Le collage de France

Rue des Boulets EP

Sortie le 27 janvier 2023

Les Disques Pavillon

En intitulant son nouveau projet musical Le collage de France, Rémi Nation (aussi à l’origine du groupe Orouni) rend hommage à l’esprit populaire et universaliste qui anime le Collège de France – dispensant depuis 1530 des cours gratuits dans tous les domaines des lettres, des sciences ou des arts -, et dans un même temps, affirme, avec ses chansons pop, mélodieuses et richement orchestrées, une vision de l’Hexagone comme mosaïque, assemblage hétérogène : une reconstitution harmonieusement cimentée par la devise républicaine au fronton des écoles. Les idées de liberté, d’égalité et de fraternité traversent en effet ces quatre chansons du premier EP Rue des Boulets (à paraître le 27 janvier 2023, Les Disques Pavillon), dans lesquelles Rémi Nation conjugue son goût pour la pop, celle qui cache derrière une apparence de simplicité des trésors de sophistication (couplets de narration, refrains entêtants, progressions entraînantes, arrangements foisonnants) et son intérêt pour la langue française, par de nombreux jeux de mots, homophonies, analogies ou métaphores, et un usage raffiné et ludique de la polysémie. Ainsi « Régine », étrange requiem de guitare acoustique, mbira et chœurs évanescents de Laura Etchegoyhen (Cabane, Frànçois and The Atlas Mountains), multiplie fausses pistes et chausse-trappes sonores entre signifiant et signifié : entend-on « police » ou « peau lisse » ? S’agit-il de « la première araignée » ou « la première à régner »  ?

 

De « C’est interdit », où une femme lumineusement incarnée par la chanteuse Cyriane Girouard liste les injonctions paradoxales que le pouvoir oppose à sa quête de liberté, à « Mutique » où Rémi Nation lui-même adresse sa complainte à une interlocutrice énigmatique et sempiternellement silencieuse, Le collage de France déploie une musique pop ambitieuse et spacieuse. Soutenues par l’imperturbable socle rythmique du batteur Antoine Kerninon (Jil Is Lucky) et de la bassiste Théodora de Lilez (Barbagallo, Lucie Antunes), les guitares coloristes de Jérôme Pichon (Canari, Barbara Carlotti) et les savantes orchestrations de cordes et de claviers de Mathieu Geghre (O – Olivier Marguerit, The Rodeo) font varier les ambiances, de la synthpop aérienne au psychédélisme baroque. La flûte d’Arnaud Sèche (Forever Pavot, Ojard) et les chœurs affirmés de Cyriane Girouard, Marie Pierre et Laura Etchegoyhen donnent un peu plus de souffle encore à cet ensemble virtuose.

 

Elli & Jacno sur le divan de Lacan, Bashung devisant avec Bourdieu, Michel Butor jouant aux cadavres exquis avec Juniore, Gainsbourg répondant au « en même temps » macronien par des expressions à double sens ou à tiroirs, voilà quelques-uns des invités de cette pop francophone amusée, où les sons et le sens se télescopent en un état des lieux doux-amer, un portrait à la fois dur et tendre de la France et des Français en 2022.

 

Ainsi Rémi Nation se plaît-il à souligner l’ambiguïté qui sans cesse habite les mots, les conversations et les discours, et l’incompréhension qui en découle. Opposant la perception du son (le collage) à la recherche du sens (le collège), il fait de l’évidence pop le support inattendu d’un flow rimé d’associations d’idées, pas si éloigné linguistiquement de certains rappeurs d’aujourd’hui. Ses chansons, aussi politiques que poétiques, parlent des relations entre les gens, de leurs difficultés à s’entendre, à se comprendre, à s’aimer. Prêtez-leur l’oreille, elles vous le rendront bien.