Kristine Leschper

The Opening, Or Closing Of A Door

Sortie le 04 mars 2022

ANTI- Records

Du chaos est né l’univers et c’est également du chaos qu’une personne peut émerger. Kristine Leschper n’est pas dans l’emphase lorsqu’elle décrit sa sensation d’« être née » au moment où une série d’événements, à la fois personnels et à l’échelle de la planète, ont catalysé en elle « une prise de conscience du moyen de renoncer de façon décisive au contrôle, au profit d’une nouvelle manière d’envisager le lien, le passage et l’impermanence. » Elle explique son désir d’œuvrer dans l’esprit des poètes du Nouveau Monde, où, selon les mots de June Jordan, il existe « une vénération pour le monde matériel qui débute par une vénération pour la vie humaine, une confiance intellectuelle dans la sensualité comme moyen de connaissance et d’unité. »

 

L’album de Kristine Leschper, The Opening, Or Closing Of A Door, est un hymne au monde sensoriel. C’est la première fois que Leschper sort un album sous son nom, abandonnant le pseudonyme Mothers après huit ans de concerts et d’albums. Bien que les deux projets soient guidés par une même approche de l’écriture, ils ne pourraient pas résonner de façon plus différente. Là où Mothers puisait son inspiration auprès des sons austères et dépouillés du post-punk et du folk contemporain, le nouveau travail de Leschper est quasi baroque, incorporant un ensemble de synthétiseurs, de cordes, de bois et plus d’une douzaine d’instruments à percussion. « Dans mon travail antérieur, l’enregistrement ne faisait pas partie du processus d’écriture, les enregistrements étaient simplement réalisés pour garder une trace de ce qui avait été écrit et répété. Depuis, je me suis découvert une affection profonde pour les enregistrements maison et l’exploration sonore, je m’épanouis dans ces petits terriers faits de textures, de timbres, de rythmes, qui peuvent ajouter tant de richesse à l’émotion d’une composition. »

 

Le processus d’enregistrement à domicile a donné à Leschper la possibilité d’intégrer son éthique personnelle dans sa musique, sans la pression d’un public. Durant l’élaboration de The Opening, Or Closing Of A Door, toutes les idées qui avait guidé sa transformation personnelle ont commencé à se sédimenter en quelque chose de communicable par la musique. « Mon plaisir réside dans une poétique de la démocratie, – dans les paroles libératrices de June Jordan, dans les spectacles humanitaires du Bread and Puppet Theatre. Les marionnettes, comme la poésie, condensent des idées complexes en éléments essentiels. Avec ces chansons, je voulais explorer des thèmes comme la nostalgie, le soutien, le lien, ces choses à la fois simples et complexes, omniprésentes et vitales. Ce sont les bases de nos vies personnelles, qui s’étendent plus largement à nos vies politiques. Je me suis demandé à quoi pourrait ressembler une chanson d’amour adressée à mes amis ? A quoi pourrait ressembler une chanson d’amour adressée à moi-même ? »

 

« Figure and I » offre précisément une réponse à cette question. « Dans la chanson, il y a deux personnages distincts qui représentent la séparation entre le soi, ou l’âme, et le corps, explique Leschper. Ça parle de comment apprendre à aimer le corps et l’esprit, et à combiner les deux. » Inspirée par l’artiste de samba Nelson Cavaquinho, Leschper a programmé un rythme de batterie, rapidement suivi d’un motif de claquement de mains pour l’accompagner, trait rythmique récurrent tout au long de l’album. « La simplicité des claquements de mains utilisés comme instrument était vraiment passionnante. Je m’intéresse depuis longtemps au symbolisme des mains, qui représentent le travail, la communauté, l’offrande, le soutien qu’on offre et qu’on reçoit. Cet outil de création sonore fondamental me donne la sensation d’être ancrée plus profondément dans le temps, en raison de l’ancienneté du claquement des mains dans les traditions folkloriques du monde entier. »

 

Les claquements de mains caractérisent également le paysage sonore luxuriant de « Picture Window », où Leschper a cherché à créer un espace sensoriel suffisamment vaste pour englober la fantaisie fugace de l’enfance. Il semblait approprié d’inclure un motif de palmas flamenco, tant le son des paumes qui s’entrechoquent rappelle à Leschper les claquements de mains des enfants lorsqu’ils jouent. « J’ai grandi dans une petite ville de Géorgie, et l’été était synonyme de grillons et de cigales, de comment ils se succèdent, et des tourbillons du pollen sur l’eau, explique-t-elle. J’ai construit cette chanson en plusieurs couches, en gardant toujours à l’esprit la toile de fond du Sud des Etats-Unis, la tête pleine des sons qui s’élèvent du sol brûlant. »

 

Chaque chanson de The Opening, or Closing Of A Door peut se définir comme une chanson d’amour. Leschper qualifie la caverneuse « Ribbon », organisée autour de l’orgue, de « chanson de soutien », comme un chemin pour sortir de l’isolement. « If you give me the sign/ I’ll take my knife to the ties of/ Your ribbons holding something/ Like a light inside » (« Si tu me donnes le signal, je couperai tes rubans, ces liens qui retiennent quelque chose, comme une lumière intérieure »), chante Leschper, inébranlable, sur un arrangement incluant des trilles de flûte. Ces arrangements ont été réalisés en collaboration avec Sammy Weissberg, dont l’orchestration unique correspondait parfaitement à la vision de Leschper pour ce projet. « Sammy abordait la musique de manière assez visuelle, voire théâtrale. Il a voulu faire des sections de l’arrangement de chambre un « personnage » qui entre et sort du cadre, et apporte avec lui son propre paysage sonore. » Matthew Anderegg, collaborateur de longue date, a écrit « All That You Never Wanted », le seul titre de l’album qui n’a pas été écrit par Leschper. L’interprétation guillerette et chantante d’une unique phrase répétée à l’infini rappelle un jingle commercial. « La chanson me fait penser à une rumination sur le consumérisme, et finalement à un rejet de celui-ci. La forme renforce le contenu, la répétition de la phrase principale peut presque se lire comme une publicité. »

 

Si on considère The Opening, Or Closing Of A Door comme un résumé de la métamorphose de Leschper, aucune chanson n’en parle de façon plus vivante que « Compass », ode à tous ceux qui l’ont aidée à tenir bon. Se mêlant aux cymbales, la voix singulière de Leschper est rejointe par celle d’invités parmi lesquels des membres de sa famille et quelques amis proches, dont le chant amateur apporte une chaleur et un réconfort typiques des gens que l’on aime le plus. Ici, Leschper retrouve ce foyer, le savoure et lui rend grâce.

 

« Ces derniers temps, mon travail se concentre sur l’exploration de la joie dans toute sa sauvagerie et sa complexité, sur ses manières compliquées de s’entrecroiser avec notre monde imparfait, explique Leschper. La circularité est devenue un élément majeur de mon système de croyances, le prisme à travers lequel je regarde le monde. L’observation des cycles m’aide à donner un sens à mon univers, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. La culture populaire aime nous raconter des histoires sur l’importance de la « croissance », la croissance personnelle, la croissance économique, etc. C’est très linéaire. Au travail, comme dans la vie, je fais un effort conscient pour me concentrer sur le contraire de ça, car la croissance linéaire n’existe tout simplement pas dans la nature. Si on prend suffisamment de recul, tout est cyclique, tout est en transition ! Il devient impossible d’ignorer le vaste réseau de systèmes que nous habitons. Et que nous sommes en relation les uns avec les autres à chaque instant. »