produit elle-même ce premier album dans le garage de ses parents, en s’aidant de tutoriels sur YouTube, avec un microphone et une interface, et en seulement six mois. « J’étais obsédée », explique-t-elle avec un grand sourire, en ajoutant que sa grosse consommation de maté a été d’une grande aide. « C’est ce que boivent les architectes en Argentine au moment des examens. Ça contient tellement de caféine qu’on ne dort plus, et ça aide beaucoup pour la concentration. Du coup je buvais ça et j’étais à fond. Ça constitue une partie importante de cet album. »

Cependant Aliso est loin d’être un album nerveux ou hystérique. Il respire l’espace et la texture, et son exubérance s’inspire de l’idée proche de la méditation transcendantale de David Lynch développée dans son livre Catching the Big Fish.

Après la sortie d’Aliso en avril 2018 sur Yucatan Records, Malena Zavala est partie en tournée en Europe et au Royaume-Uni en première partie de Lord Huron et Men I Trust, avant de faire le tour des festivals. Elle a ensuite passé trois mois à écrire son album suivant à Tarifa, le point le plus au sud de l’Espagne. Et enfin, septembre 2019, Zavala et ses proches collaborateurs ont enregistré La Yarará en deux semaines aux studios Urchin à London Fields. « C’est un studio magnifique, tout en bois, un point très important dans l’enregistrement de l’album. Je voulais que ça sonne comme Buena Vista Social Club. Je voulais jouer avec la pièce, sentir ses murs et son sol en bois. »

Certains titres forts sont empreints de « hip-hop sombre argentin », « Naturaleza » et « Memories Gone », ce dernier étant un titre de musique de chambre pop gothique dans le style de Mazzy Star aux influences andines. « Je l’ai d’abord écrit comme un titre bedroom pop quand je travaillais sur Aliso. Mais je voulais qu’il soit lié aux autres nouvelles chansons. Du coup j’ai ajouté le ronroco, une sorte de ukulélé latino-américain à dix cordes dont jouait mon petit ami. »

Au cœur conceptuel de l’album l’on trouve le réconfortant « Identity », avec sa phrase clé : “No place holds my heart.” C’est une chanson de déracinement et de nostalgie « qui représente tout l’album. Elle parle du fait que je ne trouve ma place ni en Argentine ni en Angleterre. La vérité c’est que j’ai passé ma vie à voyager. Le concept, c’est le fait que, où qu’on aille, quelles que soient les expériences que l’on vit au sein des cultures dans lesquelles on vit, tout cela nous façonne. J’avais donc cette idée d’une personne qui est tous les endroits qu’elle a traversés, pas celui où elle est née ».

Le single « I’m Leaving Home », est une complainte blues. Voici ce qu’en dit Malena : « Le choix de chanter dans telle ou telle langue n’est pas conscient. Mais avec ce morceau-là, le rythme n’est pas très latino, et il parle de mes parents, et de mon point de vue sur le foyer, c’est pour ça que l’anglais m’a paru approprié. »

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Voilà donc les mots et les mondes de Malena Zavala. Elle incarne un nouveau talent anglo-latino, avec une perspective unique de composition sur ses origines, ses objectifs, et des espaces où sa musique peut nous emmener. « Grâce à cet album j’ai compris combien l’Amérique du Sud est un melting-pot de gens, de cultures, de politiques – et il s’y passe beaucoup de trucs terribles aussi », confie-t-elle à propos de cette partie du monde en proie à des crises environnementales et des agitations politiques. Elle mentionne également Cent ans de solitude de Gabriel García Márquez : « Il écrit sur le fait que l’Amérique latine est coincée dans un cercle perpétuel d’erreurs et qu’elle ne s’en sortira pas tant qu’elle n’aura pas pris conscience de son importance et de son existence. C’est une chose que j’ai constatée moi aussi, et c’était important pour moi de m’en rendre compte, et de le respecter. Je pense que ce sentiment habite l’album et les chansons. C’est pour cette raison que dans chacune des chansons on retrouve des aspects différents – « En la Noche » a un beat cumbia et des tonnes de guitare psychédélique. Le but est de piocher dans la myriade de parties qui constituent tout ce que peut être ce continent. »

Des objectifs aussi hauts que les sommets de la cordillère des Andes. Avec La Yarará, Malena Zavala les a brillamment, effrontément et magnifiquement atteints.