Wolf Alice

Blue Weekend

Sortie le 11 juin 2021

Dirty Hit

Il y a plus de dix ans maintenant, Wolf Alice naissait, d’abord sous forme d’un duo composé de Ellie Rowsell et du guitariste Joff Oddie, rejoints plus tard par le batteur Joel Amey et le bassiste Theo Ellis. Leur musique magnétique les impose d’emblée comme les maîtres du refrain enflammé, du riff grunge, du murmure, et du cri de révolte, quand les mots de Rowsell parlent de jeunesse et de féminité, de soirées, d’amitié, de retours en bus à la maison. De désir et de rage, de liberté et de joie.

S’ensuivent plusieurs EP en 2015, et leur premier album, My Love Is Cool, qui se place en deuxième position des charts britanniques et dont le titre « Moaning Lisa Smile » reçoit une nomination aux Grammy Awards. Visions of a Life, son successeur, arrive deux ans plus tard et remporte le ​​Mercury Prize 2018. Le groupe enchaîne alors les concerts dans le monde entier, joue en première partie pour les Foo Fighters, Queens of the Stone Age et Liam Gallagher, et fait l’objet d’un film réalisé par Michael Winterbottom.

Inventer une suite à Visions of a Life était intimidant. Le succès de cet album, auquel s’ajoutèrent les nombreux mois passés en tournée – spectacles, avions, hôtels, trajets en bus sans fin – avait fait des ravages sur leur créativité. « Quand nous avons arrêté les tours, se souvient Rowsell, je me suis dit “Mince, j’ai pas écrit une seule chanson…” »

Le groupe a levé le camp pour un Airbnb dans le Somerset. C’est là qu’ils ont reconfiguré leur fonctionnement ensemble, loin des scènes de festivals, des bus de tournée, des remises de prix et des fans. Ils ont consolidé leur amitié, ont été en piteux état le temps d’une soirée, et se sont attaqués à des prémices de démos dans une ancienne église. « On ne s’est pas bridés », se souvient Ellis. Tout était bon à prendre, à ce stade. On faisait n’importe quoi, l’idée était juste de remettre la machine en route, d’avoir un lieu pour nous réunir, en nous plongeant dans une certaine atmosphère. »

C’est alors que Rowsell s’est aperçue qu’elle avait bien plus d’amorces de chansons qu’elle ne le pensait. « Je ne m’étais pas rendue compte que j’avais écrit tout ça, explique-t-elle. Sûrement parce que je n’arrivais plus à juger ce qui était bien. Ça faisait si longtemps qu’on n’avait pas écrit de nouvelles chansons ensemble que j’avais peur de les montrer au groupe, et qu’ils me disent : « C’est nul ! Tu sais plus faire de chansons ! »

En réalité, cette période passée loin du studio avait fait faire à Rowsell un bond dans son écriture, et le groupe fut frappé par la nouvelle maturité de ses paroles. « Je pense que c’est les meilleures chansons qu’Ellie a écrites », confie Oddie. Elle est dotée d’un talent rare pour le songwriting : conteuse hors pair, elle sait mettre en mots l’intime.

Elle a également découvert que la vulnérabilité pouvait être une source de force et de réconfort. « Cet album, il est pour les autres », dit-elle. Les chansons en ont été écrites dans l’espoir de faire que les gens se sentent écoutés dans les moments où ils vont mal. » Les histoires d’amour et de ruptures, de rapprochements et de désillusions que relate Blue Weekend, résultent en grande partie de cette prise de conscience chez Roswell du rôle de la musique dans nos vies, et que les chansons qu’elle écrit ont une véritable importance.

« Parfois on entend une chanson et ça nous aide à nous sentir mieux, ou alors on entend une chanson et on a la sensation d’être compris », explique-t-elle. « Un jour que je me sentais déprimée à cause de quelque chose, je me suis dit : “Je me demande bien quelles chansons pourraient parler de ce que j’éprouve là tout de suite.” J’avais l’impression que jamais je ne m’en sortirais, j’aurais tout donné pour ne pas me sentir aussi seule dans ces circonstances particulières, ou pour y voir plus clair. Je n’ai jamais vraiment fait ça intentionnellement avant, du moins jamais aussi volontairement. »

Bien que ces chansons ne forment pas à strictement parler un journal intime, il n’en reste pas moins qu’elles ont leurs racines dans les propres expériences de Rowsell. « Je suis vraiment stressée avec cet album, dit-elle, parce qu’il peut donner l’impression de comprendre par quoi je suis passée. Mais je me suis répété encore et encore que ça en valait le coup. Au fond je suis la seule à pouvoir dire ce qui est réel et ce qui est inventé, et je n’ai à le dire à personne. »

L’amour est un thème récurrent du nouvel album : la découverte de l’amour, sa perte, sa force, pour nos partenaires, nos amis et nous-mêmes. « Sur My Love Is Cool, explique Rowsell, je voulais être bien sûre qu’il n’y avait pas chansons d’amour. Je me souviens consciemment avoir refusé qu’il y en ait parce que je me disais que ce serait mieux. J’avais le sentiment qu’écrire des chansons sur les relations amoureuses était ce qu’on attendait de moi. A présent je m’en fiche, parce que c’est ce que je veux entendre ! Quand je vais dans une librairie, ou sur Netflix, je tape « relations » dans la barre de recherche. Parce que c’est ça qui m’intéresse. »

« Feeling Myself » a été la chanson la plus compliquée à faire. « Je vois pas mal de musiciennes écrire des choses sur l’amour-propre et être plus ouvertes au sujet de leurs expériences », confie Rowsell. Mais en écrivant, je me disais : “Euh, est-ce que ça va pas être gênant ?” Mais je savais que je ne devais pas me sentir gênée si je voulais faire les choses bien. » Il n’est peut-être pas de meilleur exemple pour illustrer la progression de Rowsell dans son travail. « Je pense que c’est une affaire de maturité, ne plus faire autant attention à ce que je renvoie, dit-elle. Si je souhaite progresser en tant qu’être humain, je ne dois pas avoir peur des choses, ou de ce que je veux dire. »

Elle s’est inspirée de l’audace de plusieurs de ses pairs femmes pour qui « ça a payé de ne pas se brider. » « J’ai été inspirée par leur ouverture d’esprit au sujet de choses dont les gens n’ont pas forcément envie d’entendre parler, explique-t-elle. Je ne sais pas, c’est peut-être un truc féminin. »

Peut-être cette méfiance a-t-elle en partie été provoquée par les réactions suscitées par « Yuk Foo » dans Visions, quand elle a découvert les réactions horrifiées de certains à ces mots : « Je veux baiser tous les gens que je rencontre ».« Comme si c’était dégoûtant que je puisse être quelqu’un qui a des relations sexuelles, ou n’a pas peur d’en parler, dit-elle. Et puis ça m’a énervé que les gens ne veuillent pas que je sois ci ou ça. » Elle explique que c’est ce qui a inspiré le morceau « Smile ».

Musicalement, Wolf Alice retrouve une nouvelle forme de simplicité avec Blue Weekend. « Si on mettait ces chansons à nu, c’est la sensibilité plus que la qualité musicale qui ressortirait. On était dans un état d’esprit du genre “Si on attrape pas au vol cette émotion, alors c’est trop tard” On sentait je pense que quand on se focalise sur les sentiments, le sujet ou les paroles, il ne faut pas se laisser distraire par l’intelligence. »

C’est un autre effet, d’après elle, de la maturité nouvelle acquise par le groupe. « Je me souviens d’un truc que dit St. Vincent sur les chansons qu’on repousse sans cesse d’écrire : en vieillssant on s’aperçoit justement que ce sont celles qu’on préfère. Quand on est jeune, on a besoin de montrer qu’on maîtrise tous les accords et qu’on peut créer des structures folles. En vieillissant on fait juste la chanson qu’on voudrait pour notre enterrement. »

Jusque-là, Wolf Alice avait incorporé de nombreux styles musicaux à sa musique, shoegaze, grunge, synth-pop, punk… « Je ne saurais pas encore définir en quoi le son de ce disque est du Wolf Alice, dit Ellis. Mais en tant que tel, le corpus de chansons auquel nous sommes arrivés a un ADN plus marqué que ce que nous avions fait avant. »

Ils ont été épaulés dans cette évolution par le producteur Markus Dravs (Arcade Fire, Bjork, Mumford & Fils). Il les a encouragés à se demander ce que tel ou tel choix allait apporter, comme le dit Oddie. « Et ce n’est pas vraiment une chose à laquelle nous avions été confrontés en studio dans le passé. Avec Wolf Alice on était plutôt du genre à tout balancer sur le mur sans s’arrêter pendant trois mois jusqu’à ce qu’il se passe un truc. Pour nous ça a donc été une manière différente de travailler. La maturité du disque vient sûrement du fait que Markus nous faisait remettre en question chacune des parties des chansons. En remettant en question les intentions, je pense qu’on gagne en précision. »

Pourtant ce sont bien des chansons de Wolf Alice, aucun doute là-dessus. Sur certaines, à l’image de « Delicious Things », ils ont adopté une approche consistant à tout tenter puis à tout recommencer, explique Rowsell. « Donc je suppose qu’avec Markus nous sommes arrivés à un moment où nous pouvions nous comprendre, à mi-chemin de sa méthode et de la nôtre, et nous avons utilisé une chanson pour trouver vraiment cet équilibre. »

A bien des égards, la production du disque aura parfait et renforcé l’identité musicale du groupe. « On a passé tant de temps ensemble qu’entre nous on communique sans parler, dit Ellis. Il nous a fallu comprendre, je pense, qu’on ne peut pas demander aux autres de saisir intuitivement ce qu’on essaye de dire, et qu’on doit expliquer nos idées beaucoup clairement qu’on ne le fait (comme c’est le cas normalement avec des références de couleurs et de sons). »

Le groupe s’est également appuyé sur d’autres atouts non exploités jusqu’alors. Amey, qui s’intéresse de plus en plus à la production, a pu explorer la programmation, « bricoler sur Ableton et créer une matière synthé. » Oddie, de son côté, s’est intéressé aux possibilités de l’instrumentation acoustique. « Sur cet album, il y a beaucoup plus de sons de type guitare classique, dit-il. J’ai passé beaucoup de temps à travailler avec des instruments acoustiques, en essayant de les jouer et de les superposer de plein de façons différentes. »

Pour un groupe qui s’est forgé en dix ans une réputation live phénoménale, les restrictions qui touchent les tournées en ce moment font très mal. Même si deux ans ont passé depuis leur dernier concert, « ça n’a pas éteint ce besoin que je ressens, quand il est 20 heures, d’être sur scène », confie Ellis. A la place des performances live, ils ont réalisé des clips pour accompagner chacune des chansons du nouvel album. Ils espèrent que cela offrira un moyen de se connecter avec les fans qu’ils ne peuvent pas voir pour le moment, pour se rapprocher à nouveau de leur public, même à une époque de telle mise à distance. « Nous avons faim de ces liens-là », reconnaît Oddie. Faim de l’esprit de communauté qu’il y a dans ce type d’événements. Le degré de connexion entre nous quatre sur scène, devant des milliers de personnes, c’est si profond. C’est quelque chose de tellement unique. »

Rowsell espère également que la nouvelle confiance que Wolf Alice a trouvée dans l’écriture permettra aux chansons de l’album de se forger un lien encore plus fort avec leur public. « L’une des choses qui m’émeut le plus, c’est quand je joue sur scène et que je vois un homme de 60 ans fermer les yeux et chanter juste à côté d’une fille de 16 ans, dit-elle. Nous n’écrivons pas pour une personne en particulier. C’est juste qu’on fait avec ce qui nous touche, en espérant que si ça nous touche, alors ça touchera quelqu’un d’autre. »