Danny Elfman

Big Mess

Sortie le 11 juin 2021

Anti / Pias

Si le nouvel album de Danny Elfman vous surprend, sachez qu’il en a été le premier surpris !

« Ce disque n’était pas dans mes plans, reconnaît l’artiste. Par moments je ne comprenais même pas d’où me venait cette musique. Elle n’était pas préméditée. Mais j’ai décidé de ne pas lui résister. »

Poussé par des forces primitives qui semblent échapper à son contrôle, Big Mess est le premier album solo de Danny Elfman depuis plus de trente ans, mais ce n’est pas un retour à la normale. Avec ses 18 titres, ce double album tentaculaire et ambitieux permet au compositeur multi-récompensé d’innover à la fois comme auteur et comme interprète, en s’appuyant sur une palette dystopique alliant guitares électriques saturées, synthétiseurs industriels et orchestre, dans le but d’exorciser les démons engendrés par quatre années de fascisme rampant et de pourrissement social.

Ici les titres rappellent autant Nine Inch Nails que David Bowie et XTC à certains moments. Ils font tenir en équilibre des arrangements denses aux harmonies complexes avec un esprit cinglant et caustique, tout en prenant en compte le chaos et les désordres du monde moderne. Elfman a écrit la quasi-totalité de l’album pendant le premier confinement, et si la colère, la frustration et l’isolement y sont palpables, Big Mess est bien plus qu’un simple défouloir. En créant l’espace nécessaire où être attentif à ses émotions et écrire sans se brider, Elfman a trouvé sur ce disque une sorte d’émancipation artistique qui lui échappait depuis des décennies, redécouvrant sa voix et se réinventant tout à la fois au cours du processus.

« Quand j’ai démarré ce projet, ça faisait tellement longtemps que je n’avais rien fait de personnel que franchement je ne savais plus à quoi ressemblait la musique de Danny Elfman, se souvient-il. Ecrire ces chansons a été un voyage pour le découvrir. »

Originaire du Sud de la Californie, Danny Elfman commence sa carrière en faisant partie d’une troupe de théâtre musical surréaliste et avant-gardiste connue sous le nom de The Mystic Knights of Oingo Boingo. Inspiré par toutes sortes de styles musicaux allant du big band de Harlem au cabaret allemand en passant par le gamelan balinais et les percussions d’Afrique de l’Ouest, le groupe devient le groupe de rock à succès Oingo Boingo, dont les spectacles pleins d’énergie et le son novateur lui confèrent un statut culte dans les années 80 et 90. Parmi les fans de la première heure on trouve les jeunes réalisateurs Tim Burton et Paul Reubens (alias Pee-wee Herman), qui demandent à Elfman de composer la musique de leur premier long métrage, Pee-wee’s Big Adventure. Cette collaboration marque le début d’un long et fructueux partenariat entre Elfman et Burton, Elfman signant ensuite la musique d’une série de films emblématiques de Burton parmi lesquels Batman, Beetlejuice, Big Fish, Edward aux mains d’argent et L’Etrange Noël de monsieur Jack. A ce jour, Elfman a composé la musique de plus de 100 films pour des réalisateurs aussi divers que Peter Jackson, David O’Russell, Gus Van Sant, Sam Raimi et Ang Lee. Il a été nommé quatre fois aux Oscars, a reçu deux Emmy Awards et un Grammy pour son travail sur des films comme Milk, Will Hunting, Men In Black et Happiness Therapy, ainsi que pour des génériques de séries comme ceux des Simpson et de Desperate Housewives.

« Lorsque j’ai commencé à travailler sur des films, je ne me sentais vraiment pas le bienvenu, se souvient Elfman. J’avais encore beaucoup d’énergie punk en moi, et je me nourrissais de ce genre de négativité. Je me fichais de ce que les autres compositeurs pensaient de moi. Tout ce qui comptait, c’était que les réalisateurs aimaient la musique que j’écrivais et que les musiciens semblaient vraiment apprécier de la jouer. »

Toujours autant en ébullition, Elfman a rapidement jeté son dévolu au-delà d’Hollywood, composant ses premières œuvres de concert pour symphonies et orchestres au début des années 2000. Une fois de plus, il s’est senti étranger (rejeté cette fois par les puristes classique qui le percevaient comme un intrus de la pop culture), et une fois de plus il a utilisé ce doute pour comme moteur de son remarquable succès. En 2005, il a créé sa première œuvre classique originale, Serenada Schizophrana, au Carnegie Hall. En 2008, ses compositions pour le ballet Rabbit and Rogue de Twyla Tharp ont été présentées en première mondiale au Metropolitan Opera House du Lincoln Center. Et rien que ces dernières années, il a accepté des commandes pour l’Orchestre philharmonique de Londres, le Quatuor Philharmonique de Berlin, l’Orchestre national royal d’Ecosse et l’Orchestre symphonique national tchèque. En 2019, il a également sorti son premier album de concerto pour violon, Eleven Eleven.

« En tant qu’artiste, je trouve bien de continuer à me lancer des défis avec de nouvelles choses, déclare Elfman. Je dois continuer à avancer, à me pousser hors de mes retranchements. »

Et c’est ainsi qu’Elfman a débuté l’année 2020 avec des plans pour un autre projet ambitieux et inattendu : un set live à Coachella mêlant de façon rétrospective son travail cinématographique, des classiques réinventés d’Oingo Boingo, et de toutes nouvelles compositions « chamber-punk » écrites spécialement pour la scène. Bien entendu, Coachella n’a pas eu lieu, contrairement à ce qui était prévu en 2020, mais les mois de travail qu’Elfman a consacrés à l’écriture des chansons et aux répétitions avec le groupe ont ouvert les vannes. Plus le confinement s’éternisait, moins l’artiste se sentait capable de contenir le déluge de nouveaux morceaux qui se déversaient en lui. La musique était étonnamment incisive, imprégnée d’un venin qu’Elfman avait ignoré porter en lui, et s’accompagnait de paroles corrosives s’attaquant à la dégénérescence sociale et politique du 21ème siècle avec une rage cathartique et un humour caustique.

« J’avais toute cette colère en moi, et j’ai réalisé qu’elle avait besoin d’un exutoire, explique Elfman. En même temps, j’étais toujours en contact avec la partie de moi qui a toujours été attirée par l’absurde, donc les chansons ont commencé à venir par deux : une sérieuse, une sarcastique ; une pesante, une légère. C’était une compétition interne très bizarre qui se déroulait tout au long du processus. »

C’est dans cette dichotomie que s’est forgé Big Mess, un double album qui explore le yin et le yang de la personnalité artistique d’Elfman. Sur le premier disque, on trouve des réflexions sensibles plus personnelles et sérieuses axées sur la politique, le vieillissement et l’identité ; sur le second disque, il y a des études de caractère post-punk irrévérencieuses et mordantes qui font la part belle à la folie et honorent le ridicule. Elfman a enregistré le disque dans sa maison à la campagne, où il s’était réfugié avec sa famille pendant le confinement. L’équipement minimaliste s’est révélé idéal pour les chansons, qui dégagent une énergie frénétique et foudroyante.

« Tout ce que j’avais avec moi était un micro à main, un clavier et une guitare électrique, explique-t-il. Je n’avais même pas une paire d’écouteurs fonctionnelle, alors j’enregistrais mes paroles avec le retour à fond dans les haut-parleurs. Je me fichais de la perte de son, car c’était tellement bon, comme si je chantais sur scène pendant un concert. »

Cette énergie du direct a inspiré l’approche des compagnons d’Elfman à Coachella – le batteur Josh Freese (Devo, Wheezer, The Vandals), le bassiste Stu Brooks (Dub Trio, Lady Gaga, Lauryn Hill) et les guitaristes Robin Finck (Nine Inch Nails, Guns N’ Roses) et Nili Brosh (Tony MacAlpine, Paul Gilbert) – qui se sont tous rendus au studio d’Elfman à East Hollywood où il a achevé l’album, pour venir enregistrer leur partition un par un en raison des restrictions dues au Covid.

« Cela faisait si longtemps que je me préparais pour Coachella que ma vision de ces chansons était encore habitée par l’idée d’être sur scène devant un public, explique Elfman, et sur scène c’est toujours pareil : je suis fait pour être sous l’emprise de l’adrénaline, pour foncer dans tous les sens et hurler dans un micro. »

En conséquence, la plupart des morceaux s’appuient sur la guitare. Elfman a également retourné dans tous les sens pendant un bout de temps une façon d’incorporer des cordes symphoniques dans la musique rock d’une manière très agressive, et celles-ci ont acquis une présence dans presque toutes les chansons. Le morceau qui ouvre l’album, « Sorry », illustre cette frénésie électrique, avec des cordes entraînantes et un chant tournoyant, qui cèdent la place à une batterie meurtrière et à une guitare hargneuse. Comme une grande partie de l’album, la chanson est étrangement déséquilibrée, pleine d’une tension instable qui menace d’exploser à tout moment. Le sardonique « Happy » transforme une mélodie pop entraînante en un commentaire social amer, tandis que le brûlant « Love In The Time Of COVID » s’attaque à l’angoisse croissante d’une vie confinée, et que « True » affronte tranquillement le désespoir. La voix d’Elfman se fait grinçante et grondante, et sa prestation brute et sans filtre ajoute encore à l’atmosphère chargée d’émotion.

« Je n’avais pas vraiment chanté en mon nom depuis 25 ans, explique-t-il, et à ma grande surprise, j’ai découvert que je pouvais faire des choses maintenant que je n’aurais pas pu faire quand j’étais plus jeune. C’est comme si j’avais découvert que j’avais une toute nouvelle voix. »

Elfman n’hésite pas non plus à utiliser cette voix pour partager ses idées. Big Mess est bien souvent un disque ouvertement politique : l’obsédant « Choose Your Side » sample un discours de Trump, et une reprise du morceau « Insects » d’Oingo Boingo se transforme en une méditation sur la cupidité et la maladie de la classe dirigeante américaine. Mais Big Mess est aussi une œuvre profondément personnelle : des chansons comme la bourdonnante « In Time », l’obsédante « We Belong » et la fiévreuse « Everybody Loves You » nous en disent plus sur Danny Elfman qu’à aucun autre moment de sa carrière remarquablement éclectique.

« Je savais dès le départ que ce ne serait pas un disque clair et net, facile à mettre dans une case, dit Elfman. Il a toujours été voué à être cette cacophonie folle, parce que je suis comme ça. The Big Mess, c’est moi. »

Et pourtant, Big Mess est tout sauf cela. Il y a une méthode à la folie ici, une beauté certaine dans le désordre. Le chaos qui règne dans ce disque est le reflet le plus pur que l’on puisse trouver de l’homme qui se trouve derrière, et nous rappelle avec vigueur que, 40 ans après le début de sa carrière, Danny Elfman est toujours plein de surprises.