Hand Habits

Fun House

Sortie le 22 octobre 2021

Saddle Creek

A un moment, au milieu de Fun House de Hand Habits, l’artiste Meg Duffy lance la question suivante : « Combien de fois dois-je rembobiner la bande ? » (« How many times must I rewind the tape ? ») C’est une question pertinente, directe, posée en plein centre d’un disque audacieux dans ses recherches sonores et largement attaché à donner du sens et à faire le bilan. Combien de temps devons-nous passer à examiner notre propre passé pour le comprendre complètement ? Comment reconnaître la douleur en toute sécurité afin de s’en décharger et de réaliser pleinement qui nous sommes censés être ? Amortie par des cordes, des synthés et les à-coups légers d’un tambourin, la bien nommée chanson « The Answer » met en exergue le cœur sensible qui anime le disque. « Je connais la réponse » (« I know the answer »), chante Duffy, « Voici ce que j’espère trouver – c’est toujours à moi. » (« Here’s what I hope to find – it’s always mine. »)

 

Fun House est l’album de Hand Habits le plus ambitieux de Duffy à ce jour. Produit par Sasami Ashworth (SASAMI) et développé par Kyle Thomas (King Tuff), l’album n’a pas été conçu comme une réaction à la pandémie, mais comme le résultat d’un moment de pause difficile, bien que nécessaire. « Quand la pandémie est arrivée, tout s’est arrêté, se souvient Duffy. J’étais en tournée depuis cinq ans, à la fois pour moi et avec d’autres groupes, et je n’écrivais pas beaucoup. J’avais mis la pédale douce en matière de voyages et d’emploi du temps, de sorte que je n’avais pas vraiment le temps de réfléchir à ce que je ressentais ou de faire le point sur moi-même. Puis, quand le monde s’est littéralement arrêté, il s’est trouvé que ça a été la plus longue période de solitude de toute ma vie – sans que j’ai quelqu’un, sans que je sois sur la route, sans travailler jusqu’à l’épuisement – et le résultat était vraiment une sacrée merde. J’ai appuyé sur les freins et tout ce que j’avais psychologiquement repoussé et ignoré ces dernières années est soudainement passé au premier plan. »

 

Ce qui a commencé comme une prise de conscience très personnelle s’est finalement transformé en un moyen fructueux et pratique de créer une nouvelle musique. Vivant à Los Angeles et partageant une maison avec Ashworth et Thomas, qui y possède également un studio, Duffy a commencé à donner corps aux chansons qui allaient devenir Fun House. Enhardi.e par sa thérapie et encouragé.e par Ashworth à donner aux chansons des formes inattendues, Duffy a créé sa musique la plus personnelle et son style le plus audacieux. Les nouvelles chansons sont également devenues un prisme à travers lequel Duffy a pu commencer à s’épanouir d’une nouvelle manière.

 

« J’ai ressenti un changement drastique dans la façon dont je percevais le monde et dont je me percevais moi-même, en passant par certains schémas émotionnels et comportementaux, et en les démontant vraiment, explique Duffy. Sasami m’a donné les moyens d’occuper beaucoup d’espaces sonores différents et m’a mis au défi de repenser ces limitations que j’avais concernant ma propre identité. Je ne me permettais pas d’entrer dans certains rôles à cause de la petite boîte dans laquelle je me fourrais, à cause de toutes ces fausses histoires que j’avais fini par croire à mon sujet. Je pense que cela coïncide aussi avec mon identité transgenre, parce qu’une grande partie de ce voyage pour moi a été une lutte contre ce que je n’ai pas “le droit” d’être. »

 

Bien que Fun House partage certaines des caractéristiques des précédents albums de Hand Habits – une sorte de sensibilité queer extrême et une subtile vulnérabilité – le disque s’éloigne nettement des tonalités souvent feutrées du Placeholder de 2019 et du Wildly Idle (Humble Before the Void) de 2017. Au lieu de cela, les morceaux sur Fun House étincellent, ils vont dans des directions inattendues en évitant tout genre spécifique.Des morceaux comme « Aquamarine » et « More than Love » racontent la perte, le désir romantique et le traumatisme d’enfance dans une synthpop raffinée (« Suicide / Lost a life / Well then who am I ? / Why can’t you talk about it ? » –  « Suicide / Vie perdue / Alors, qui suis-je ? / Pourquoi ne peux-tu pas en parler ? »), tandis que « Gold Rust » et « Concrete and Feathers » ont un côté brutal à la Neil Young. Son ami et collaborateur Mike Hadreas (de Perfume Genius) apporte sa contribution vocale sur « No Difference » et « Just to Hear You ». Cela constitue l’un des moments les plus optimistes du disque, sa voix offrant un contrepoint parfait à celle de Duffy. Le mélange des styles, associé à des chansons qui voyagent habilement entre le présent et le passé, confère à l’album une diversité sauvage, de galerie des glaces, comme son nom l’indique. Alors que les précédents disques de Hand Habits s’avéraient des histoires assez insulaires, tant dans leur création que dans leur exécution, Fun House semble bouillonnant, luxuriant, pleinement accompli.

 

« J’aime que l’idée de « fun house » puisse avoir tant de connotations différentes, dit Duffy. On est désorienté, avec toutes ces différentes pièces, leurs énergies et leurs émotions variées. Notre environnement risque d’être manipulé mais on s’y engage. J’aimais beaucoup le fait que nous prenions des risques, que ces chansons sonnent très différemment tout en ayant un sens ensemble. Une grande partie des démos de ce disque étaient en fait juste des chansons folk – plutôt lentes et clairsemées – mais le plus amusant était de penser à ce qu’elles pourraient devenir. Que se passerait-il par exemple si nous faisions de cette histoire de perte d’identité parfois littérale et vraiment traumatisante une chanson dance ? Ou si nous intégrions cette confession secrète sur les comportements compulsifs dans un bel arrangement a capella à la Beach Boys ? Oui, faisons ça. »

 

En fin de compte, les onze morceaux de Fun House figurent un tournant, un moyen de traiter le chagrin, les traumatismes et la guérison tout en parvenant à une compréhension plus profonde de notre propre histoire et de ce que cela signifie d’être en pleine possession de ses moyens. C’est aussi, ainsi que l’imagine Duffy, un témoignage de la force d’une communauté créative.

 

« Je suis une personne qui aime la collaboration et c’est de ça que je me nourris, explique Duffy. C’est pourquoi je joue constamment dans les groupes des autres – Perfume Genius, Kevin Morby, Sylvan Esso, etc. – et sur les disques des autres. Circuit ouvert, énergie nouvelle, flow et perspectives, pour moi c’est tout ça. J’aime me glisser dans ces autres rôles et prendre la direction des opérations. Cette fois-ci, je voulais vivre cette expérience avec ma propre musique. Je pense aussi qu’il est bon de prendre du recul parfois et de s’interroger sur sa propre manière de faire et sur la raison pour laquelle on fait ce qu’on fait. Si je fais de la musique, c’est parce que j’ai envie de me connecter aux gens. Je ne m’adresse pas à quelqu’un en particulier quand je chante une chanson. Je parle à Dieu. Je parle au vide. C’est un peu comme jeter un sort. Et si cette chanson vous touche, je ne pense pas que ce soit tant par la tragédie de ma vie ou de mon expérience, que par le fait que vous pouvez vous identifier. On souhaite que les gens soient capables de projeter leurs propres expériences sur le sentiment qu’on essaye de créer et de communiquer. C’est comme ça que le sort fonctionne. Pour que les autres puissent le ressentir, je dois m’assurer que je le ressens aussi. Et avec ces chansons, c’est vraiment le cas. »