Skinny Pelembe

Hardly The Same Snake

Sortie le 28 avril 2023

Partisan Records

« Je ne m’étais jamais considéré comme chanteur jusqu’à aujourd’hui », avoue Skinny Pelembe. Avec assez de recul désormais sur Dreaming Is Dead Now, son premier album sorti en 2019, le musicien adoubé par Iggy Pop et Grace Jones compare sa production énigmatique et sombre à de l’« encre de seiche », ayant pour but de masquer un manque de confiance vocale et de dissimuler l’homme derrière la musique. Sur son nouvel album, il n’y a plus de concessions.

 

Viscéral mais doué d’une âme, Hardly The Same Snake est le disque d’un artiste né en Afrique du Sud, à Johannesburg, et ayant grandi à Doncaster, au Royaume-Uni, qui a finalement trouvé sa voix, au propre comme au figuré. Concrètement, Skinny a dû trouver le courage de mettre en avant sa voix grave dans ces productions qui transcendent les styles. Mais il a également abandonné la sécurité que lui offrait son ancien label (Brownswood Recordings, le label de Gilles Peterson), pour découvrir l’artiste qu’il désirait vraiment être. Comme il le dit aujourd’hui, « cet album est ce que j’aurais fait la première fois si j’avais évalué ma propre voix. »

 

Gagner en confiance a été un processus évolutif, remontant à l’enfance. Bien qu’issu d’une longue lignée de mélomanes, personne dans sa famille n’avait jamais fait carrière dans la musique ; il a tracé cette voie seul. L’un des premiers souvenirs musicaux de Skinny remonte à la fois où il s’était caché dans le panier à linge de son grand frère pour espionner ce qu’il était en train d’écouter après l’école. « Lui et ses copains passaient Liquid Swords de GZA et j’étais tombé amoureux de “4th Chamber” », se souvient-il avec tendresse, – ajoutant avec d’auto-critique : « J’ai l’impression que tout ce que j’ai fait depuis, c’est d’essayer de reproduire ce son. »

 

Si Wu Tang Clan et Onyx ont participé pour moitié à l’éduction musicale de Skinny, l’autre moitié il la tient de son père, qui lui a transmis son amour des chanteurs country, comme Marty Robbins et Johnny Cash. A l’adolescence, Skinny partageait son temps entre les groupes de garage dans lesquels il jouait, et la production, qu’il expérimentait dans un studio local dirigé par un ami de son professeur de guitare.

 

C’est alors qu’il vivait dans l’Essex et travaillait comme assistant photographe et aide à domicile que la carrière artistique de Skinny a décollé. En bon fan de Gilles Peterson, il répond à un appel à démos dans le cadre du programme de soutien aux talents du DJ, Future Bubblers. Skinny est ensuite sélectionné pour faire partie de la promotion 2017, remportant ainsi l’opportunité d’enregistrer un disque, de donner un concert et de bénéficier d’un tutorat. Au cours de la formation, Skinny sort son premier EP, Seven Year Curse, avant de signer avec Brownswood et de proposer le boom-bap onirique de son single à succès « I’ll Be On Your Mind ».

 

C’est Brownswood qui a publié son premier album. Offrant un singulier mélange de jazz, de soul, de dub et de post-rock, Dreaming Is Dead Now a reçu d’excellentes critiques, louant l’approche innovante de Skinny, à partir de samples, et sa capacité à s’approprier des thèmes aussi variés que la xénophobie et le deuil. Alors, avec une formule gagnante déjà bien en place, la décision de Skinny de prendre une direction opposée pour son deuxième album semblait quelque peu téméraire.

 

« Je balisais à fond mais je sentais que j’avais besoin de retirer ce filet de sécurité, confie Skinny, en se souvenant de la période qui a immédiatement suivi sa séparation en bons termes avec Brownswood, et qui a précédé sa signature avec Partisan Records. Par moments il a remis en question son choix, notamment lorsque l’insatisfaction des premières expériences l’a conduit à deux reprises à réenregistrer Hardly The Same Snake. Déterminé à ce que la collection ne sonne pas comme un disque de groupe, mais qu’elle ne soit pas non plus trop électronique, Skinny a assemblé les chansons en samplant des instruments enregistrés à l’origine en direct, et incluant des versions coupées et en boucles des beats brillants et complexes joués par Malcolm Catto des Heliocentrics. Un processus minutieux qui a porté ses fruits, avec un nouvel album qui reflète avec honnêteté l’évolution artistique de Skinny.

 

L’idée de tracer sa propre voie, – et de changer de peau, pour ainsi dire – fait partie intégrante de Hardly The Same Snake. Débuté avant le Covid et achevé au printemps 2021, ce disque, résolument tourné vers l’extérieur, s’intéresse à la famille, à la religion et aux grandes étapes de la vie, de la parentalité à la mort. Alors que Skinny partait auparavant de ses rêves pour écrire ses textes, cette fois il a pris des notes lors d’expositions de design, utilisant ces observations brutes comme point de départ pour ses chansons.

 

On entend cette approche de collage dans le flux de conscience sombre qui alimente « Same Eye Colour ». Propulsée par un fracas rythmique inspiré de la jungle, la chanson s’attaque au côté comme il faut de la corruption, depuis les escrocs opérant au nom de la religion, chaussures de luxe aux pieds, jusqu’aux politiciens qui ont trahi la génération Windrush, des dizaines de milliers de citoyens britanniques issus de l’immigration antillaise d’après-guerre pour répondre aux forts besoins de main d’œuvre de l’époque, injustement considérés comme clandestins il y a quelques années. « Deadman » pour sa part parle d’héritage, faisant allusion à la nature éphémère de la vie. L’image centrale de la chanson-titre a quant à elle été inspirée par un triptyque de peintures de Lucy Calder ; Skinny y parle du vieillissement et réfléchit à son propre parcours sur un groove serpentin approprié.

 

Sur « Don’t Be Another », un pur titre indé, il se débat avec des questions de responsabilité familiale, tandis que « Like A Heart Won’t Beat » évoque la mortalité, emporté par un piano frénétique de saloon et des guitares endiablées. « Oh, Silly George » explore la sensation d’isolement qui peut survenir lorsqu’on vit dans un pays étranger, – les images déstabilisantes de la chanson étant accentuées par un riff afrobeat et 8-bit saisissant.

 

L’album s’achève sur une dédicace à la cachette de Skinny enfant, interprétée par la chorale Rainbow Connections de Doncaster. Si on écoute attentivement, on trouve même un code secret à déchiffrer. Moment de tranquillité rare, la chanson offre à son auteur un espace vital pour réfléchir aux vies qu’il a vécues et à l’artiste qu’il est en train de devenir. Car si ce superbe deuxième album prouve quelque chose, c’est que même si Skinny est dur avec lui-même, il est l’une des voix britanniques les plus originales et audacieuses.