Palace

Ultrasound

Sortie le 05 avril 2024

Friction Records

Le groupe Palace a l’habitude d’être ballotté par les marées de la vie. D’abord copains d’école à Dorset, dans le Sud-Ouest de l’Angleterre, le chanteur Leo Wyndham, le guitariste Rupert Turner et le batteur Matt Hodges ont commencé à jouer ensemble en 2012 (aux côtés du premier bassiste Will Dorey), après avoir été chacun séparément conduit à Londres par le destin. Installés dans un centre artistique nommé The Arch à Tottenham, et inspirés par des artistes comme Nick Drake, Cocteau Twins, John Fahey, Neil Young, Jeff Buckley et Radiohead, ils ont créé un passionnant magma de sons et d’émotions, mêlant à parts égales alt-rock complexe, blues sombre, mélodies glaciales et expérimentation exotique. Le succès a été quasi instantané en streaming, puisqu’ils ont récolté plus d’un million d’écoutes pour les premiers EP Lost In The Night et Chase The Light.

 

Leur premier album chez Fiction records, So Long Forever (2016), fouillait dans les décombres de la psyché brisée de Wyndham suite au décès d’un membre de sa famille et à la rupture simultanée de  ses parents, et avec sa partenaire, en écho avec l’époque. Le somptueux « Live Well » a franchi la barre des 100 millions de streams à lui tout seul. « L’album a été un marqueur incroyable pour notre groupe, explique Leo. Il a résonné très profondément chez les gens. » En 2019, le deuxième album, Life After, a pris un tour plus optimiste : en embrassant « l’espoir qui réside dans le deuil et la vie après, pour grandir à nouveau », il a attiré les fans de Palace toujours plus près, tout particulièrement la chanson préférée des radios, « Heaven Up There » et ses sept minutes, une chanson en forme de tempête de glace céleste, qui soutient l’ensemble du disque et a vraiment touché les gens par sa figuration chaleureuse de la perte et de la guérison.

 

Lorsque le Covid a frappé et que la communauté de The Arch s’est effondrée au milieu de « beaucoup de politique et de choses bizarres », Palace a déménagé dans un espace sans fenêtre à Manor House, à Londres. Après avoir brossé quelques démos en 2020 pour l’EP Someday, Somewhere, qui a été bien accueilli, le groupe a enregistré son troisième album, Shoals (2022) à distance pendant les périodes de confinement. Avec ses textures plus électroniques, Shoals voit le monde de Palace s’assombrir à nouveau, en se confrontant à la peur, à l’isolement, à l’angoisse et à l’auto-analyse de l’ère pandémique, tout en tentant de tracer de potentiels chemins pour sortir de la forêt. Le disque est accompagné par une série de singles (« Gravity », « Lover (Don’t Let Me Down) », « Fade » et « Where Sky Becomes Sea »), et alors que le groupe prépare son quatrième album, il décide de s’appuyer davantage sur cette approche créative plus intermittente.

 

« Recrutant à nouveau le producteur de leur premier album et désormais ami, Adam Jaffery, avec lequel ils estimaient avoir des affaires musicales inachevées, Palace a réservé des sessions d’enregistrement régulières aux Unwound Studios de Deptford entre octobre 2022 et septembre 2023. Avant chaque session, ils écrivaient cinq ou six chansons, dans le but d’en enregistrer quatre, en procédant au fil de l’eau et en trouvant une excitation neuve dans l’alchimie, la confiance, l’amitié et la collaboration créative qui sont nées dans le processus. « On en était à un point où la toile était vierge, dit Leo. On a pensé que ce serait une bonne approche de faire les choses au fur et à mesure et de voir comment ça se passerait. »

 

Ils espéraient ainsi saisir une année dans la vie de Palace. Sans se douter du défi et de l’importance que cela représenterait.

 

Lors de l’écriture des premières chansons, la femme de Leo fait une fausse couche tardive. L’expérience laisse le leader du groupe défait et à la dérive. « Le vide que je ressentais a duré longtemps, explique-t-il. On avait beaucoup de chagrin, on se sentait dans un état de confusion indescriptible, ça ne s’arrêtait pas, ça vibrait dans les silences. C’était comme si une bombe avait explosé et que l’explosion avait détruit toute notion de temps et de logique actuelle. On est resté dans cet état pendant un bon moment. »

 

Ultrasound, le quatrième album de Palace, est donc naturellement devenu un journal de bord retraçant la lutte que Leo a menée pendant un an, de la dévastation à la délivrance. « Il était incroyablement difficile de comprendre ce qui s’était passé, d’y faire face et d’aller de l’avant, explique-t-il. L’album retrace le périple qu’a représenté cette expérience absolument bouleversante, de la perte à la période d’analyse, avant l’acceptation, la libération et l’essor. Avec admiration pour les femmes qui vivent cette expérience. Leur dignité, leur force et leur courage dans la manière dont elles parviennent à faire face à ces choses qui dépassent les hommes. »

 

Le premier titre de l’album, « When Everything Was Lost », un rock glaçant avec un soupçon de Bon Iver, capte ce que Leo appelle « cette sensation initiale de bombe » (“that initial bomshell feeling”), quand « soudain tout est par terre… on est tous en mer pendant un long moment, cherchant à savoir quel est le chemin vers le haut et quel est le chemin vers le bas » (“suddenly everything’s on the floor…you’re all at sea for a long time, figuring out which way is up and which way is down.”) « J’ai rêvé que c’était différent, tellement j’étais différent », chante-t-il (“I dreamt it was different so much I was different”), espérant que « je te verrai dans un autre temps » (“I’ll see you in another time”) et concluant sans détour que « tout est foutu » (“everything is fucked”). « Son » est une chanson plus calme et pleine d’émotion, qui reflète non seulement la perte vécue par Leo, mais aussi celles d’amis à lui : « Le ciel ne sera jamais vide, c’est étrange la façon dont le silence grandit » (“heaven will never be empty, strange the way the silence grows”).

 

A partir de là, Ultrasound se fraie un chemin à travers les décombres, à la recherche de la lumière. Le triptyque pop-gaze langoureux et chatoyant formé par « Bleach », « Nightmares & Ice Cream » et « Rabid Dog », explore les fractures qui mettent à l’épreuve une relation frappée par le deuil et la difficulté de témoigner de la douleur de l’autre. Mais si la perte est une expérience solitaire et angoissante, l’hallucinogène « Nightmares… » provient d’un rêve que Leo a fait où il voyait sa partenaire dans l’au-delà : « C’était une très belle abtstraction, où nous étions ensemble, dans une acceptation totale de ce qui s’était passé, et c’était euphorique », dit-il.

 

Au cœur de l’album, il y a trois chansons de soutien et de renforcement. « Make You Proud » parle de la volonté d’être la meilleure version de soi-même par amour pour l’autre. La mélancolique « Inside My Chest » évoque la prise de conscience qu’il y a des parties du cœur qui sont à jamais réservées à ceux que nous avons perdus et qu’il n’y a pas de mal à ce que notre partenaire n’emplisse pas cet espace. Et « Love Is A Precious Thing », la pièce maîtresse mélodique de l’album, construite sur des rythmes krautrock et des lignes de guitare vaporeuses, dépeint l’amour comme quelque chose de capricieux, – parfois précieux et fragile, parfois « un oubli » (“an oblivion”) et « une chose vicieuse, du sang dans le vent mordant » (“a vicious thing, blood in the biting wind”). Mais la chanson conclut que « Nous pourrions être n’importe qui si tu m’aimes comme je t’aime » (“We could be anyone if you love me like I you”). « Nous avons dû nous reconstruire indépendamment l’un de l’autre, admet Leo. Et je pense que nous en sommes plus forts. »

 

La dernière partie de l’album marque une période plus méditative. La bucolique « Say The Words », aux accents gaulois, reconnaît les pressions exercées par la société sur les femmes pour qu’elles fondent une famille, et leur résilience face aux difficultés de la maternité. « Une fausse couche est en soi une expérience féminine et, en tant qu’homme, on est en quelque sorte spectateur, et c’est ce qui rend les choses si déroutantes, poursuit Leo. J’ai énormément de respect, de compassion et d’admiration pour cette force qu’ont les femmes. » « How Far We’ve Come » confronte le vieillissement, la mortalité et nos ambitions changeantes. Et tandis que « All We’ve Ever Wanted » revisite la crudité de l’angoisse de Leo dans ses images de feux de forêt et de sables mouvants, son désir de paternité toujours brûlant, l’épique « Goodnight Farewell » qui clôt l’album, détériorée sur le plan sonore, battue mais debout et fière, le voit enfin atteindre une forme de paix.

 

« Il s’agit d’une transition vers une nouvelle phase, explique-t-il. De dire au revoir à cette année qui a changé notre vie, de dire au revoir à d’anciennes versions de nous-mêmes et à ce qui aurait pu être un enfant. C’est cette transcendance qu’il y a à découvrir soudain que nous pouvons aller de l’avant vers plus de légèreté et d’optimisme. »