
mais le ciel est sublime
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Sortie le 24 octobre 2025
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« il n’y a aucun espoir, mais le ciel est sublime » (‘mais le ciel est sublime’)
De ce refrain scandé comme un slogan, nous étions une armée choisit de ne garder que la deuxième partie pour baptiser son premier album. mais le ciel est sublime, donc, c’est la réponse au fatalisme, au nihilisme, par la poésie au sens premier du mot. C’est la transfiguration de la noirceur, de la douleur, du désespoir, grâce à une langue devenue le moteur d’une énergie vitale, grâce à un souffle, grâce à l’urgence d’une musique entre chanson, rock et post-punk, toujours à fleur de peau.
nous étions une armée, c’est donc la réconciliation des contraires, la recherche de la lumière dans l’obscurité la plus totale. C’est le dépassement du romantisme noir fondateur du projet vers une puissance vitaliste, une révolte joyeuse, violente et exaltée : «je suis plus vivant que jamais» (‘plus vivant que jamais’). C’est aussi l’évidence d’une rencontre entre Léo Nivot – auteur, compositeur, chanteur et comédien – et Rémi Le Taillandier – guitariste et compositeur de musique contemporaine – autour de Deleuze, de Camus et du post-rock.
« je viens d’un territoire perdu, je suis un territoire perdu, et je le resterai » (‘territoire perdu’)
Moins d’un an après la sortie de son premier EP, le duo continue d’imposer ses paradoxes : il signe pour le live avec le géant Décibels Production, se produit sur les scènes de Musilac ou des Francofolies cet été, mais décide de rester entièrement indépendant pour tout le reste. Le duo produit, enregistre, mixe lui-même tous ses titres, réalise ses propres clips et ses pochettes, dans une complicité presque fraternelle.
Il livre ici un premier album radical, en clair-obscur, où la mélancolie est percée d’une lumière irradiante dans des refrains construits comme des points de bascule et de transcendance. Les guitares électriques – dont la douceur autant que les envolées bruitistes peuvent rappeler Mogwai – sont portées par des boîtes à rythmes inarrêtables, évoquant la dernière période de Radiohead. La voix, parlée-chantée, tente elle aussi de réconcilier les contraires. Habitée, elle cherche à provoquer des images, des visions, à jeter des formules magiques qui pourraient redessiner le monde, selon l’idée d’Antonin Artaud.
« plus tard, j’écrirai des chansons pour le reste du monde. mais pour l’instant, j’écris pour toi » (‘le poignard dans le <3’)
nous étions une armée, c’est donc d’abord une voix qui parle. Et parler sur de la musique, c’est souvent rêver de briser la frontière entre l’art et la vie, en dépossédant la voix des artifices du chant. Sans réelle mélodie, sans rime, sans métrique régulière, la voix tente d’inventer sa propre poétique pour atteindre une forme d’intimité suprême, proche de la confession. Dans cette proximité, quelque part entre le spoken word de Kae Tempest et la scansion d’Alain Bashung, les textes cherchent une résonance avec l’intimité de celui qui l’écoute, et donc avec la part d’universel qui nous habite.
« c’est une chanson d’amour comme une autre » (‘chanson d’amour (comme une autre)’)
mais le ciel est sublime, ce sont avant tout des chansons d’amour. Et comme toutes les chansons d’amour, ce sont des chants de résistance. Contre ce qui nous fait honte, ce qui nous pousse à nous haïr, ce qu’on aimerait cacher, détruire, mais ce qui fait partie de nous. Ce sont des chants d’amour, donc, de résistance et de fierté, en même temps, et pour nous-mêmes : « la tête haute, le regard droit devant, je n’aurai plus peur de moi-même » (‘ne pas regarder en bas’) ; « je sais, nous avons de l’or sous la peau, et un soleil qui brûle » (‘plus vivant que jamais’).
Ce sont aussi des chansons d’amour pour ceux qui sont partis. Pour ceux qui, en partant, ont commencé à habiter l’air, le ciel, les murs de la ville, l’univers tout entier. Ce sont des chansons qui parlent de ce rapport magique, mystique au monde, cette nouvelle manière de le voir, de l’habiter, à travers l’absence de ceux qu’on a aimés : « tu as laissé la lumière allumée en partant, le DVD rayé tourne encore » (‘plus vivant que jamais’) ; « pour chaque jour où la terre tout entière nous envoyait des signes, dans les nuages, dans les films, sur les visages, dans les livres, partout » (‘brisé en 4’).
« je suis remonté à la surface, à la lumière du jour, comme un plongeur qui sort la tête de l’eau, enlève son masque et respire, à nouveau » (‘chanson d’amour (comme une autre)’)
mais le ciel est sublime, ce sont surtout des chansons de résilience, portées par un espoir, par une envie de vivre toujours plus brûlante. Si la douleur est le point de départ de chaque morceau, la raison même de sa composition, c’est qu’elle fait rejaillir la vie de manière plus intense, plus puissante, plus perceptible. C’est au fond de l’abîme qu’on retrouve la lumière, et dans l’adversité qu’on sent l’existence nous traverser : « nous serons plus vivants que jamais » (‘plus vivant que jamais’).
Même si les sujets semblent personnels, intimes, ils sont surtout à l’origine d’une réorganisation mentale de l’univers tout autour. C’est cette réalité délirante qu’on voit et qu’on entend dans les chansons. Le deuil, la passion, la dépression ne sont pas traités comme des épreuves individuelles, mais comme des manières de se reconnecter au monde, à l’univers, à ces forces presque surnaturelles qu’on avait oubliées : « j’ai regardé le soleil dans les yeux, le visage de ma sœur et l’horizon trop grand pour moi » (‘mais le ciel est sublime’).
Encore une fois, c’est en reconnaissant la tragédie qu’on arrive à y faire face, à y résister. C’est en regardant son propre désespoir qu’on reconnaît l’humanité toute entière, qu’on se relie à elle. Et c’est dans la révolte face à l’absurdité, dans ce mouvement, cette transcendance, qu’on trouve la force, le courage, la joie : « le jour se lève, le jour se lève enfin, c’est à notre tour de briller, c’est à notre tour » (‘plus vivant que jamais’).
« j’écris pour toi, c’est le poignard dans le cœur, et le cœur sur la table » (‘le poignard dans le <3’)
Après une première date parisienne complète au Point Éphémère, le groupe se produira à La Maroquinerie le 20 novembre prochain. Inspiré par Nick Cave et Idles, le duo propose lui aussi des performances scéniques très habitées, où les guitares électriques accompagnent la voix jusque dans le hurlement. Le parlé-chanté impose d’ailleurs une théâtralité revendiquée par le groupe, selon les mots d’Antonin Artaud : « L’acteur doit brûler sur les planches comme un supplicié sur son bûcher. » Lors de ces concerts au dénouement presque sacrificiel, on comprend que la musique du duo, si elle doit toucher, nous touchera en plein cœur.