Lonelady

Former Things

Sortie le 25 juin 2021

Warp

« Former things I used to think, used to feel.

Are you still inside me ? or are you former ? »

(« Mes pensées d’avant, mes sensations d’avant.

Etes-vous toujours en moi ? ou restées dans le passé ? ») – LoneLady

Une ville n’est pas figée. Elle est façonnée par les gens qui y vivent et les évolutions qui l’embellissent ou l’altèrent, chemin faisant, vers son renouveau. Le cycle de vie d’une ville a quelque chose de mythique. Ses origines font souvent débat ; enjolivées, ses fondations se confondent avec ses premiers peuplements, enfouis en profondeur, tout comme leurs récits. Tiraillée entre le passé et le présent, les friches industrielles de Manchester, sa ville natale, et les murs d’un stand de tir souterrain de la marine datant du XVIIIème siècle, LoneLady explore la dualité entre travail de mémoire et pensée positive sur son nouvel album, Former Things. Former Things sortira chez Warp le 18 juin.

Beyond the threshold of childhood,

turning back to that dim country, now glowing and receding

my reportage of yearning, mourning, warning

via the funk and crunch of eight

electro constructions…

(Au-delà du seuil de l’enfance,

revenant en ce pays lointain, maintenant brille et s’estompe

mon reportage sur le désir, le deuil, l’avertissement

au gré du funk et du crunch de huit

constructions électro…)

Un scintillement de télé cathodique dans une chambre d’ado plongée dans l’obscurité. Juste derrière la fenêtre, la lumière orangée d’un réverbère. Espoirs, ambitions, rêves… où sont-ils maintenant ? Appartiennent-ils au passé ?

Comme son nom l’évoque, LoneLady écrit, interprète et enregistre sa musique de A à Z. Elle bâtit ses propres univers sonores au cours d’un processus de création solitaire. Là où les précédents albums accueillaient à l’occasion un autre être humain (un batteur), avec Former Things ce n’est plus le cas.

Cette fois, LoneLady a programmé tous les beats et les séquences, troquant sa guitare Telecaster pour un échantillon éclectique de synthétiseurs et de machines, dont le potentiel créatif illimité fournit les bases pour mener l’album dans une direction nouvelle.

Au cœur de cet album, on trouve une collection de boîtes à rythmes, de séquenceurs et de synthés qui emportent la musique de Julie Campbell vers des territoires plus électroniques et orientés dancefloor sans oublier pour autant ses compositions techno antérieures et son jeu de guitare post-funk. Les synthés et les beats bruts frappent un grand coup avec des enchaînements et des motifs contrapuntiques funk et crunch qui se frayent un chemin à travers huit morceaux endiablés. C’est un pas au-delà du paysage musical de son album Hinterland, qui tranchait de par le son punk-funk, funk-pop d’un morceau dance de six minutes mis en avant à quatre reprises par BB6 Music ; un pas au-delà également du jeu de guitare austère et heurté de son premier album, Nerve Up.

Former Things est né lors d’une résidence que LoneLady a entreprise aux Somerset House Studios en 2016. Elle a exhumé des souvenirs de sa maison à Manchester, puis les a décortiqués dans le stand de tir du XVIIIème siècle qu’abrite bâtiment où se situent les studios, entourée par le bourdonnement et le bruit blanc d’un endroit étrange et néanmoins fascinant.

« J’avais faim d’un nouveau décor. Je suis née et j’ai grandi à Manchester ; dans ma ville natale j’ai l’impression de déambuler dans un gigantesque journal intime vivant, une archéologie de moi-même, avec ses couches de souvenirs. Après plusieurs rencontres en 2016 avec Marie McPartlin, la directrice des studios Somerset House, j’ai déménagé de Manchester à Londres pour devenir membre du studio. J’ai monté un nouveau studio dans « The Rifle Range », un stand de tir de la marine datant du XVIIIème siècle. Dans cette longue et étroite salle de béton, j’ai installé mon studio pour en faire à la fois une installation artistique et un club où je pouvais monter le volume et projeter des clips en Super 8 de Cabaret Voltaire et des films d’Ingmar Bergman sur les murs de pierre. J’étais dans le cœur vivant de la ville, non loin de Trafalgar Square et de Buckingham Palace – ça me changeait pas mal de mes studios précédents nichés dans les friches de la périphérie de Manchester.

Ce n’est pas comme si Former Things était un disque “londonien” mais il a été écrit durant une période de changement et un afflux de nouveaux stimuli… Nouvelle ville, nouvel équipement, nouveaux processus d’écriture. Ce n’est pas non plus un “disque de pandémie”. Je l’ai principalement écrit à Somerset House entre fin 2016 et 2018, avant une période de stagnation et une reprise du travail en 2019-2020, avant de terminer l’album pour de bon, en travaillant à nouveau avec Bill (Skibbe, co-producteur de Hinterland) au cours d’une série de sessions sur Zoom entre Manchester et le Michigan de septembre à décembre 2020.

L’album de Cybotron Clear (1983), Cabaret Voltaire à l’époque de Drinking Gasoline (1985), Arthur Baker et Neneh Cherry étaient quelques-unes des principales influences dans mon esprit alors que je mettais en place mon nouveau studio et m’aventurais dans de nouveaux processus techniques et créatifs.

Je voulais toucher à de nouveaux jouets, et mettre de côté la guitare, mon principal outil d’écriture jusque-là, m’a forcé à une nouvelle approche. Je voulais créer des motifs de synthé coups de poing et un crunch électro percutant.

Au cœur de la configuration il y avait un séquenceur analogique MIDI Doepfer, associé à deux synthés analogiques, un Arp Odyssey et un Korg MS-10, très présents sur le nouvel album, en plus d’une série de synthés numériques, de boîtes à rythmes, de samplers et de pads de percussion.

L’album est un patchwork de différentes boîtes à rythmes – des classiques comme une 909 et une Linn LM-1, des machines plus récentes telles que la boîte à rythmes MFB-Tanzbar ainsi que des couches de samples de boîtes à rythmes vintage tels que l’Oberheim DMX et l’E-MU Drumulator.

Dans ma tête c’est aussi un album pop et c’est mon instinct naturel qui me pousse à essayer d’orner mes chansons d’autant de hooks et de moments accrocheurs que possible. Je pense que c’est ce qui a donné plus de chaleur lors de l’écriture à un beat et à des synthés assez secs à l’origine. »

Le morceau d’ouverture, « The Catcher », nous plonge dans les tout nouveaux univers sonores de LoneLady. Les séquences mordantes du Korg tremblent à l’intérieur des rythmes au cordeau de l’Oberheim DMX et des percussions franches du Roland ; les cordes froides et inconfortables ainsi que les paroles terrifiées créent une austérité qui rappelle son premier album. « (There Is) No Logic » marque une étape, avec son électro percutante et son énergie R&B. Les échos de Neneh Cherry, Janet Jackson, Arthur Baker et du New Order de l’époque « Confusion », sont saturés de l’électro-funk du Cabaret Voltaire du milieu des années 80. S’inspirant des images de « Memento Mori » – une forme d’art médiéval qui nous rappelle que nous sommes mortels – le morceau est une nouvelle interprétation de cet avertissement, mis à jour et repensé. Un paysage sonore funk, crunch et vocodeur-esque nous attend sur « Fear Colors ». Les samples de l’Akai MPC grincent comme des pistons, les cordes tremblent et les synthés crissent de façon menaçante sur fond de présage, d’enquête et d’inquiétude.

Le tranchant est adouci par le sépia de la chanson titre, « Former Things ». Les cordes nostalgiques, le glockenspiel étincelant et les cymbales chatoyantes évoquent des souvenirs lumineux en Super 8 et des réflexions mélancoliques sur l’âge d’or perdu de l’enfance et de la jeunesse. Le récit de la temporalité est au centre dans « Time Time Time ». Des guitares rebelles y poussent leurs cris au milieu de séquences puissantes mêlant gros riffs de piano et samples de caisse claire Linn dans une course éperdue contre le passage du temps.

« Cette chanson ressemble à un animal indomptable… » explique LoneLady. « Les riffs de piano proviennent d’un Korg Triton que Brian Eno m’a donné ! Il est au conseil d’administration de Somerset House et il a visité mon studio plusieurs fois. Nous avons discuté de l’équipement et un synthé est arrivé à l’improviste devant la porte de mon studio une semaine plus tard. Je me débattais avec le titre de cette chanson depuis un moment, mais à la fin j’ai senti que “Time Time Time” avait une saveur romantique, une sorte de majesté élégiaque comme chez Auden ou T.S. Eliot. »

Des souvenirs qu’elle croque tout au long de Former Things, Lonelady trace les contours d’un paysage mythique, elle crée une psychogéographie rythmée par ses créations dance à la fois exigeantes et ondoyantes, et la dualité ineffable qui l’habite, saisie sur la couverture de l’album. La couverture dépeint une LoneLady en communication avec une Jeanne d’Arc en pleine bataille, se construisant à travers les rues à l’éclairage orangé de son passé, portant une bannière médiévale ornée du titre de son album cousu à la main.

« On est dans l’idéalisation et le mythe… » explique-t-elle au sujet de l’artwork qu’elle a créé. Nous nous tournons souvent vers les légendes, les mythes et les rituels anciens pour y trouver du réconfort et nous rassurer lorsque nous nous remettons en question dans les moments difficiles. C’est l’idée d’élever ou de rendre quelque chose sacré. Sur le plan personnel, je brandis littéralement une bannière en souvenir de quelque chose qui a été perdu : la magie de la jeunesse, le sentiment que je ne suis plus la personne que j’étais… des thèmes éternels qui nous concernent tous. Les paroles se concentrent sur le deuil et la quête de ce moi perdu, de l’émerveillement et de l’optimisme propres à l’enfance. Ce que je veux dire c’est que ces choses d’avant méritent qu’on les convoque. »

Deuil et mythification font écho au travail de l’un des artistes préférés de LoneLady, George Shaw, qui, dans ses peintures obsessionnelles de scènes de sa jeunesse, élève les années de formation et la mémoire au rang du sacré :

« I started to make these paintings out of a kind of mourning for the

person I used to be : an enthusiastic, passionate teenager who read

art books & novels & poems & biographies & watched films & TV &

listened to music & dreamed. »

(« J’ai commencé à réaliser ces peintures dans une forme de deuil de la

personne que j’avais été : un adolescent enthousiaste et passionné qui lisait des livres d’art et des romans et des poèmes et des biographies et voyait des films au cinéma et à la télévision et

écoutais de la musique et rêvait. ») – George Shaw

C’est la même question centrale qui brûle sans relâche tout au long de l’album, que ce soit à travers les paroles, les beats, les séquences : où est passée cette splendeur de la jeunesse ? Est-elle toujours là ?

Former Things est un assemblage lumineux de ces souvenirs que nous tenons à préserver : un mythe que nous protégeons dans notre être, pour en garder la trace malgré le temps qui passe et nous en inspirer toujours.