The Dream Syndicate

The Universe Inside

Sortie le 10 avril 2020

ANTI-

Lorsque The Dream Syndicate ont émergé au début des années 1980, le leader Steve Wynn a déclaré : « On joue la musique qu’on a envie d’écouter parce que personne d’autre ne le fait. » Il a ajouté : « Je peux faire des concessions sur ce que je mange, ou l’endroit où je dors, mais jamais sur la musique que je joue. »

Bien que leur mélange Velvet Underground / Crazy Horse soit plutôt commun aujourd’hui (et n’oublions pas qu’ils ont engendré de nombreux imitateurs), leur approche brute fondée sur une guitare double, une basse et une batterie était tout sauf ordinaire à l’époque où les groupes MTV aseptisés étaient les rois. Le groupe était intransigeant.

Cette intransigeance sera toujours là le 10 avril 2020 lorsque ANTI- sortira le septième album de The Dream Syndicate, The Universe Inside.

Le groupe est revenu sur le devant de la scène en 2012, après 23 ans, avec un léger changement de line-up – le guitariste Paul B. Cutler remplacé par Jason Victor –, et à la suite d’une extraordinaire tournée il a enregistré son premier album depuis plus de vingt ans, How Did I Find Myself Here?

C’était un album étonnamment nouveau (l’arrivée de l’ancien clavier de Green on Red, Chris Cacavas, a apporté des textures riches inédites dans leur musique basée sur la guitare), et la vraie surprise était finalement le caméo vocal du membre cofondateur, la chanteuse Kendra Smith.

Une autre tournée s’est enchaînée (avec le nouveau membre officiel Cacavas) et un nouvel album a rapidement suivi – These Times –, qui a affiné les paysages soniques précédemment explorés sur How Did I Find Myself Here?

Ce groupe n’est pas du genre à reproduire de vieux albums, il préfère entretenir la spontanéité comme un jeune groupe.

Et tout cela nous amène à The Universe Inside. Tout le monde dira, à juste titre : « C’est nouveau et différent » – oui, carrément ! Ne serait-ce que dans la durée des chansons : 20 m 27 s, 7 m 36 s, 8 m 56 s, 9 m 55 s et 10 m 53 s. Bien sûr The Dream Syndicate ont déjà créé des chansons longues sur vinyle, « John Coltrane Stereo Blues » durait neuf minutes, et certaines des versions live passaient largement la barre des dix minutes.

Pourtant, lorsque l’on évoque The Dream Syndicate, on ne pense pas seulement à la folle désinvolture des membres du groupe, le chanteur-guitariste Wynn, le batteur Dennis Duck, le bassiste Mark Walton, le clavier Chris Cacavas et le lead guitariste Jason Victor, quand ils jouent, mais à la composition méticuleuse de Wynn. Tout critique de musique rock du pays a déjà son opinion sur ce que lui évoque Wynn et sur ce style de chansons. Cette fois, ce sera différent !

Pour la première fois, toutes les chansons sont composées par le groupe lui-même. Chacune d’elles est habitée par la connaissance de Dennis Duck de la musique avant-gardiste européenne (Duck a baptisé le groupe “The Dream Syndicate” en hommage à un obscur album de krautrock de 1973), par la passion de Jason Victor pour le rock progressif des années 1970, par l’expérience de Mark Walton en matière de collectifs musicaux de chez Southern-fried, par le talent de Chris Cacavas pour la manipulation du son et par l’amour de Wynn pour l’electric jazz vintage.

D’entrée, « The Regulator » frappe fort. A l’instar du génie chaotique de Miles Davis dans les années 1970, le titre démarre très fort, et après vingt minutes de bourdonnement de sitar électrique (joué par le pote du Syndicate Stephen McCarthy de The Long Ryders!), de basse funky, de voix envoûtante et de saxophone ornemental interprété par Marcus Tenney (membre du quintet instrumental Butcher Brown, basé à Richmond, Virginie), je suis prêt à courir nu dans les rues au petit matin en criant au génie !

Lorsque je parle de l’intensité de la chanson à Wynn, voici ce qu’il me répond: « “The Regulator” est un microcosme de tout l’album. C’était une espèce de masse informe et trippée quand on a commencé à jouer tous ensemble. On avait une boîte à rythmes du début des années 1970 – le même modèle que sur l’album There’s a Riot Goin’ On, une Maestro Rhythm King – et Dennis donnait le rythme. Stephen a attrapé un sitar électrique, c’était le premier truc qu’il avait sous la main. Jason et moi on tapait nos pédales comme des singes de laboratoire et Mark jouait le rôle de paratonnerre, canalisant tous ces éléments en un bon gros groove. J’ai ensuite rassemblé au hasard des paroles que j’avais sur mon téléphone. Je les ai toutes mises n’importe comment dans mon home studio pour voir ce qu’elles donnaient, et c’est ce premier essai que t’entends ! Il y a tellement de cette excitation des premières prises sur cet album. »

« The Longing » est exactement le genre de chose psychédélique, longue et versatile que j’espérais entendre sur l’album come-back du Syndicate quand j’ai appris que Chris Cacavas avait rejoint le groupe. Quant à « Apropos of Nothing », il représente la fusion de musique concrète et de l’album On the Corner de Miles Davis.

« Dusting off the Rust » vous fera penser à n’importe quel groupe de rock prog allemand des années 1970 que vous aimez. Le saxo et la trompette de Marcus Tenney lui donnent la saveur des groupes anglais de fusion de la même époque (Soft Machine), tandis que le percussionniste Johnny Hott (du formidable groupe aujourd’hui disparu House of Freaks) ajoute une vibe à la Airto. Une musique internationale !

Les fans de la première heure qui ont écouté le tout premier EP du groupe reconnaîtront la phrase “I can hear those bells again” tandis que la chanson « The Slowest Rendition » avance, on dirait du Roxy Music vintage, sensuel et progressif. C’est une épopée en deux actes sur la détérioration et la reconstruction de l’esprit, inspirée par la réaction choquée de Wynn à la crise cardiaque d’un ami proche.

J’ai trouvé des réminiscences de Bryan Ferry dans les mélodies vocales, et Steve dit : « Je suis un grand fan de Roxy Music. C’était mon groupe favori quand j’étais ado. Je peux entendre l’influence sur “The Longing”, la façon dont une rêverie douce, romantique, mélancolique, désespérée se désagrège pour n’être plus que bruit et chaos. Ça me fait penser à quelque chose comme “For Your Pleasure”, où le final dure plus longtemps que la chanson elle-même. On a pris notre temps, quelque chose que les groupes – même les gens en général – ne s’autorisent pas assez à faire de nos jours. »

Cet album aurait pu s’appeler “The Art of the Improvisers” – un soir après minuit ils étaient en studio à Richmond à confronter des idées quand Stephen McCarthy est arrivé et a joué le rôle de catalyseur pour pousser leurs explorations plus loin vers l’inconnu. En une seule session ils ont enregistré 80 minutes à la suite de paysages sonores. Wynn a emmené cette cassette de matériel brut chez lui à New York, l’a énormément rejouée, et s’est dit : « Mon Dieu, on tient un album, là ! » A la manière de Teo Macero et Conny Plank à l’époque, il est revenu en Virginie et a édité puis façonné ces 80 minutes en album. En dehors des voix, des cuivres et d’un peu de percussion, tous les instruments sont joués en live.

Est-ce que c’est le meilleur album de The Dream Syndicate jamais créé ? Croyez-moi, c’est le plus dangereux !

 

-Pat Thomas