The Saxophones

To Be A Cloud

Sortie le 02 juin 2023

Full Time Hobby

Tel un écho entre ciel et mer, The Saxophones s’offre à notre oreille. Dans les recoins d’un bar, le soir après le travail, laissez-vous envelopper par les sons minimalistes du couple formé par Alexi Erenkov et Alison Alderdice. Illustrant le nouveau chapitre de leur vie, de retour dans la maison d’enfance d’Alexi vingt ans après, cette fois avec leurs propres enfants, To Be A Cloud, leur troisième album, est la bande-son de la redécouverte. Le disque ravive leur amour pour le jazz et leur instrument homonyme, et révèle ce qui se passe lorsque, tout comme un nuage se transforme en pluie, puis en neige, puis en rivière et retourne une fois de plus au nuage, la vie fait une boucle.

 

« Le titre a été inspiré par un passage du livre Il n’y a ni mort ni peur, du moine zen Thích Nhất Hạnh, qui à la fois calme mes peurs et me laisse avec des doutes », explique Alexi au sujet de l’album, qui canalise des influences aussi réconfortantes que dérangeantes. « Il utilise les nuages comme métaphore pour illustrer l’impermanence de tout, en suggérant que les nuages ne sont pas différents des gens dans leur nature éphémère. La souffrance survient quand on essaye de préserver une personne, un moment ou une expérience, et qu’on n’arrive pas à reconnaître que tout dans le monde est à la fois éphémère et cyclique. Hanh soutient que le nuage ne meurt pas, mais change simplement de forme et que si on regarde bien, on peut voir le nuage dans la pluie. »

 

S’interrogeant sur notre place dans l’univers, Alexi et Alison ont toujours compensé les réflexions métaphysiques par une approche minimaliste. Guidés par la sagesse de Hanh, les deux artistes poussent plus loin leur réflexion sur la mort et le sens de la vie, à présent qu’ils sont parents pour la deuxième fois. Leur mélancolique premier album, Songs of the Saxophones, avait été écrit sous une pluie incessante, au cours de l’hiver nord-californien, à bord du bateau sur lequel ils vivaient. Puis des vagues d’émotion ont déferlé sur Eternity Bay, l’album plein d’entrain qui a suivi. Leur nocturne troisième album, de nature cyclique, interroge l’amour (les sentiments familiaux et amoureux qui finissent par se transformer et s’estomper avec le temps), l’art, la créativité passagère et le cycle de la vie à travers l’éducation de leurs deux jeunes enfants. Ecrit dans la maison familiale durant les moments de calme, une fois les enfants couchés, To Be A Cloud est en harmonie avec la paisible baie d’Inverness, en Californie, où la famille d’Alison habite depuis plusieurs générations. « C’est là que nous nous sentons le plus à l’aise et le plus créatifs, explique Alexi. L’océan et les plages environnantes sont une source d’inspiration inépuisable. » La plage de Shell, dans la baie de Tomales, fait partie intégrante de l’album et c’est là qu’a été prise la photo de l’artwork. « J’adore l’expression d’Alison, en contact visuel direct avec la beauté mystérieuse… comme sur la couverture d’un album de Martin Denny. »

 

Jamais loin de l’eau, l’album a été enregistré au Nord-Ouest des Etats-Unis, dans la ville côtière d’Anacortes, dans l’Etat de Washington, sous les hauts plafonds du studio The Unknown de Phil Elverum. Il s’agit d’une ancienne église catholique où les deux musiciens ont vécu pendant les sessions d’enregistrement 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et où le temps n’a pas été compté pour expérimenter et développer le son de l’album. Le cadre magique et l’espace généreux ont offert une acoustique naturelle à la voix saisissante d’Alexi, enregistrée en direct sur une bande 24 pistes, suspendue entre analogique et numérique dans un contexte historique et chronologique indéterminé. Le chant a été mis en valeur par les percussions d’Alison, et la basse et les claviers de Richard Laws. Ensemble, les artistes ont tiré le meilleur parti des nombreux instruments du studio, qui complètent et encadrent leur exploration des milliards d’années d’évolution ayant mené à ce moment précis de l’histoire du monde.

 

Comme un flux de conscience en forme de journaux intimes, « Speak for You » et « Boy Crazy » racontent la joie épuisante de la parentalité, – en ayant conscience, quand on élève des garçons, des pièges et des dangers des comportements typiquement masculins. Ailleurs, la mélodie douce et contrastée de « Margarita Mix », la langoureuse « Goddess in Repose », et « Hunter » tentent de naviguer entre les « rôles » de la femme et de l’homme avant que les paroles de « In My Defense » (“I don’t want to be a cloud / It bored me then it will bore me again”, « Je ne veux pas être un nuage / Ça m’a ennuyé et ça m’ennuiera encore ») ne reviennent sur les observations profondes de Hanh. « Il peut être réconfortant de penser qu’après la mort nous continuons à exister sous d’autres formes au sein du même système, analyse Alexi, mais je crois que ce que j’ai le plus peur d’abandonner, c’est ma conscience. Je n’arrive pas encore à accepter ça. Il y a de la beauté dans l’idée d’être un nuage, mais aussi de l’effroi. Je crains le néant de ma nature de nuage. »

 

Les paroles de « The Hunter » (“To be a cloud / to have a name / to be one / to be all the same”, «  Etre un nuage / avoir un nom / être un / être tous les mêmes ») rappellent « Full Moon »  du mystique Eden Ahbez, précurseur du mouvement hippie dans les années 60 (“I am the wind / The sea / The evening star / I am everyone / Anyone / No one”, « Je suis le vent / La mer / L’étoile du soir / Je suis tout le monde / N’importe qui / Personne »). Tout en s’apparentant sur le plan sonore aux B.O. de la série The White Lotus (Mina) et de La Vie aquatique de Wes Anderson (Inner Space et la flûte de Sven Liabek), leurs idées s’inspirent des compositions de Cohen, Callahan et Cash tout en évoluant vers leurs propres paysages sonores faits de merveilles en cinémascope. Ailleurs, des arrangements de jazz soignés font écho à leur nom, autrefois choisi pour exorciser la complexité qui éloignait l’attention de leurs compositions. « J’ai bouclé la boucle », confie Alexi, faisant une nouvelle fois allusion au thème récurrent de l’album. « En tant que saxophoniste, j’ai toujours aimé les albums de bossa de Stan Getz. »

 

Qu’il s’agisse de remettre le saxophone à l’honneur au gré de solos instrumentaux et de concerts, ou d’aller plus loin en poursuivant le processus de maturation d’un nouvel album avec autant d’attention qu’ils en portent à leurs propres enfants, chaque étape franchie éloigne peut-être un peu plus du commencement. Pourtant, To Be A Cloud est une note de plus vers un éveil qui laisse présager de très belles choses.