M. Ward

Supernatural Thing

Sortie le 23 juin 2023

ANTI-

A plusieurs reprises, en découvrant Supernatural Thing de M. Ward, je me suis demandé en quelle année nous étions. En 1952, et j’écoutais un morceau de l’anthologie de la musique folk américaine de Harry Smith ? En 1972, et j’assistais à la session d’enregistrement de After the Gold Rush ?

 

Non, nous sommes en 2023, et M. Ward est l’un des rares artistes contemporains à susciter de telles questions. Ward maîtrise en totalité le vocabulaire de la musique populaire américaine et a pris des décisions drastiques sur la manière de l’employer à son compte. Ce que Ward partage avec les artistes de Harry Smith ainsi qu’avec Neil Young, ce sont des valeurs artistiques et humaines : l’authenticité et l’intimité. Les chansons originales de Supernatural Thing semblent fraîchement sorties de terre, un léger dépôt de glaise sur la peau. Les paroles de Ward ont ce je ne sais quoi de cru que l’oreille chérit, et sa voix est d’une dignité calme et d’une grande tendresse. Supernatural Thing est un album chaleureux et accueillant.

 

Les invités – First Aid Kit, Shovels & Rope, Scott McMicken, Neko Case, Jim James et d’autres – apportent leur lot de surprises à l’album. Sur « Too Young to Die », les voix féminines de First Aid Kit recouvrent la mélodie d’un doux glaçage, et leur refrain à la Beach Boys sur « Engine 5 » confère à la chanson l’allure d’un tube instantané. L’ensemble du programme donne l’impression d’une maison ouverte, rappelant les fêtes organisées avant la pandémie. C’est lors de ces soirées à San Luis Obispo, au milieu des années 1990, que j’ai entendu pour la première fois la musique de M. Ward. Il était encore étudiant, écrivait ses premières chansons et apprenait le vocabulaire qu’il utilise aujourd’hui avec une assurance si tranquille.

 

Je l’ai interrogé sur la chanson titre, dans laquelle Elvis Presley apparaît avec un message : You can go anywhere you please, – Vous pouvez aller où vous voulez. « En fait, toutes mes chansons dépendent dans une certaine mesure d’une imagerie onirique, a-t-il répondu, et il s’agit d’un véritable rêve que j’ai fait sur Elvis, au cours duquel il est venu me voir et m’a dit ça. Je ne sais pas si c’est lié à la pandémie ou pas. » C’est dans cette chanson que Ward chante “you feel the line is growing thin / between beautiful and strange” (« vous sentez que la frontière est de plus en plus mince / entre le beau et l’étrange »), ce qui, lui ai-je dit, résume bien la tonalité affective de l’album. Il a acquiescé.

 

« Le titre “Supernatural Thing” vient de quelque chose que je me suis dit très tôt, quand j’étais petit, sur le fait que la radio voyage sur les mêmes ondes que les messages émanant du monde surnaturel, et que la musique, en particulier celle dont on se souvient, est d’une certaine manière liée à cet échange », poursuit-il.

 

« L’envoi et la réception de messages provenant de la mémoire et des rêves semblent se dérouler sur cette même longueur d’onde, souvent fragmentée. De cette manière et de bien d’autres, je vois ce nouveau disque comme une extension, 18 ans plus tard, de mon disque Transistor Radio. Mais ce nouveau disque est meilleur parce qu’il est plus concis et contient plus de voix et plus d’ambiances, – comme l’était et l’est toujours ma radio préférée. »

 

J’ai également posé des questions sur les artistes invités, en particulier First Aid Kit, un nom nouveau pour moi. « First Aid Kit est un duo de sœurs jumelles originaires de Stockholm, et lorsqu’elles ouvrent la bouche, quelque chose d’incroyable se produit, m’a répondu M. Ward. C’était très excitant d’aller à Stockholm et d’y enregistrer quelques chansons. Le chant des artistes liés par le sang est unique : The Everly Brothers, The Delmores, The Louvins, The Carters, The Söderbergs nous étreignent tous de la même manière avec leur voix. »

 

Huit des dix chansons de l’album sont des compositions originales de Ward. Il y a également une reprise de Bowie, avec la chanson « I Can’t Give Everything Away » issue de Blackstar, ainsi qu’une interprétation en direct de « Story of an Artist » de Daniel Johnston. « Bowie et Johnston sont des sources d’inspiration constantes pour moi, et ce depuis je ne sais combien d’années, explique M. Ward. En entendant la relecture de Bowie, si différente de l’enregistrement original, je me suis souvenu d’une soirée passée il y a longtemps à San Luis Obispo, lorsque Ward, en solo acoustique dans un café, a chanté « Let’s Dance » sous la forme d’une ballade très lente, faisant ainsi ressortir le désir solitaire que la version originale si extravertie se contentait de suggérer.

 

« Quand on ne peut pas sortir et voir les choses par soi-même, la radio reste pour moi le meilleur moyen d’entrer en contact avec le monde extérieur. Qu’il s’agisse de musique, de débats, d’informations ou de politique (FM, AM ou satellite, j’ai réappris tout ça pendant le confinement), la radio est en constant changement sous l’influence de quelqu’un de lointain qu’on ne connaît pas, et un tel échange contient beaucoup d’éléments dont on peut s’inspirer pour faire des disques. »

 

 

James Cushing