Arab Strap

As Days Get Dark

Sortie le 5 mars 2021

Rock Action Records

« Désespoir et obscurité. Mais d’une façon amusante. » C’est en ces termes qu’Aidan Moffat le leader d’Arab Strap, parle du 7ème album studio du groupe, qui est aussi leur premier depuis The Last Romance en 2005.

Originaire de Falkirk, en Ecosse, le duo fondateur, composé de Moffat et de Malcolm Middleton, s’était séparé en 2006 et retrouvé 10 ans plus tard pour une série de concerts. « Nous avons vraiment aimé faire ces concerts, se souvient Middleton. Il était donc logique d’essayer à nouveau d’écrire ensemble. »

Avant la rupture, le groupe avait connu plusieurs succès avec des albums comme Philophobia, The Red Thread et Monday At The Hug and Pint, ainsi que des EP et, tâche la plus complexe, un album live brillant avec le label Mad for Sadness.

Arab Strap était un projet intimiste au départ, avec des cassettes audio DIY partagées entre amis, mais le succès surprise de leur premier single, « The First Big Weekend », a rapidement fait de leur musique l’une des plus excitantes et des plus appréciées d’Ecosse, aux côtés de leurs copains de Mogwai. Le premier concert du groupe fut enregistré en direct pour John Peel, un de leurs premiers fidèles. Le groupe passa du label indépendant Chemikal Underground à la major Go ! Beat pour revenir chez Chemikal, tournant dans le monde entier et transformant les expériences de la vie en un concentré de musique unique dont les thèmes étaient la beauté, la tristesse, les stupéfiants, le sexe, l’amour et la mort.

Malgré le statut culte du groupe dans les années 90, Moffat est clair : l’objectif n’est pas de revenir à cette époque, mais bien de créer un nouvel album, avec de nouveaux outils, de nouveaux sons et une dynamique d’exploration. « Cet album a son identité bien à lui, dit-il. On est bien chez Arab Strap, mais un Arab Strap plus vieux et plus sage, et très probablement meilleur. »

En 11 morceaux, le groupe puise à l’essence de ce qui le définit musicalement tout en les menant ici vers de nouveaux territoires. Paysages sonores post-rock, électro feutrée, batterie, cordes et cette incomparable voix mi-chantée mi-parlée de Moffat sont tous réunis, ainsi qu’une variété de nouveautés : éclats de saxophone onirique, groove disco, production immersive qui vous plonge au plus profond des histoires. « Nous avions suffisamment de distance avec nos travaux antérieurs pour les réévaluer et discerner ce qui était bon et mauvais alors, dit Middleton. Peu de groupes peuvent faire ça, donc ça a du bon de se séparer. »

Moffat dit en plaisantant : « Nous faisons ce que nous faisons toujours : Malcolm me donne des partitions de guitare puis je glande avec et je mets des boîtes à rythmes et des mots dessus. »

Le groupe a renoué avec le producteur Paul Savage, juste eux trois en studio, comme la toute première fois. « Paul apporte réconfort et confiance, dit Middleton, et une sensation de cohérence. » L’approche délicate de Savage, combinée au savoir-faire du groupe, a engendré une production solide qui fait ressortir le meilleur du duo. « Faire de bons disques ne m’a jamais intéressé, dit Moffat. Mais les nouveaux trucs semblent bien meilleurs parce qu’on sait vraiment ce qu’on fait. Je pense que pendant longtemps on ne savait pas comment exprimer ce qu’on voulait en studio. »

L’un des bénéfices pour le groupe à se séparer, à revenir et à se produire en live, puis à sortir l’album quand ils l’ont senti et comme ils l’ont voulu, a été d’avoir beaucoup de temps. « Au départ, après nos concerts de 2016, l’idée était juste de déconner et de voir si des chansons viendraient », explique Middleton. On a donc eu trois ans pour se préparer avant même de mettre les pieds dans un studio. » L’album qui en résulte parvient à capter le lien retrouvé du duo en live. Cette force profondément enracinée y est ressuscitée, couplée à un usage particulier du temps, de l’espace et de la pensée, afin de permettre à l’album de s’accomplir. Ce disque est à la fois évolution et révolution : un prolongement de ce qui précède mais aussi un bond audacieux dans l’avenir.

L’album s’ouvre sur « The Turning Of Our Bones », métaphore comique et sombre de la propre renaissance du groupe, dont Moffat dit qu’elle parle de « résurrection et de cul ». Largement diffusée sur les ondes, cette chanson s’inscrit immédiatement au Panthéon des travaux du groupe, avec son rythme hypnotique, son groove contagieux, ses spirales de guitare et un Moffat tantôt conteur tantôt crooner. La chanson donne le ton d’un album qui plonge souvent en territoire sombre, et même si cela ne se manifeste pas forcément de façon morbide mais simplement dans un esprit d’exploration nocturne. « Le thème général de l’album est ce vers quoi les gens se tournent lorsqu’ils sont en période de manque », explique Moffat. Et comment ils peuvent se cacher durant la nuit. »

Ce thème surgit de diverses manières et à divers endroits. « Another Clockwork Day » est une belle chanson, étrangement poignante, sur un homme qui se masturbe la nuit pendant que sa partenaire dort. Même si bien sûr, comme souvent avec Moffat, ce n’est pas juste ça : la chanson, soutenue par la guitare acoustique rare et délicatement égrenée de Middleton, utilise ce geste comme un moyen d’explorer la nostalgie, le temps perdu, l’amour, un monde en constante évolution et les créatures crépusculaires de l’habitude.

« Kebabylon » fait fusionner des rythmes sifflants et des mélodies de guitare en boucle pour raconter une odyssée nocturne inspirée par une histoire lue par Moffat sur les balayeurs de nuit à Londres. Ailleurs, « Fable of the Urban Fox » passe d’un shuffle folk à une surcharge de cordes explosive pour narrer de façon allégorique le traitement raciste imposé aux migrants. « Sleeper » et « Just Enough » abordent les thèmes de la dépendance et de l’automutilation.

Cependant, malgré l’apparente morosité de certains sujets, l’album sait marier les bas instincts de nos vies et un désespoir persistant, avec une allégresse discrète et un goût pour l’expérimentation sonore dont l’aboutissement est aussi introspectif qu’inspirant. Comme Middleton l’a dit au Guardian lorsqu’ils ont annoncé le retour du groupe, « Il est inutile de nous remettre ensemble si c’est pour être médiocres. »