Philippe Cohen Solal & Mike Lindsay

Outsider

Sortie le 5 février 2021

Ya Basta Records

Les mots et l’imaginaire singulier de l’artiste outsider Henry Darger mis en musique par Philippe Cohen Solal et Mike Lindsay au fil d’un album luxuriant, qui porte haut les couleurs d’une pop baroque riche en arrangements fantastiques et détails étonnants. Les teintes vives et les collages d’OUTSIDER épousent les reliefs de mélodies mémorables, évoquant Divine Comedy ou Sufjan Stevens à leur meilleur.

Portées par la voix grave du chanteur Adam Glover, les chansons d’OUTSIDER ont une densité particulière et une immédiateté pop qui doivent beaucoup à l’association des compositeurs Philippe Cohen Solal (Gotan Project) et Mike Lindsay (Tunng). Mais elles doivent aussi énormément à l’œuvre incroyable et protéiforme de l’artiste outsider américain Henry Darger, révélée aux yeux du monde bien après sa mort en 1973. Comme si leur science de la mélodie et des arrangements, leur art des contrastes et des collages sonores, mûris au fil des ans et des projets, semblaient s’épanouir d’une façon nouvelle au contact des obsessions, des peintures et des mots de Darger. L’évidence d’une rencontre pour un projet hautement collaboratif, où dialoguent musique et images mentales et picturales.

Henry Darger, artiste outsider

L’art outsider, équivalent anglo-saxon de l’art brut théorisé par Jean Dubuffet, est le fruit de créateurs autodidactes que la pauvreté, la folie ou les accidents de la vie ont marginalisé. Leur œuvre nait en marge des milieux artistiques. Celle développée tout au long de sa vie (1892-1973) par Henry Darger n’a été découverte qu’après sa mort, dans le fourbi d’une chambre qu’il occupait au 851 Webster Avenue à Chicago : un roman épique de 15.000 pages et plus de 300 peintures de grand format qui en sont la déclinaison. Techniques mixtes, décalques et collages, sont utilisés pour évoquer une guerre interminable sur une planète imaginaire, déclenchée par la rébellion d’enfants tenus en esclavage, menée par les “Vivian Girls”. Un corpus nourri par des obsessions, une profonde religiosité et une histoire heurtée (une enfance passée dans un orphelinat sordide et une vie relativement solitaire), découverte en 1973 par Nathan et Kiyoko Lerner, les propriétaires de l’appartement loué par Darger. Une œuvre que le couple va porter à la connaissance du monde et qui va rencontrer un écho important dans le monde des arts.

Rencontres et hasards

En 2003, Philippe Cohen Solal n’a pas encore eu vent de cette histoire. Il est alors en tournée aux États-Unis avec Gotan Project quand un ami lui suggère d’inviter une certaine Kiyoko Lerner à son concert de Chicago. Grande amatrice de tango, la femme l’invite en retour à prendre le thé chez elle. La veille du rendez-vous, Cohen Solal visite l’American Folk Art Museum de New York et tombe en arrêt devant une œuvre de Henry Darger. Sur le cartel, ces quelques mots : “Courtesy of Kiyoko Lerner”. Non seulement il vient de connaître un choc esthétique comme on en a peu dans une vie, mais en plus il a rendez-vous le lendemain même avec une inconnue qui est au plus proche de l’œuvre. C’est la découverte et l’accès privilégié à une œuvre mais aussi le début d’une amitié et d’un dialogue, dont le projet OUTSIDER est aujourd’hui le fruit. L’idée d’écrire des morceaux inspirés de cet univers à la fois enfantin et violent trotte dans l’esprit de Philippe Cohen Solal depuis un moment quand Kiyoko lui apprend que Darger a lui-même écrit des chansons, dont il ne subsiste que les textes. Pour les écrire, Darger utilisait la même technique que pour son œuvre picturale : il samplait, échantillonnait, prenait des hymnes religieux et en changeait les mots, les personnages, adaptant ces chansons à son histoire.

Une équipe de rêve

L’exposition que le Musée d’Art Moderne de Paris consacre à Henry Darger en 2015, est l’occasion d’un premier galop d’essai pour Philippe Cohen Solal, qui sollicite son ami Mike Lindsay, du groupe anglais Tunng, pour composer et produire ensemble des chansons autour des textes de Darger. En quelques jours, à Londres, ils enregistrent un EP en collaboration avec le jeune chanteur Adam Glover et la multi-instrumentiste Hannah Peel (The Magnetic North), qui signe des arrangements de cuivres et cordes de toute beauté. C’est cette (petite) équipe de rêve que l’on retrouve aujourd’hui sur l’album OUTSIDER. Avec l’idée de raconter Darger musicalement, en embrassant la forme populaire de la chanson mais aussi en étant fidèle à sa façon de travailler : ”Dans son travail, on voit le scotch : il fallait qu’on entende le scotch et le côté artisanal”, explique Philippe Cohen Solal, qui a beaucoup puisé dans sa collection d’enregistrements sonores en vinyles, y prélevant notamment des vieilles pubs américaines et des bulletins météorologiques (Darger était obsédé par la météo : dans son journal, il notait chaque jour le temps qu’il faisait et le comparait avec les prévisions météo entendues à la radio). La beauté des chansons d’OUTSIDER naît de cette collision entre l’opulence des mélodies, chœurs et arrangements et l’étrangeté de ces ambiances où se bousculent effets analogiques, archives et sons pas toujours identifiables. Comme un vernis qui se craquèle pour souligner encore davantage la beauté de Hark Hark ou Bring Them In, comme une inquiétude qui sourde du tonnerre (Who Will Follow Angelinia?) ou des canons (We Sigh for the Child Slaves).

OUTSIDER, un projet protéiforme

Ce sublime album de pop baroque est le cœur d’un dispositif ambitieux, qui associera un film, une série de podcasts et des événements en ligne, en lien avec les grandes institutions qui ont montré le travail de Darger, à commencer par le Musée d’Art Moderne de Paris, qui inaugure, à l’automne 2020 et pour une durée de six mois, une salle entière dédiée au travail de l’artiste outsider. “Avec ce projet, j’ai envie de questionner la nécessité de l’art, de la reconnaissance, l’exhibition de sa vie”, explique Philippe Cohen Solal. ”Darger a créé une œuvre toute sa vie sans la montrer à personne, qui aujourd’hui influence beaucoup de gens, dans des champs artistiques différents. A une époque où il est devenu tellement important de montrer le moindre truc que tu fais, ça m’interpelle beaucoup. Darger est anti-notre époque, comme la plupart des artistes outsider.”