Katie Von Schleicher

Consummation

Sortie le 22 mai 2020

Full Time Hobby

Katie Von Schleicher n’est pas dans la retenue. Sa musique, enveloppée de couches chaudes et duveteuses, exploite sans réserve la dépression, la dévotion, le pouvoir et l’angoisse.

Retranscrire des sujets lourds est une constante dans la musique de Von Schleicher, mais elle les transforme aussi en paysages sonores inattendus. Sur son deuxième album, Consummation, elle est bien loin des ballades lo-fi de son premier album Shitty Hits (2017) et élargit sérieusement sa palette musicale : ses treize chansons polymorphes dépeignent une exploration profondément personnelle du traumatisme. L’album est puissant et agréable à l’oreille, étrange et familier, intense et divertissant – et surtout il respire la vie.

Katie Von Schleicher nous embarque d’emblée. Les synthés et les boîtes à rythmes du titre d’ouverture « You Remind Me » évoquent une pièce en dépressurisation, nous prévenant d’un changement d’itinéraire vers un territoire troublant et onirique. Sa voix assurée flotte au-dessus de la mêlée, ses paroles sont sans équivoque : “And now I can’t confine my rage.” Les chansons suivantes varient en termes de genre et de tempo, « Brutality » est une chanson électronique rock vibrante, « Wheel » et « Caged Sleep » sont des titres kraut rugueux et upbeat, « Gross » est une ballade mélancolique et cosmique, « Strangest Thing » est envoûtante. Ces chansons partagent une concision dans les paroles, un poids émotionnel et une production méticuleuse.

Consummation est en partie inspiré par une interprétation divergente de Vertigo, le film d’Alfred Hitchcock. En 2018 Von Schleicher, en revoyant le film, a été frappée par l’absence totale d’analyse du contexte abusif sous-jacent. Elle a tout de suite su que ce narratif masqué, qui a trouvé un écho en elle par rapport à son histoire personnelle, serait la base de son prochain album.

En l’écrivant, elle a trouvé inspiration et soutien dans les écrits d’autres femmes : Carmen Maria Machado, auteur de Son corps et autres célébrations, Rachel Cusk, auteur de la trilogie Outline, et Rebecca Solnit, auteur de A Field Guide to Getting Lost. Cette dernière a été particulièrement décisive : peu après ce revisionnage de Vertigo, Von Schleicher est tombée sur sa critique très virulente du film. Rebecca Solnit décrit l’errance, la traque, l’obsession liées à la quête amoureuse dépeinte comme une « consommation », tandis que la « véritable communion » – la compréhension et le respect mutuel entre deux amants – est, pour les hommes dans le film, « inimaginable ». Ces rapports ont pour conséquence un échec fondamental de communication. Consummation évoque la souffrance liée à l’incapacité de combler cette infinie distance psychique entre deux êtres.

Un amour destructeur peut-il être considéré comme de l’amour ? C’est la question que pose Katie Von Schleicher. A la fin de l’album il semble qu’elle ait trouvé une sorte de réponse, du moins pour elle-même. Sur « Nothing Lasts », la dernière chanson de l’album, un couplet romantique cède la place à un chœur catchy quoique fataliste – un peu comme un soupir de soulagement : “Cause nothing lasts for long, nothing lasts, see it’s gone.”