Angélica Garcia

Gemelo

Sortie le 07 juin 2024

Partisan

En 2020, la chanteuse, compositrice et autrice pop Angélica Garcia était assise devant un autel qu’elle avait construit dans sa chambre, dans le cadre de son vibrant troisième album, Gemelo. L’autel constituait le point culminant de la nouvelle recherche d’Angélica Garcia sur la vénération des ancêtres : regarder dans le passé pour façonner le présent avec des connaissances familiales, en aidant à distinguer son intuition de son conditionnement. Femme de 29 ans élevée par un père pasteur dans une structure familiale latino traditionnelle, elle a consacré ces dernières années à un processus de déconstruction monumentale de la religion, de l’esprit, de l’héritage et de la féminité, en se confrontant au deuil et à la guérison.

 

En communiant avec ces objets, une chanson inspirée de la cumbia, « Juanita » – qui parle d’une femme « sans limites », « pleine de magie et d’émerveillement » – a vu le jour. C’est ainsi que Garcia l’a ressenti : la chanson est arrivée instantanément, entièrement formée, comme un « téléchargement » des profondeurs de sa psyché et de son âme, ou peut-être une apparition. « C’était comme un cadeau », dit-elle. J’étais là pour l’attraper. » Peu après, la mère de Garcia l’a informée qu’elle avait une arrière-arrière-grand-mère versée dans la mystique, qui s’appelait également Juanita. La magie de la chanson s’est alors confirmée. « Juanita voulait une chanson ! » Garcia en rit maintenant. « Elle m’a dit : “Oh, tu écris des bops ? Il te faut un bop de Juanita tout de suite !” »

 

Sur Gemelo, Garcia laisse la place à ce mélange composé de recherche sérieuse et d’esprit joyeux. Les explorations électro-pop d’avant-garde y reflètent la profondeur de ses fouilles spirituelles. “Your voice, the sound of stars/ Not even the gods can draw you” (« Ta voix, le son des étoiles / Même les dieux ne peuvent t’attirer »), chante Garcia sur « Juanita », une expression de la beauté au sein d’une chanson qui sonde également le chaos inhérent aux traumatismes générationnels, et les possibilités qu’il y a de les briser. Ou comme le dit Garcia : « Je voulais que “Juanita” ressemble à l’histoire de ma vie, mais aussi à celle d’une vie antérieure. Je voulais que la chanson soit sans fin. »

 

Lors de la sortie de son précédent album, Cha Cha Palace, en 2020, la semaine exacte où la pandémie s’est arrêtée, Garcia est rentrée dans sa Californie natale pour un spectacle et y est restée vivre avec sa famille pendant deux ans. Elle a coupé les ponts avec la vie qu’elle menait en Virginie depuis 2011 – mettant fin à des fiançailles et à une relation instable – et est profondément revenue à elle-même. « C’est comme si on m’avait jetée dans de l’eau glacée, confie-t-elle. J’ai rompu avec un environnement hostile et réactionnaire et j’ai pu enfin affronter mes ombres. »

 

Le titre, Gemelo, fait référence à la gémellité : l’idée d’un second moi, plus intuitif, à l’intérieur de soi. « C’est la première fois que je me suis regardée en face et que je me suis demandé ce qu’on m’avait appris à croire. Qu’est-ce qui est ancestral ? Qu’est-ce que je veux garder, qu’est-ce que je veux laisser tomber ? En quoi puis-je dire de tout mon cœur que je crois ? J’ai commencé à penser à la vie en dehors de notre corps de chair. Mon cerveau physique fonctionne, le sang coule dans mes veines, mais il y a ce moi intuitif qui se sent comme un jumeau, – ce sentiment que j’ai dans la poitrine quand quelque chose ne semble pas juste, ou quand je sais que quelqu’un va être important pour moi. »

 

Son d’un parcours personnel, Gemelo est le premier album de Garcia chanté presque entièrement en espagnol, sa première langue, celle dans laquelle elle a appris à chanter les rancheras avec sa famille lorsqu’elle était enfant. Bien qu’elle considère Cha Cha Palace comme « une lettre d’amour à ma communauté et à ma famille », elle s’est rapidement aperçue que sa grand-mère (une figure maternelle pour elle) ne pouvait pas la comprendre. « Je me suis sentie appelée, dit-elle à propos de l’adoption de l’espagnol. Cela a fait ressortir toutes sortes de couleurs que je n’avais jamais vues de cette manière. » Gemelo, l’œuvre la plus aboutie de Garcia, progresse depuis son entrée délicate et tendre en face A, qui sert presque de méditation, jusqu’à l’intensité viscérale de la face B, qui plonge dans le travail difficile, parfois terrifiant, de la guérison. « C’est comme si on était jeté dans l’arène et qu’on devait y aller, dit Garcia à propos de la seconde moitié de Gemelo, qui commence par le brûlant et renversant « Y Grito » et le sismique « El Que ». « C’est effrayant, ne pas savoir où on va, mais il faut garder les pieds sur terre. »

 

Garcia décrit le dense et vaste deuxième morceau de Gemelo, « Color de Dolor », comme un testament de « ma philosophie de vie », un hymne à l’analyse de la douleur et de la beauté, de la rage et de la paix, de la tristesse et de la joie, qui forment les couleurs avec lesquelles on restitue et on traite l’existence. « Parfois, on a besoin de contraste quand on peint, explique-t-elle. Dans une certaine mesure, on a le choix de la manière dont on encadre les choses. La douleur peut être une autre couleur, et plus j’ai de couleurs (qu’il s’agisse de douleur, de plaisir ou de bonheur), plus ça signifie que j’ai vécu. » Prolongeant cette idée, le jubilatoire morceau final, « Paloma », est « une louange pour avoir vécu et vu tout le spectre » des sentiments, et « avoir vu la divinité se refléter à travers les gens qu’on aime. »

 

Garcia a commencé à esquisser des idées pour Gemelo dans sa chambre en 2019, et à travailler sérieusement sur des démos à l’automne 2020. C’est à cette époque qu’elle a noué une connexion de bon augure sur Instagram avec le multi-instrumentiste Carlos Arévalo, membre du groupe de rock de Los Angeles Chicano Batman. « Carlos est tombé du ciel et est devenu comme un mentor pour moi, raconte Garcia, qui était fan de Chicano Batman dans son enfance. En pleine pandémie, alors qu’au fur et à mesure de leurs visioconférences ils parlaient d’Ableton, de micros vocaux, d’influences et de producteurs possibles, et qu’ils expérimentaient l’envoi de pistes dans les deux sens, Garcia a demandé à Arévalo de devenir le producteur de Gemelo, une première pour lui dans un tel rôle, et il a apporté son aisance avec les synthétiseurs et une perspective résolument neuve.

 

Autre rebondissement cosmique, alors que Garcia avait quitté la Virginie pour la Californie en 2020, Arévalo a fait le chemin inverse et s’est installé à Fairfax, en Virginie. Garcia est retournée en Virginie, un endroit chargé de sa propre histoire, pour travailler sur l’album pendant un mois et demi dans le studio d’Arévalo. Avec peu d’apports extérieurs, Garcia et Arévalo ont façonné un univers autonome avec ses démos à elle, en s’inspirant de Portishead et Radiohead, de Timbaland et de la Madonna des débuts, et en incorporant une production vocale pop au premier plan, avec des textures et des rythmes de club.

 

Vivant désormais à New York, Garcia est née à El Monte, en Californie, dans une famille aux racines musicales profondes. Son arrière-grand-père était leader d’un groupe de mariachis et trompettiste au Mexique, sa mère a été brièvement chanteuse pop et son beau-père manager avant de devenir pasteur. Elevée principalement par ses grands-parents, Garcia a fréquenté la L.A. County High School for the Arts comme vocaliste, étudiant le classique et le jazz. Quand d’autres étudiants lui ont demandé de chanter dans leur groupe, qui allait partager des concerts avec leur camarade de classe Phoebe Bridgers, Garcia a dû se débrouiller pour sortir de chez elle clandestinement pour pouvoir chanter.

 

En pleine exploration, Garcia parvient à la vision la plus claire et la plus complète d’elle-même avec Gemelo. « J’ai l’impression de m’être connectée à quelque chose que je ne savais pas que j’avais perdu et que, peut-être même de façon ancestrale, ma famille ne savait pas qu’elle avait perdu, dit l’artiste. Il est impossible de se sentir en paix quand on ne comprend pas ce qu’on a perdu, qu’il s’agisse de batailles qui se sont déroulées avant moi et dont j’ai hérité, ou de problèmes dans ma vie actuelle. Mais Gemelo m’a donné l’impression de dissiper un brouillard. Comme si l’âme revenait au corps. »