Holy Fuck

Deleter

Sortie le 17 janvier 2020

AWAL

Le quatuor canadien Holy Fuck a toujours aimé suivre son propre chemin. Il ne cherche pas la célébrité, il ne fait pas une musique opportuniste, il joue selon ses propres règles depuis quinze ans et cinq albums. C’est pour ça qu’il est un des meilleurs, et des plus influents, groupes les plus exportés du pays, avec un son énergique et technicolor, souvent imité mais jamais égalé.

 

Les Holy Fuck, qui ont tout de même attiré l’attention de la planète mainstream grâce à leur présence sur la BO de Breaking Bad et Mr Robot, ont malgré tout continué d’aller à contre-courant dans un paysage musical qui privilégie et porte aux nues la sécurité et le prévisible plutôt que la marginalité et l’acharné. A une époque où la capacité d’attention est quasi nulle et où les angoisses se multiplient, le cinquième album studio de Holy Fuck, Deleter, est comme d’habitude une œuvre généreuse. Polyrythmique, concentré sur le plaisir, Deleter voit Brian Borcherdt, Graham Walsh, Matt Schulz, et Matt « Punchy » McQuaid emmener leur son signature très dense jusqu’à de nouveaux sommets créatifs, fusionnant l’énergie du krautrock et l’intensité de la deep house, mélangeant habilement percussions motorik ronronnantes avec l’espèce de pétillement synthétique qui met en transe les clubbers.

 

Depuis le minimalisme dynamique du titre d’ouverture « Luxe » jusqu’à l’halètement triomphal du dernier titre « Ruby », en passant par le tube club « Free Gloss » et le fracas cosmique de « San Sebastian », Deleter est un album à l’image de Holy Fuck, unique en son genre.

 

L’inspiration leur vient de plusieurs sources un peu improbables, comme l’émission canadienne Electric Circus. Version club-friendly très réussie du Top of the Pops britannique, Electric Circus, aux yeux de Holy Fuck, représente la cristallisation d’une époque musicale qui s’étale de Technotronic jusqu’à TLC – un point de contact pour un groupe qui a toujours essayé de faire danser les gens à sa manière.

 

Comme Brian le dit, Deleter est en partie une tentative de « faire la paix » avec la musique dance populaire pendant son adolescence – adolescence passée bien davantage avec Black Sabbat plutôt que Black Box. « On essayait de sortir de l’impasse. Aujourd’hui on fait complètement partie du monde de la dance. Et c’est ce genre de musique dance que j’aime. »

 

Plus qu’une influence musicale, le sentiment désinvolte de libre expression de l’émission – les costumes très colorés portés par les gens du public et les danseurs semblables aux sessions de danse complètement désinhibées dans chaque épisode – s’est incorporé à l’énergie cinétique qui pousse Deleter jusqu’à des territoires encore inexplorés.

 

Deleter et Electric Circus explorent les effets d’une union entre humains et technologie pour former une unique et gigantesque célébration semi-organique des joies de la spontanéité, de la répétition et de l’individualité.

 

Rester fidèle à son identité était un objectif crucial pour le groupe au cours de la création de l’album. « Depuis le début l’approche a été d’essayer de faire quelque chose de très musical à partir de quelque chose qui n’est pas censé être musical à l’origine », explique Brian.

 

Ce qu’il veut dire, c’est que la seule constante d’une carrière dédiée à l’exploration de territoires inconnus à chaque album réside en une approche intrépide du sens musical, avec pour objectif de toujours trouver l’humanité inhérente à la technologie.

 

« A l’époque du dernier album on a peut-être senti qu’on avait fait ça suffisamment longtemps pour avoir inventé notre propre langage. Je nous trouve plutôt uniques, et j’espère que notre musique existe dans son propre monde. Ce n’est pas si facile à faire. C’est un processus qui requiert beaucoup de dévouement, de foi, mais je crois qu’on fait ça depuis assez longtemps pour connaître par cœur ce langage. »

 

Deleter a un peu été écrit sans prise de conscience. Non conformistes dans l’âme, Holy Fuck ont évité les habituelles résidences d’écriture pour façonner l’album. Il n’y a eu aucun séjour romantique dans une cabane retirée dans les bois, ils ne se sont pas non plus employés à trouver l’inspiration au fond des pintes de bière. Au lieu de ça, la base du vocabulaire de Deleter a été formée par une série d’esquisses sonores prises par-ci par-là au cours de balances et de sessions de répétitions. Ces jams, ces enregistrements live, ces bribes d’idées ont été ensuite étoffées via un processus intercontinental pour finalement donner neuf chansons.

 

Brian avoue que, avant les sessions dans différents studios, il se sentait isolé, un peu déprimé, sans grand enthousiasme. « Et puis j’ai ouvert l’un de mes dossiers qui contenait tous ces jams. Et tout d’un coup, j’ai eu une révélation. Genre : “Notre album est presque fini !” »

 

Une succession d’« heureux accidents », comme le dit le groupe, leur a permis de partager leur temps entre des studios à Brooklyn, les Catskills, la campagne de l’Ontario et finalement Dartmouth, en Nouvelle-Ecosse.

 

L’album est l’image d’un groupe qui dépend manifestement d’un sentiment de créativité effrénée et du chaos qui émerge lorsque l’hydre à quatre têtes que sont les Holy Fuck se retrouve en tandem.

 

« Ca arrive quasiment à chaque fois qu’on joue ensemble », dit Brian. « Ca fait partie du processus quand on est quatre personnes à jouer la musique qu’on fait. On voit ça comme un jeu, et c’était une version passionnante du jeu d’échecs. Et dans ce jeu on a une alchimie, de l’euphorie, une catharsis. »

 

Graham ajoute : « Lorsque nous jouons en live, il y a un moment où, tous les quatre en train de jouer, on est comme en lévitation. C’est dans ces moments-là qu’on sait que quelque chose est vraiment en train de se passer. C’est l’euphorie. »

 

Le groupe l’affirme : « Les robots n’ont jamais été aussi intelligents qu’aujourd’hui, et l’algorithme apprend de plus en plus de choses sur ce que nous aimons en tant qu’individus, mais nous devons garder à l’esprit qu’il y a de la musique dans les marges qui peut disparaître, et que c’est cette musique qui est plus importante que jamais. »

 

Marginal ou pas, Deleter est le son de Holy Fuck se baladant dans leur propre écosystème. En tant qu’auditeur on a le choix – continuer une consommation passive qui ravira l’algorithme, ou se lancer et s’engager dans quelque chose qui mérite vraiment notre attention. Quelque chose comme Deleter.