Andy Shauf

Wilds

Sortie le 24 septembre 2021

ANTI- Records

Dans ses chansons, le musicien canadien Andy Shauf explore des vérités universelles au travers de vignettes picaresques, depuis l’observation haute en couleur de ses contemporains en 2016 dans The Party, jusqu’à la relation ratée racontée une nuit dans un bar sur The Neon Skyline l’année dernière. Shauf n’a jamais vraiment été considéré comme un songwriter de l’intime, même si sous les récits soigneusement élaborés et les intrigues conceptuelles, il a toujours écrit sur lui-même.

 

Wilds pourrait changer les choses. Il s’agit d’un ensemble de neuf chansons, sur la cinquantaine de titres enregistrés par le prolifique artiste au cours de l’écriture de The Neon Skyline, qui se présentent sous une forme brute. L’aspect caractéristique de ces chansons est révélateur de l’état d’esprit d’Andy Shauf au moment de l’écriture de Skyline (« un aperçu du chaos que c’était »), ainsi que du processus créatif à l’œuvre sur l’un de ses albums studio. Un instantané de la manière dont le multi-instrumentiste aborde ses chansons, avant le faste des arrangements définitifs.

 

Bien qu’il ne soit pas nécessaire d’être familier de The Neon Skyline pour apprécier Wilds, cette nouvelle collection peut à coup sûr être considérée comme une œuvre complémentaire au disque précédent, un retour auprès de ses amants tragiques à plusieurs moments de leur relation. Les chansons revêtent ici leur forme la plus embryonnaire : Shauf joue de tous les instruments, trouve les arrangements à la volée et enregistre le tout lui-même sur « un petit magnétophone » dans son studio de Toronto.

 

Quand on connaît l’artiste pour ses arrangements musicaux élaborés, parfois même symphoniques, Wilds peut prendre l’allure d’un virage indé roots, plein de sifflements lo-fi, de chants à la limite de la saturation, de batterie délicate et d’une sensation d’imperfection. Les chansons se présentent sous leur forme la plus pure, non polies par la réflexion ou le montage, dans toutes leurs fragilités. Sur la plupart des morceaux, on entend un Shauf qui enregistre ses idées au fur et à mesure qu’elles se produisent, jouant les morceaux pour la première fois. « Si j’avais une idée et que j’arrivais à un morceau dans l’heure, c’était bon, dit Shauf. Ce sont des idées et des croquis rapides. Les arrangements sont vraiment concis, sans beaucoup d’ornements. Juste ce qui est utile. »

 

Les neuf chansons de Wilds ont été écrites et enregistrées ensemble, pendant une période où Shauf était désabusé à l’idée de concentrer le récit de Skyline sur une nuit dans un bar. Pour se débarrasser du blocage de l’écriture, il a tenté autre chose, en écrivant des chansons sur une femme nommée Judy. Shauf a finalement décidé de revenir à son plan initial, mais l’exercice créatif a été fondamental pour ce que Skyline est finalement devenu. « J’ai ressenti une forme de liberté par rapport aux contraintes narratives de The Skyline. Et les autres chansons de cet album ont toutes été écrites d’une traite, pour explorer cette nouvelle idée de quelqu’un qui s’appelle Judy, et la relation passée, dit-il. Et puis j’ai inclus ça dans le récit de The Skyline. »

 

Les chemins convergent sur « Spanish on the Beach », une chanson qui aurait pu être intégrée à Skyline. Sur des cordes de guitare douces et jazzy, agrémentées de bois des plus clairsemés, Shauf raconte avec empathie et humour le séjour du couple dans un centre de vacances, en utilisant l’idée de la barrière de la langue comme métaphore des premiers stades de la rupture de la communication. A la fin, le narrateur imagine un scénario dans lequel il demande Judy en mariage avant de se mettre à chanter, comme dans une comédie musicale, avec l’orchestre du centre de vacances. « C’est le même thème que celui de l’histoire qui s’est déroulée au Skyline, mais la vie du narrateur est un peu plus arrosée, explique Shauf à propos de la chanson. Et ces vacances sont un peu comme le premier arrêt sur le chemin de la destruction. »

 

Si The Neon Skyline se déroule après la destruction, Wilds se situe quelque part à la croisée des chemins, dans un royaume nébuleux où les choses peuvent aller dans un sens ou dans l’autre – et cela vaut autant pour Shauf, à titre personnel, que pour ses personnages. Bien que Skyline ne soit pas exactement une lettre d’amour à l’alcool, l’album parle d’un bar et met en scène un protagoniste qui y passe probablement un peu trop de temps. L’élaboration de Wilds a coïncidé avec certaines prises de conscience de Shauf sur sa propre relation à l’alcool. « Quand on regarde quelque chose qu’on a écrit, ça devient tellement plus clair avec un peu de distance, admet l’artiste. C’était assez troublant de constater à quel point c’était clair – que la façon dont je vivais n’était pas idéale. »

 

Si Wilds a été une épiphanie pour Shauf, l’album l’est aussi pour les auditeurs. Ecouter ses chansons, réduites à leur plus simple expression, révèle non seulement à quel point Shauf est un bon songwriter, mais aussi à quel point ses chansons deviennent personnelles lorsqu’elles se libèrent de la mise en scène d’un scénario concept. « Jaywalker » par exemple est une lente ballade qui, en théorie, raconte l’histoire d’une personne qui ne regarde pas où elle va en traversant la rue et qui, à la fin de la chanson, se réveille seule dans un hôpital après avoir rêvé de Judy au volant d’une voiture, sans souvenir de ce qui s’est passé. Mais si l’on creuse un peu plus, on s’aperçoit que Shauf explore un thème existentiel beaucoup plus affirmé : l’expérience d’une âme perdue qui erre dans la vie (« Hanging around town never looked good on you » – « Traîner en ville ne t’a jamais réussi »), la dépression, si courante qu’elle est invisible pour l’entourage (« All of your friends started wondering why / You were choking back tears at an easy goodbye » – « Tous tes amis ont commencé à se demander pourquoi / Tu étouffais tes larmes en un au revoir facile ») et les façons, bonnes et mauvaises, dont la vie peut nous prendre à revers quand on s’y attend le moins. « C’était un peu comme si je pensais à moi-même et que j’avais l’impression de marcher à l’aveuglette, dit Shauf. Ce type qui traverse la rue en regardant ses pieds et se fait renverser par une voiture. C’est un peu comme ça que je vivais. »

 

Wilds n’est en fin de compte pas seulement un nouveau tour de tabouret au bar du Skyline – cette fois-ci un peu plus sage, avec un peu plus de clarté, peut-être avec une aspirine plutôt qu’une bière – mais un chapitre à part entière dans la biographie d’artiste de Shauf. La nature organique des chansons et l’imperfection des enregistrements rendent les histoires qu’elles racontent plus vraies que nature, comme si elles étaient vécues sur le moment plutôt que revécues à travers des mots soigneusement ordonnés sur une page ou à travers la brume dorée et peu fiable de la mémoire (ou de l’alcool). « Je pense que c’est vraiment super qu’elles soient rapides et qu’elles ne soient pas parfaites. Je pense que ça va très bien à ces chansons. » Rapides et imparfaites, comme la vie.