TEKE::TEKE

Shirushi

Sortie le 03 décembre 2021

Kill Rock Stars

Entre de bonnes mains, un même objet d’art peut connaître plusieurs vies. La méthode séculaire du kintsugi permet de réparer les poteries brisées en soudant les morceaux avec de la laque d’or, d’argent ou de platine. Beau dans son incarnation première, si l’objet vient à se briser, il peut être réparé et magnifié à nouveau. Après s’être inspiré du surf rock japonais, du psychédélisme brésilien et du folk bulgare, puis avoir mis en pièces ces compositions, le groupe montréalais TEKE::TEKE a fait de la destruction le fertile terreau de son premier album Shirushi.

 

TEKE::TEKE trouve son origine dans un autre projet, alors que le guitariste Serge Nakauchi-Pelletier, le batteur Ian Lettre et le tromboniste Etienne Lebel commencent des improvisations ensemble tout en étant membres du backing band d’un autre artiste. Tandis qu’ils partagent leur musique et découvrent de nouveaux morceaux, ils se sentent particulièrement attirés par le travail de la légende japonaise du surf rock et du garage rock Takeshi « Terry » Terauchi. « On a commencé à apprendre ses chansons et à les jouer pendant les balances, et on a décidé de monter un groupe ! » raconte Nakauchi-Pelletier. Ces compositions nécessitaient cependant plus de musiciens, ils sont donc partis à leur recherche : « On s’est retrouvé à sept, un drôle de mélange de talents aux influences très diverses », ajoute-t-il en riant.

 

Le trio est rejoint par le guitariste rythmique Hidetaka Yoneyama, le bassiste Mishka Stein, la multi-instrumentiste Yuki Isami et la chanteuse Maya Kuroki. Ensemble ils commencent immédiatement à s’imprégner de l’œuvre de Terauchi tout en développant un style propre au groupe. Leur première scène a lieu lors d’un festival de musique psychédélique, sous la forme d’un hommage à Terauchi qui leur vaut des critiques élogieuses. A partir de là, TEKE::TEKE commence à intégrer de plus en plus son matériel et son style dans les arrangements. « On ne s’attendait pas à la réponse qu’on a reçue, mais le fait de rencontrer de nouvelles personnes et de sentir toute cette énergie nous a poussés à avancer », raconte Yoneyama.

 

Le groupe a passé ces deux dernières années à diffuser cette expérience tourbillonnante et joyeuse à travers le monde, tout en prenant du temps, à distance de la scène, pour traduire cette expérience dans le premier album. Les sept musiciens se sont réfugiés dans une cabane dans la campagne canadienne pour écrire, avant un séjour dans le célèbre studio Machines with Magnets de Rhode Island pour être sûrs de se concentrer sur la musique et rien d’autre. « Être sept dans la pièce nous a permis de nous ouvrir et de rassembler plein d’idées différentes, explique Nakauchi-Pelletier. Je suis arrivé avec des chansons écrites, mais avoir quelque chose de réfléchi ne veut pas forcément dire grand chose. On peut tout casser et recoller les morceaux d’une manière différente. »

 

Le résultat de ce projet de reconstruction, Shirushi, est une impressionnante mosaïque de styles et d’époques, dans laquelle des riffs de guitare dingues et des trilles de flûte traversière volent en escadron. Le disque intègre des instruments traditionnels, s’inspire des musiques de films des années 70 et des ballades romantiques de l’enka japonais, pourtant c’est comme s’il nous venait d’un futur lointain. Le premier single, « Kala Kala », résume parfaitement ce refus d’être bridé : il démarre sur une ambiance exubérante pour aboutir à un crochet instrumental titanesque, la voix de Kuroki s’élançant au-delà. « La langue japonaise permet une poésie très visuelle, et les paroles racontent une histoire haute en couleur, avec une atmosphère affirmée et des thèmes émouvants », explique la chanteuse Maya Kuroki. De cette façon, chaque morceau fonctionne individuellement comme la B.O. d’un film disparu, avec son genre et son histoire particuliers, y compris pour les personnes qui n’ont pas accès directement au sens des paroles de Kuroki.

 

Après s’être fait un nom sur scène, c’est précisément cette énergie que TEKE::TEKE a retrouvée sur des morceaux comme le complexe « Barbara », enregistré en une seule prise. Alors que les cuivres et la basse se dirigent vers le paysage montagneux du morceau, la flûte d’Isami et le grognement de Kuroki prennent de la hauteur. Dans le vrombissant « Yoru Ni », la chanteuse choisit de chuchoter, en plein cœur d’un conte spirituel romantique sur l’abandon d’une quête illusoire. A son tour, « Dobugawa » raconte une histoire d’amour bouleversée par des révélations d’identité sexuelle, qui se fond dans d’étourdissants coups de violon et le crachin d’un piano désaccordé.

 

La voix de Kuroki atteint des sommets sur l’évocateur « Kaminari », un morceau qui crie la scène avec autant de ferveur que les titres phares de l’album, « Barbara » et « Meikyu », bien que très différemment. Entre les éclats du shinobue et les soupirs du trombone, ce qu’exprime Kuroki rappelle Björk et son aptitude à se sentir forte tout en étant submergée par l’émotion l’instant d’après. Actrice et artiste visuelle de formation, Kuroki sublime d’une façon magistrale, sur le devant de la scène de TEKE::TEKE, les arrangements déjà spectaculaires du groupe.

 

Dès l’ample arrangement de cordes qui clôt l’album sur « Tekagami », il est évident que Shirushi n’est que le début d’un voyage tentaculaire. « C’est notre invitation à rejoindre notre petit monde, explique Yoneyama. Le titre de l’album dans ce contexte est le signe de grands changements, de grandes choses à venir. » Et tout comme le kintsugi, ce monde est continuellement récréé par des aventuriers audacieux prêts à tailler en pièces le passé et à découvrir à quoi il ressemble une fois reconstitué à leur manière. « Il y a toujours quelque chose de prometteur après la destruction, ajoute Nakauchi-Pelletier. Ensuite vient la renaissance, et nous devons réapprendre. »