Françoiz Breut

Flux Flou de la Foule

Sortie le 9 avril 2021

62TV Records

Les sacrilèges de Françoiz s’accumulent tout au long dun septième (comme les péchés capitaux) album vertigineusement ardent, parcouru par des éclats de rire, de vie et de vit. Au feu : les réacteurs sont en fusion ! Les membres sembrasent sous le soleil, exactement. Les langues brûlent à force de se nouer et se délier. En une atmosphère caniculaire, les corps sentremêlent tandis que lhorloge tourne, ralentie par une chaleur anormale. Esprit freudien mal placé ? Nous avons lu Comme des Lapins au lieu de Comme des Lapons (premier titre de l’album) et percevons la luxure dans chaque beat et palpitation de veine rythmant ces dix morceaux vibrants, épidermiques, qui se dégustent à l’horizontale, absolument. Après avoir traversé le Zoo que la chanteuse conviait à visiter en 2016, lauditeur se promène dans la jungle urbaine, parmi coléoptères voletant et autres inquiétants insectes kafkaïens, invité à cher prise dans «un brasier immense », «un tourbillon d’éclairs magnétiques », en l’état extatique dune Sainte Thérèse d’Avila, prise de convulsions, saisie par Le Bernin. Pour son titre Métamorphose, Françoiz s’est souvenue, « du Sein, roman de Philip Roth contant lhistoire dun homme se transformant en poitrine et de louvrage de Philippe Limon, Phallus, mésaventure dun personnage qui se découvre, le jour de Noël, sous la forme dun sexe géant.»

Elle posait sa voix pour la première fois en 1993, sur le second album de Dominique A, et sortait son premier disque (sobrement éponyme) en 1997. La chirurgienne des sentiments et scruteuse des mœurs contemporaines na rien perdu de sa colère, sa curiosité et son appétit. Ce nouveau chapitre de sa déjà riche carrière est né du désir d’épancher sa soif dexpériences musicales inédites. La fructueuse collaboration Neneh Cherry / Four Tet dans la ligne de mire, Françoiz fait confiance à ses fidèles collaborateurs et électroniciens Roméo Poirier et Marc Melià qui font rimer électronique et organique. Un disque kraftwerkien ? Sans aucun doute, à l’écoute de Juste de passage, voulu, selon l’intéressée, comme « une description de paysages routiers, de la cadence des autoroutes, la nuit. Ces routes qui défilent, ces espaces à part, mystérieux et à la fois très inquiétants… » Tout nest pas rose chez celle qui songe souvent à la vision catastrophiste de La Route de Cormac McCarthy, sidérée par la folie des hommes et déboussolée par le Flux Flou de la Foule se déversant dans des cités déshumanisées. L’amie de Diabologum avance sur les pas de Gil Scott-Heron avec son chanté / parlé, scandant la nécessaire urgence climatique. Elle vilipende la gentrification sauvage et interroge les décisions politiques prises à l’aveuglette… Fela et Sun Ra sont convoqués. Tout comme la space pop seventies (Une fissure), en duo avec Jawhar, « le Nick Drake tunisien »), le dub profond (réminiscences de Zoo, enregistré par Adrian Utley de Portishead), les synthés qui crépitent, les arpèges guitaristiques, les boucles obsessionnelles et sonorités concrètes issues d’un monde qui va mal, pris dans un mouvement vicieux perpétuel, perturbé par une tectonique de plus en plus à côté de la plaque, dans les remous dexplosions à répétition. Flux Flou de la Foule, cest Sea, sex & sun sur la plage d’Ostende, Je t’aime… moi non plus dans les friches industrielles de Charleroi et Hiroshima mon amour sur la rade de Cherbourg. Un fou rire traversant un champ de bataille, instant de jouissance avant le déluge. Une love affair nucléaire.