Chapelier Fou

Méridiens

Sortie le 28 février 2020

Ici d'ailleurs

Cartographie générale…

 

La musique comme un jeu de piste, c’est par ces quelques mots que nous nous plaisions à présenter l’œuvre de Chapelier Fou. Mais, par delà la formule, et aussi pertinente fut-elle jusqu’à aujourd’hui, jamais nous n’aurions pensés qu’elle fasse corps à ce point avec l’un de ses albums. Deux de ses albums pour être parfaitement clair. Méridiens et Parallèles. Deux fois douze titres, les uns répondant aux autres sous forme d’anagrammes. Comme les deux faces d’une planète, similaires mais si différentes à la fois. Il nous faudra les découvrir l’un après l’autre, le temps nécessaire de parcourir les territoires sonores issus de son imagination.

Au point de départ, une nuit austère, à Uqbar…

 

Chapelier Fou qui convoque Borgès dès l’ouverture, ce n’est évidemment pas un hasard. Il nous confie de suite l’objectif de son diptyque, à savoir amalgamer le réel à la fiction pour questionner nos certitudes et notre rapport à l’imaginaire. Il reste sur son approche traditionnelle classique-contemporain électronique, qui, s’il est maintenant connu d’un large public, présente l’avantage d’ouvrir le champs des possibles à l’infini.

 

Au détour d’un état nain, un astéroïde comme refuge…

 

Tout au long de Méridiens, chaque composition peut être perçue comme un univers en soi, ou un paysage propre avec sa propre temporalité. Pour preuve cette introduction au format musique de chambre, composée et interprétée uniquement pour cordes, qui n’a de date que celle qu’on veut bien lui donner. Un état nain où les violons sont joués comme des guitares. On y retrouve là l’esprit du Penguin Cafe Orchestra, la volonté de dérider les instruments classiques, de ne pas tout prendre au sérieux. Ici on se trouve à la limite d’un hymne grunge unplugged espiègle et enfantin qui pourrait être issu de la série Les Shadoks. Ce regard malicieux trouve tout son effet dans Am Scharchtensee. On y retrouve en introduction tout l’univers classique de Chapelier Fou, toute sa maîtrise de l’orchestration, où l’électronique « modulaire » est un soutien fin et discret. Puis, on bascule sans crier gare dans un dialogue surréaliste entre ces sonorités classiques et celles issues de synthétiseurs modulaires, qui ont la saveur des précurseurs allemands Kluster/Harmonia pour ne citer qu’eux.

 

Intemporalité et lieux imaginaires, La vie de cocagne confirme ce choix de totale liberté. Une musique traditionnelle aux sonorités anciennes, sorte de bourrée oubliée, où des sonorités électroniques viendront perturber l’ordre établi pour aboutir dans une autre dimension musicale. Le méridien du Péricarde suivit du Désert de Sonora enfonceront encore plus cette notion de trompe l’oreille, de jeux de miroirs.

 

Ce dernier qui finit presque comme une mélodie entêtante des années 80, on ne sait plus où donner du sens, on se laisse porter par cette profusion de folie et l’on est au final un peu ébahis par cette maîtrise du son, de la composition et de l’espace. On est parfois dans le domaine de la prestidigitation. Il y a beaucoup de sérieux chez Chapelier Fou à ne pas l’être. Le final Everest trail en est la parfaite conclusion, un titre pince-sans-rire, où sous le prime aspect d’une mélodie totalement classique dans sa rectitude, un permanent échange de gazouillis électroniques vient se moquer d’une telle posture musicale. Une impertinence qui nous rappellera aussi dans un autre temps Pierre Schaeffer, qui dans le très sérieux département expérimental de l’ORTF qu’il dirigeait, permettra l’élaboration de la série de Jacques Rouxel Les Shadoks et introduira ainsi au grand public la notion de musique concrète. C’est peut-être aussi pour cela que le nom de scène de Louis Warynski est en français, le choix d’un héritage musical à la française. Ainsi les premiers singles retenus de cet album, Constantinople aux allures groovy et jazzy et Le Triangle des Bermudes, ne sont pas sans évoquer des compositeurs comme Michel Magne ou Michel Colombier, tous deux sans limite dans leur ouverture d’esprit, donnant à l’ensemble de la musique la même importance, celle du son.

 

Dans absolument tous les morceaux qui composent Méridiens, vous trouverez an moins un détail, un pattern, une mélodie, parfois un simple son, qui vous pousseront à y revenir pour l’explorer un peu plus. Et croyez bien que les mots sont soigneusement pesés. C’est bien simple, nous sommes sans aucun doute possible face à son album le plus entêtant. Chapelier Fou est passé totalement maitre de son univers. Il trace lui-même les lignes de départ et d’arrivée, et personne n’est en mesure de le talonner sur un terrain qui n’appartient désormais qu’à lui. Et à lui seul.

 

Imaginaires composés, territoires illustrés…

 

La musique, tout autant que les arts plus visuels, est signifiante. Il était ainsi nécessaire que l’artwork de Méridiens soit une projection non pas de l’album en tant que tel, mais bien de chacun des douze titres considérés individuellement. Chapelier Fou a donc fait appel à son ami de longue date, l’artiste contemporain Corentin Grossman, pour créer douze fenêtres comme autant d’aperçus des mondes composés pour le disque. Fenêtre, ou miroir, d’ailleurs ? On n’est jamais sûr de rien…

L’espace…mais le temps dans tout ça…

 

Les années passent, il nous arrive parfois de l’oublier. Mais un simple coup d’œil par dessus l’épaule suffit souvent à effleurer le temps qui s’est écoulé : plus de 10 ans depuis son premier disque officiel, et pas loin de 20 ans à composer, enregistrer, partager par tous les moyens. C’est long 20 ans. Ça donne un coup de vieux à certains, tandis que d’autres tombent dans une nostalgie rassurante mais statique. Chapelier Fou, lui, sort son projet le plus ambitieux et tente de surplomber une discographie pourtant irréprochable.

Le voyage pourtant terminé, la perception,à l’horizon, d’univers Parallèles

 

Comme autant d’échos aux compositions de Méridiens, Chapelier Fou annonce 12 titres supplémentaires, avec la sortie prochaine au printemps de l’album Parallèles. Ni jumelles, ni opposées, ces nouvelles compositions, totalement originales, ambitionnent d’approfondir l’exploration d’un univers déjà foisonnant.