Teleman

Family Of Aliens

Sortie le 7 septembre 2018

Moshi Moshi Records

Thomas Sanders pourrait être qualifié de chanteur-guitariste de Teleman, mais sur leur incroyable troisième album, Family of Aliens, les rôles ne sont plus si bien définis. C’est un disque fluide fait de formidables chansons pop, parfois effervescentes, parfois prémonitoires, d’autres fois mélancoliques, toutes unies par la mélodie, toujours la mélodie. « Je m’éloigne progressivement de la guitare », dit Sanders. «C’est assez restrictif. J’écris principalement au piano maintenant, et je m’intéresse beaucoup aux sons et aux textures électroniques. Le nouvel album contient quelques titres qui n’ont que des boîtes à rythmes et pas Hiro [Amamiya] à la batterie acoustique. C’est bien d’avoir ces textures différentes. »

Le groupe Teleman existe depuis 2012 mais son histoire a débuté bien avant.Thomas Sanders et son frère Jonny (claviers) connaissent le bassiste Peter Cattermoul depuis plus de vingt ans : « On évoluait dans les mêmes sphères, il n’y avait pas tellement de gens créatifs dans notre quartier. Et depuis on fait de la musique ensemble. » Pendant huit ans les trois compères forment le noyau du groupe pop indé Pete and the Pirates, avant de fonder Teleman avec Amamiya.

« [Le groupe est] comme une drôle de famille. En faisant ce dernier album, je me suis rendu compte à quel point on compte les uns sur les autres. On n’est pas tout le temps d’accord mais si on ne se disait pas toujours les choses en face on ne pourrait probablement rien créer d’intéressant ensemble. » Les membres du groupe partent du principe qu’il n’y a ni bon ni mauvais dans la musique. Ils ont connu des naissances et des deuils, ont eu des hauts et des bas, mais « la musique nous a offert une échappatoire,et on espère que c’est pareil pour notre public ».Teleman trouvent toujours quelque chose de nouveau à dire dans leur musique : Family of Aliens puise dans les albums précédents, Breakfast et Brilliant Sanity, et s’en sert pour évoluer. «L’intention dans cet album était de ne pas recracher un ancien travail. Ç’aurait été ennuyeux pour nous et pour nos fans. On veut continuer d’évoluer et de découvrir. Ce groupe est un long voyage pour nous, et on ne veut jamais s’arrêter de se développer, de trouver de nouvelles manières de créer de la musique. Mon but perpétuel est d’améliorer ce qu’on a fait avant. D’aller plus loin, de trouver quelque chose de plus beau, de plus catchy, de plus intéressant. Quelque chose de plus.»

Sur ce nouvel album, Sanders a davantage lâché prise. « Pour certains titres, Pete a pris les démos que j’avais faites et les a totalement retravaillées. Ensuite on a construit les chansons autour en studio. C’est bien de laisser quelqu’un d’autre tordre, modifier la musique, pour voir si elle devient plus intéressante. On se sent assez seul quand on écrit dans son coin, mais j’en ai besoin aussi ; on se laisse complètement absorber, ça peut devenir obsédant, c’est une sorte de thérapie en fait. Mais c’est probablement plus sain de collaborer davantage, et c’est vers ça qu’on a l’air de se diriger.»

« Submarine Life », par exemple, était au début une démo de moins d’une minute que Cattermoul a aidé Sanders à développer : c’est lui qui a eu l’idée de changer la progression de l’accord de mineur à majeur, en travaillant avec Sanders pour étirer la chanson dans son crescendo électronique multicouches.

D’autres titres ont changé de forme grâce au producteur Oli Bayston, qui a enregistré l’album dans son studio Flesh and Bone dans l’Est de Londres en novembre dernier. Bayston a aidé le groupe à retravailler le morceau «Fun Destruction », par exemple, pour le rendre plus en accord avec le reste de l’album. Il a également suggéré les réarrangements de «Twisted Heart» : «Qu’une chanson soit autant reconstruite par un producteur, ça ne m’était jamais arrivé. C’est bien d’être remis en question. Ça rend le processus intéressant.»

Selon Sanders, le vrai sens de la musique ne se trouve ni dans les arrangements ni dans les techniques de production : il s’agit de trouver quelque chose à l’intérieur de soi. «Ces dernières années ont été un peu compliquées pour moi : devenir père et essayer d’être un bon parent au milieu du chaos qui résulte d’un groupe en tournée. Ces deux univers sont très éloignés ! Après dix ans à faire ce métier, c’était difficile d’abandonner cette façon de vivre et ces habitudes. On est coincé dans le cliché du comportement autodestructeur et excessif du mec qui bosse dans la musique. Les soirées, l’alcool, c’est un moyen de s’échapper quand la pression est trop forte, mais c’est juste un cercle vicieux. Aujourd’hui ça va mieux ; on peut faire beaucoup plus de choses quand on est pas tout le temps défoncé. Individuellement et en tant que membres d’un groupe, on est plus concentrés que jamais sur le vrai noyau de ce métier : la musique. La musique nous permet – à nous et à notre public – de changer de décor, de changer d’existence.» «La musique devrait être un moyen de s’abandonner que ce soit à un concert ou en l’écoutant au casque en allant travailler. Si on la ressent profondément, la musique est vraiment une drogue : on peut s’immerger complètement, plus rien autour n’existe. Pendant les concerts, les gens se lâchent vraiment, et c’est une sensation super. C’est l’occasion pour nous et notre public d’oublier nos soucis, nos pensées, de quitter la Terre pendant une heure. Ce que je veux par dessus tout, c’est que les gens soient émus par la musique qu’on fait, en la savourant intérieurement ou en dansant comme des fous.»

«Fun Destruction » reflète bien ça : c’est une chanson acharnée qui nous accroche totalement. Elle reflète l’état d’esprit de Sanders : la musique paraît rouler sur des rails infinis. Et les paroles parlent de quitter ces rails. « Un jour en me réveillant j’ai regardé mes chaussures, et je me suis demandé où j’avais été et ce que j’avais bien pu faire la veille. C’est là que j’ai écrit les paroles. Je ne reconnaissais pas la personne que j’étais devenue, je me souvenais même pas de ce qu’elle avait fait. C’est une sensation très désagréable. On se dit “plus jamais”, mais on finit par recommencer, parce qu’on a besoin de relâcher cette pression.» Musicalement très différente, « Sea of Wine », la chanson préférée de Sanders sur l’album, est une ballade au piano. Cependant ses paroles abordent un autre effet de l’alcool. Pas celui qui fait oublier le monde réel, mais celui qui nous fait nous méprendre sur la vérité : « C’est une chanson sur le fait de passer trop de temps à réfléchir, à trop réfléchir, à rêver et à perdre de vue la réalité. C’est sur notre façon anglaise d’utiliser l’alcool pour gérer les problèmes, se désinhiber, faire des rencontres amoureuses. Et ensuite se raconter qu’on était faits pour être ensemble.»

Sur les titres «Sea ofWine» et «Always Dreaming» – une autre ballade douce, superbe –, Sanders s’éloigne de son écriture métaphorique habituelle. «Les paroles sont simples et honnêtes. J’ai tendance à utiliser des allégories, je n’aime pas dire clairement les choses. Mais dans ces deux chansons, les paroles sont directes : je sors de ma zone de confort ! »

Un petit miracle dans l’enregistrement de cet album a été de par venir à le faire dans un studio qui, par la faute même du groupe, n’était pas si performant. « Le truc avec le studio d’Oli, c’est qu’il est super pour y faire des fêtes. C’est sympa, confortable, il y a des néons, des instruments cool un peu partout, et un énorme sound system. Alors on y a organisé pas mal de grosses soirées. Et au cours de l’une de ces soirées, il devait y avoir une trentaine de personnes dans la salle de contrôle, de la bière a été renversée sur la table de mixage. Alors on a dû enregistrer le reste de l’album avec seulement la moitié des canaux opérationnels, et on a quand même réussi à terminer.»

Cette anecdote illustre bien la création de Family of Aliens. Comment tourner des circonstances compliquées à son avantage. Comment rendre beaux les effets du vice. Comment changer sa façon de travailler, et obtenir un résultat encore meilleur qu’auparavant.