Field Music

Flat White Moon

Sortie le 23 avril 2021

Memphis Industries

« Nous voulons que les gens fassent la paix avec ce qui fait souffrir », confie David Brewis, qui partage la tête du groupe Field Music avec son frère Peter depuis 2004. Ce propos semble particulièrement approprié à leur dernier album, Flat White Moon, qui sort le 23 avril chez Memphis Industries.

Comme tant d’autres projets qui ont vu le jour durant l’année écoulée, Flat White Moon a commencé sous une forme et évolué sous une autre. Après les difficultés rencontrées sur la tournée Open Here en 2018, qui réclamait une formation plus nombreuse en concert afin de supporter tous les arrangements, puis en 2020 avec Making A New World, qui a pris la forme d’un unique morceau accompagné d’images synchrones, le nouvel album de Field Music est parti du désir de jouer et de s’amuser.

David Brewis raconte: « En général nous n’enregistrons pas une chanson en pensant à la façon dont nous allons la jouer en live. Nous ne sommes pas ce genre de groupe. Mais nous avions l’intuition qu’il serait amusant de faire des nouvelles chansons moins compliquées cette fois. »

Peter rajoute : « On le dit tout le temps : on fait de la musique avec les oreilles et le cerveau d’abord. Mais c’est justement parce que je fais confiance à mes oreilles et à mon cerveau que je me suis dit : faisons quelque chose qui soit agréable et incarné. »

Quelques sessions d’enregistrement avaient démarré ici et là fin 2019 au studio des deux frères, à Sunderland, entre les répétitions et les tournées. Les enregistrements initiaux faisant la part belle à des performances moins tenues, inspirées par certaines de leurs toutes premières amours musicales : Free, Fleetwood Mac, Led Zeppelin et les Beatles, les vieux disques vinyles et ces cassettes qu’ils piquaient sur les étagères de leurs parents. Mais l’équilibre entre performance et construction a toujours été un élément essentiel pour Field Music.

Peter : « J’écoutais Odelay et Three Feet High and Rising. J’adore la façon dont ils utilisent les samples sur ces albums, en prélevant des bouts qui sont évidemment joués – qui sont gestuels – pour ensuite les reconstruire. »

En mars, l’enregistrement avait déjà commencé pour la plupart des morceaux de l’album et, avec la fin du tour de Making A New World, Peter et David étaient prêts à poursuivre et à terminer l’album.

David rajoute : « Et puis, bien sûr, arrive le coronavirus. Je pense que nos plans pour le disque avaient déjà commencé à changer mais le fait de travailler tous les deux à la maison, seuls avec nous-mêmes, a accéléré le changement, même si je me suis probablement accroché à l’idée initiale plus longtemps que Peter. »

Peter : « J’avais besoin de me replier sur moi-même. Je m’amusais à trafiquer le matériel. Je ne voulais pas avoir à penser à des morceaux ou à des arrangements. Je voulais jouer. Donc ça n’allait pas à l’encontre l’idée originale. C’était plutôt un prolongement. »

Cette espièglerie est devenue un moyen de compenser l’aspect sombre et triste des paroles. Une grande partie de l’album parle clairement de la perte et du deuil, ainsi que de la culpabilité et de l’isolement qui en découlent.

David : « Nous avons toujours essayé de retranscrire dans l’écriture ce qui nous tient à cœur. Avec Making A New World, nous avions l’occasion de nous éloigner de notre propre vie dans une certaine proportion. Nous pouvions nous plonger dans les histoires des gens jusqu’à ce que nous soyons prêts à affronter autre chose. »

Ces bouleversements personnels sont perceptibles dans une chanson comme « Out of the Frame », où la perte d’un être cher est ressentie d’autant plus durement qu’on ne le voit pas sur les photos, et s’en trouve aggravée par le fait qu’on se sent responsable de son absence. Il y a aussi « When You Last Heard From a Linda ». La chanson décrit en détails le désarroi qui nous saisit quand on n’arrive pas à pénétrer la solitude de nos meilleurs amis au plus sombre de ce qu’ils traversent.

Certaines chansons sont plus impressionnistes. « Orion From The Streets » croise le Studio Ghibli, un documentaire sur Cary Grant et l’abus de vin pour devenir un traité hallucinogène sur la mémoire et la culpabilité. D’autres, comme « Not When You’re In Love », sont plus descriptives. Ici, le narrateur nous guide à travers des scènes projetées en diapositives, interrogeant les idées et la sémantique de « l’amour » ainsi que la fiabilité de sa propre mémoire.

C’est dans des chansons comme « Do Me A Favor » et « Meant To Be » que l’esthétique originale et minimaliste se manifeste le plus nettement, reprises inversées du blues de « Oh Well » ou « Black Dog » de Led Zeppelin, mais traversées par des rythmes inspirés du duo espagnol Las Grecas.

L’album fait beaucoup moins la part belle aux thèmes explicitement politiques que ne le faisaient les disques précédents. Toutefois il y a « No Pressure », sur une classe politique qui ne se sent pas obligée de prendre ses responsabilités si elle peut à la place trafiquer la réalité en un récit qui l’arrange. Et il y a « I’m The One Who Wants To Be With You », qui contourne la masculinité toxique à travers des interprétations adolescentes de ballade soft-rock.

Après les oraisons funèbres hypnotiques et aigres-douces que sont « Invisible Days » et « The Curtained Room », l’album se termine avec « You Get Better » sur une note d’optimisme inattendue. Bien qu’étant du pur Field Music, cette chanson est d’un optimisme ambigu : teintée d’espoir dans le fait de ne pas inviter à chercher une solution magique à un problème, mais plutôt de continuer à avancer dans l’espoir que les choses pourraient changer.

Avec Flat White Moon, Field Music relève le défi de figurer les émotions négatives d’une manière qui ne les atténue ni ne les obscurcit, mais qui peut nous élever. Il en résulte un disque généreux dans ses propositions musicales, à bien des égards le plus immédiatement gratifiant de Field Music à ce jour.