Christian Lee Hutson

Quitters

Sortie le 1er avril 2022

ANTI- Records

Christian Lee Hutson débute son nouvel album Quitters sur un éclat de rire. Dans cette suite à Beginners, son premier album déjà paru chez ANTI records, Hutson s’éloigne de la thématique du devenir adulte pour se focaliser sur la crainte et la difficulté de vieillir. Le rire qui ouvre Quitters est de ceux qui concluent les films de John Huston, c’est un rire de résignation et de renoncement, un énorme rire pour dire « Californie », cet endroit où les êtres solitaires se rassemblent comme les oiseaux.

 

Tout au long des 13 titres qui composent Quitters, Hutson dresse le portrait de l’endroit d’où il vient. Dans ces chansons qui font penser à des nouvelles, Hutson nous présente des personnages habités par cette lumière dorée et cette géographie malfaisante. C’est un endroit où tout finit par s’envoler et être recouvert par quelque chose de neuf, où même l’océan et les incendies murmurent sans cesse : « Un jour, nous reprendrons tout. » C’est un Los Angeles en constante transition, où l’enfance s’est éteinte, où la maison familiale a disparu et ne pourra plus jamais être visitée. Pourtant, le monde de Hutson est aussi celui des accidents heureux, où les portes sont laissées ouvertes exprès, dans l’espoir que de nouvelles personnes les franchissent. En fin de compte, il reste ces chansons créées par un esprit de l’avenir, écrites pour consoler l’être que nous sommes maintenant.

 

Produit par Phoebe Bridgers et Conor Oberst, Quitters s’éloigne également pour Hutson de l’enregistrement numérique de ses débuts. « Avec Beginners, explique-t-il, le but était de faire de simples enregistrements numériques. Pour ce disque, Phoebe et Conor se sont dit que ce serait amusant d’enregistrer sur bande. Phoebe est ma meilleure amie et faire Beginners avec elle avait été si agréable et facile. Donc je voulais retravailler avec elle. J’ai pris beaucoup de temps pour Beginners, ajoute Hutson. 10 ans, mais pour Quitters les chansons sont venues beaucoup plus vite. » Comme les nouvelles chansons ont été écrites dans un laps de temps plus court, « les textes manquaient un peu d’assurance. La présence de Conor m’a permis de m’appuyer sur un parolier que j’admire et qui pouvait apaiser mes angoisses. »

 

Hutson a puisé dans un large éventail d’influences pour son deuxième album : les rimes délicates de John Prine, le livre de Bob Mehr sur les Trouble Boys de Replacements, et The Sarah Book, l’autofiction de Scott McClanahan. Ce disque marque également une étape dans la recherche sonore par rapport au premier album de Hutson.

 

« On a fait Quitters d’une traite. On ne s’était pas vus pendant six mois et c’était la première fois qu’on se retrouvait ensemble dans la même pièce. On se sentait en famille, à travailler et à jouer avec les mêmes personnes, quand aucun truc n’a plus de secret pour l’autre et qu’on se complimente sur les ratés bizarres. Mes disques préférés sont ceux où la guitare est toute pétée et où c’est justement l’enregistrement qui est choisi. Ce sont ces accidents-là qui les rendent si particuliers. »

 

La chanson « Rubberneckers » annonce les deux grands thèmes de Huston : la mémoire et le chagrin. Créée avec son ami artiste Alex Lahey, « Rubberneckers » a été la dernière chanson écrite pour l’album. « Après avoir fait le disque, confie Hutson, je pensais au mariage, à la dépendance dans le couple et au fait de se mentir à soi-même. On aime se raconter que notre vie est comme ça, que ce sont les paramètres. On ne se rend même pas compte qu’on est sur la pente raide avant de débouler dans les ténèbres de la forêt, mais on continue à marcher parce que la route est confortable. » La chanson retrace l’effondrement d’une relation, du mariage à la rupture. Hutson poursuit : « La chanson parle du fait que, quand notre vie s’effondre, les amis se focalisent sur ça plutôt que d’apporter tout simplement leur soutien. » « Rubberneckers » comporte également quelques-unes des nombreuses rimes parfaites de l’album : “Self-esteem vending machine/a doctor’s office magazine.” (« Distributeur automatique d’estime de soi / magazine de cabinet médical. »).

 

En revanche, la chanson « Cherry » ramène Hutson à certains des thèmes de jeunesse de son premier album. « Je l’ai écrite pendant le mixage de Beginners, explique Hutson, c’est la première chanson que j’ai écrite pour le nouvel album. » La chanson évoque les mensonges ridicules qu’on raconte à l’adolescence. Hutson s’est également appuyé sur le souvenir de certains amis plus âgés que lui au lycée. « Je voulais décrire ce moment de l’enfance à Los Angeles, dit-il, quand on a un ami plus âgé super cool qui roule à 200 et nous fait sauter sur le toit de la caisse Ces gens qui font des trucs comme ça et racontent des histoires de ce genre. » Hutson a un don pour décrire sans les juger ces personnages et le monde où ils vivent. Il est moins intéressé par le « pourquoi » que par le simple mystère qu’il y a à décrire ces souvenirs d’un lieu.

 

De même, « Age Difference » permet à Hutson de façonner des portraits dans la tradition des chansons de Randy Newman et Harry Nilsson. « Age Difference » suit un personnage qui se découvre « du côté obscur de la trentaine » (“the dark side of my thirties”). « Il y a un genre d’homme mûr que j’ai souvent rencontré à Los Angeles. Le rockeur sur le retour qui n’a eu que des relations courtes, le personnage à la McConaughey qui sort avec une fille beaucoup plus jeune, et qui a juste arrêté d’avancer. » Pourtant, Hutson refuse de porter un jugement dans un monde où on est constamment jugé. Il souhaite décrire le monde tel qu’il est, et non tel que nous voudrions qu’il soit.

 

Si tout disque d’envergure est un monde à lui tout seul, alors le monde de Quitters est celui de Christian Lee Hutson. C’est une Californie faite de la ouate duveteuse d’un rêve, et des moments émergeant à demi d’une vie depuis longtemps disparue. Des chansons qui disent : « C’était il y a si longtemps, mais je me souviens encore de toi. » Un monde où le passé n’est jamais passé, et où les personnes que nous étions survivent à l’intérieur de celles que nous sommes désormais. C’est un disque suffisamment courageux pour affirmer : « Au bon vieux temps, quand les temps étaient durs. » Mais au-delà des chansons, il y a cette voix. La voix de quelqu’un qui était vivant en 2021 et qui a enregistré une série de chansons avec ses amis pour que nous les entendions. Et un jour, ces personnes qui ont partagé ces sons regarderont en arrière et diront : « Nous étions tous réunis pendant quelque temps ? Et nous étions jeunes autrefois, n’est-ce pas ? » Car il y a un lot de consolation. « Un souffle sur la fenêtre / Un message que personne ne peut voir. » (“A breath on the window/A message that no one can see.”) Alors que le monde entier semblait toucher à sa fin, nous nous écoutions les uns les autres. Nous avons essayé d’entendre. Et nous nous sommes joints à ce rire triste. Ensemble.

 

Scott McClanahan