
The Heat Warps
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Sortie le 29 août 2025
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Bella Union

Lorsque Modern Nature a tourné pour son dernier album, No Fixed Point In Space (2023), Jack Cooper, l’âme du groupe, a senti qu’ils s’éloignaient déjà de l’approche libre et ouverte façonnée au fil des cinq dernières années. Leur musique, devenue abstraite et élastique, semblait appeler un retour à plus de structure. Naturellement attiré par des rythmes plus définis, Cooper a compris qu’un virage s’amorçait. The Heat Warps, leur nouvel album, en est la manifestation éclatante.
Son écriture devenant de plus en plus impressionniste, Cooper a recentré son regard. L’idée de prolonger la voie des deux albums précédents lui semblait désormais obsolète. Il voulait une rupture. Autour du noyau formé par lui-même, Jim Wallis (batterie) et Jeff Tobias (basse), est arrivée une nouvelle venue : la guitariste Tara Cunningham.
Les précédents albums reflétaient une existence en retrait. Installé à la campagne depuis 2021, Cooper était, selon ses mots, « en hibernation », occupé à fonder une famille. Il voit cette nouvelle formation comme un éveil, un moyen d’explorer avec plus de clarté et de détermination les thèmes chers à Modern Nature – le collectif, la nature, la conscience. Le son à deux guitares est devenu la clé de cette évolution.
« J’ai toujours été attiré par les groupes où deux guitaristes se répondent pour donner du relief à la rythmique », explique-t-il. « Ce soir-là, j’avais écouté des démos de Television avec Brian Eno, puis j’ai improvisé pour la première fois avec Tara. Nos approches sont proches, jusque dans nos voix, ce qui crée un équilibre singulier. »
Cette symétrie entre guitares fait écho à celle de la rythmique assurée par Jim et Jeff. Bien que de nombreux musiciens aient contribué aux projets précédents – plus de quinze –, l’arrivée de Tara a soudé le groupe autour d’une formule plus directe et puissante.
Depuis la création de Modern Nature, le monde a changé. Les textes de Cooper, autrefois ambigus, paraissaient désormais indécis. Il a voulu faire face.
« Chaque jour, le monde devient plus confus et menaçant », dit-il. « Créer peut sembler dérisoire, mais mon regard a été façonné par des artistes qui n’avaient pas peur de dénoncer et de proposer, comme Public Enemy, The Smiths, ou la contre-culture américaine. »
« La communauté qui nous entoure – artistes, musiciens, toutes celles et ceux qui s’expriment par la création – peine à trouver sa place dans un monde de plus en plus dur. Cet album leur est dédié. Il y a encore des raisons d’espérer. Des choses extraordinaires émergent, et c’est à des groupes comme le nôtre de défendre ce qui compte. Faire partie de Modern Nature et créer un disque ambitieux et ouvert est, à mon sens, déjà une réponse. »
Au fil des répétitions, l’énergie et l’élan collectif sont devenus si puissants qu’un enregistrement s’est imposé. Quelques concerts ont suivi, puis quatre jours d’enregistrement au studio entièrement analogique Gizzard Recording, à l’est de Londres. Deux semaines intenses, vécues ensemble dans une effervescence créative.
« Il est rare d’entendre un groupe jouer en direct dans une même pièce », note Cooper. « Cette interaction, ces légers décalages, cette alchimie… c’est là que la magie opère. C’est ce que nous voulions capter. »
Une influence inattendue plane aussi sur The Heat Warps : celle d’Andrew Weatherall. Avant sa mort, il avait diffusé Modern Nature dans son émission sur NTS. Touché, Cooper s’est donné pour mission de composer un disque que Weatherall aurait pu partager avec ses amis, tard dans la nuit. Sa maxime, « Fail we may, sail we must » (« Nous pouvons échouer, mais nous devons avancer »), inspire le morceau ‘Pharaoh’, aux accents proches de Can.
« Difficile de rester conscient sans sombrer dans le désespoir », dit Cooper. ‘Pharaoh’ défend l’idée de construire une philosophie de vie qui inspire ou, au moins, ne nuit pas aux autres. »
‘Radio’, de son côté, critique le mépris du capitalisme pour la nature. La phrase « there’s a fire all around » y insuffle une forme d’humour noir. Cooper se souvient l’avoir jouée le jour même où les médias montraient les incendies à Los Angeles. Un sujet sensible, reconnaît-il, mais qu’il juge essentiel à évoquer. Ce même refus de détourner le regard anime ‘Source’, inspiré par de récentes émeutes au Royaume-Uni, attisées par la désinformation visant les demandeurs d’asile.
Malgré cette gravité, The Heat Warps n’est pas un album écrasé par l’angoisse. Sa beauté sonore offre des respirations, voire un certain optimisme. Le morceau final, ‘Totality’, en est l’illustration parfaite. Cooper se souvient de l’éclipse solaire de 2024, observée aux États-Unis : « C’était fou de voir les chaînes traiter ça comme un match ou une cérémonie des Oscars. Tout le monde en parlait. Le père d’un ami avait même organisé une grande fête. Il a dit : “Nous espérons une éclipse totale” – et cette phrase m’a bouleversé. »
Le jour venu, en route dans le Nouveau-Mexique, Cooper s’est arrêté avec des centaines d’autres personnes pour lever les yeux vers le ciel. « C’était émouvant d’être témoin de quelque chose qui touchait les gens si profondément. Il y a une philosophie derrière tout ça, une sorte de nihilisme romantique. »
C’est là, au cœur de The Heat Warps, que se révèle toute la force de Modern Nature. Jamais encore leur musique n’avait résonné avec autant de profondeur et de justesse.