Boko Yout

GUSTO

Sortie le 05 septembre 2025

Hoopdiggas Recordings

Boko Yout est l’outsider qui parvient à se frayer un chemin dans le mainstream. Cet artiste suédois, né Paul Adamah, bouscule les codes à chaque apparition. Nommé pour le prix du meilleur nouvel artiste aux Grammis suédois, pour le titre d’artiste de l’avenir aux P3 Guld Awards, ainsi que pour un Music Moves Europe Award, il se distingue par un parcours d’autant plus remarquable que son univers musical, anarchique et indomptable, échappe aux normes : un tourbillon sonore qui mêle l’expérimentation excentrique d’Odd Future, la singularité alt-rock d’Yves Tumor et le groove punk-funk de LCD Soundsystem. Pourtant, derrière cette énergie brute, provocante et tumultueuse, se dessine un message profondément positif : célébration de l’inclusivité, recherche de l’épanouissement personnel, et quête sincère de la meilleure version de soi-même.

 

Cette tension entre chaos et clarté éclate avec encore plus d’intensité dans le premier album du jeune homme de 27 ans, GUSTO. Chaque morceau s’imagine comme une séance de thérapie menée par l’étrange Dr Gusto, thérapeute fictif incarnant une facette plus audacieuse de Boko Yout lui-même. Ce dispositif narratif permet à l’artiste de se confronter à ses propres démons, à tout ce qu’il fuit en lui et à ce qui l’empêche d’avancer. Une véritable joute intérieure s’engage alors entre deux pôles de sa personnalité : celui qui veut dissimuler ses failles au monde, et celui qui cherche à les exposer et les affronter.

 

Ce long processus d’auto-analyse devient, selon ses propres mots, « un manifeste sonore pour vivre avec amour et intention». Le Dr Gusto, à la fois guide et double symbolique, représente cette voix intérieure qui l’encourage à se rapprocher de son individualité profonde. « Le Dr Gusto est une manifestation de mon âme, confie-t-il. C’est la voix que j’entends et qui me pousse à devenir moi-même. Il m’aide à m’asseoir face à moi-même et à faire face à tout ce que j’essaie d’éviter. »

 

Plonger aussi profondément dans ses souvenirs, ses blessures et ses vices révèle naturellement la complexité du personnage. Élevé à Örebro par un père togolais et une mère mozambicaine, Boko Yout a grandi en se sentant en décalage. Être noir dans une ville à majorité blanche lui a rapidement donné une position d’observateur, d’outsider. Mais c’est surtout son rapport à l’Église évangélique libre de Suède qui l’a profondément marqué. Située en périphérie de la ville, l’église pouvait sembler discrète, mais son influence hétéronormative était omniprésente, et loin d’être bienveillante envers ceux dont la sexualité dépassait ses cadres stricts. « J’étais très renfermé, avoue-t-il aujourd’hui. J’avais très peur de ma sexualité et de mon identité. » Un sentiment d’exclusion qui n’a fait que s’accentuer avec le temps.

 

Mais réduire son enfance à une succession d’épreuves serait passer à côté de sa richesse. Ses yeux brillent quand il évoque les jam sessions organisées par son père pour la diaspora africaine locale : les sons des djembés, le cliquetis des shakers, l’énergie chaleureuse du highlife. Très vite, sa créativité s’est exprimée. Initié par son frère à la production musicale, Boko Yout commence à créer des beats, à enregistrer ses poèmes sous forme de raps, posés sur des instrumentales hip-hop lo-fi, les fondations du son qu’il développe aujourd’hui. Sa créativité ne se limite d’ailleurs pas à la musique : elle s’étend aussi aux anime, aux mangas, à la claymation et à l’animation en Lego.

 

Installé à Stockholm, il poursuit un cursus d’arts libres au Royal Institute of Art. « La structure scolaire ne correspond pas vraiment à ma façon d’envisager la vie », sourit-il, avant d’ajouter : « mais j’essaie de la modeler à ma manière. » Il y parvient d’ailleurs plutôt bien, puisqu’il a su concilier ses études avec le lancement de sa carrière musicale. Il débute avec le post-punk psychédélique de ‘NEWS’, enchaîne avec la bedroom pop drum’n’bass de ‘ANXIETY’, prélude à son premier EP AS SEEN ON TV, puis explore le trip-hop des années 90 avec l’EP Griot, en collaboration avec le producteur Boerd.

 

Mais GUSTO marque une étape supplémentaire. L’album s’apparente à une plongée dans sa psyché, comme s’il ouvrait sa conscience pour en éditer les synapses défectueuses. Le premier single, ‘IGNORED’, illustre bien cette approche introspective. Né de ses expériences à l’école d’art, il s’inspire de deux statues postées à l’entrée : un lion et un sanglier. Le lion représente, selon lui, l’état d’esprit des étudiants à leur arrivée : passionnés, curieux, brûlant de désir artistique. Le sanglier, lui, symbolise la désillusion : la version pessimiste de soi qui émerge à la fin. Une métaphore puissante du conflit entre intégrité artistique et réalité commerciale.

 

La frénésie de ‘9-2-5’ prolonge cette tension, en abordant une question concrète : que se passerait-il si Boko Yout était expulsé du Royal Institute ? « Je devrais trouver un travail, car je ne pourrais plus rembourser mon prêt étudiant ni payer mon loyer. J’ai fait plein de petits boulots, du freelance, j’ai bossé chez IKEA… mais je ne peux pas entrer dans cette course folle. C’est un privilège de pouvoir faire autre chose. » Et la fin de la chanson ? « Elle se termine forcément sur le fait que je ne trouve pas de travail », lance-t-il en riant. « Je ne suis pas vraiment embauchable. »

 

D’autres titres abordent des aspects plus intimes de son expérience. ‘BOYFRIEND’ traite de son rapport à sa sexualité, notamment de son désir d’exprimer sa féminité dans un corps perçu comme masculin. ‘DEMOLITION MAN’, lui, explore le besoin de se montrer vulnérable sous l’effet des drogues, en exprimant un monologue intérieur tout en flirtant avec une forme d’autodestruction contrôlée, juste assez pour ne pas réveiller ses démons.

 

Mais c’est le dernier single, ‘IMAGINE’, qui résume le mieux les grandes thématiques de l’album. Un voyage introspectif entre identité, perception et libération psychologique. « L’ego est une prison, dit-il. Ce morceau est une tentative de m’en affranchir, de voir la vie comme un spectre, et non comme des lignes figées. Les couplets incarnent l’imagination, cette envie de rêver. Le refrain, lui, représente la réalité, qui cherche à compartimenter, à restreindre. » Une catharsis musicale, vécue comme un exorcisme personnel : « C’est comme une longue purge. J’affronte toutes mes émotions, mes zones d’ombre, les mécanismes par lesquels je me freine, et je me demande comment trouver de la joie à travers tout ça. »

 

Et pour les autres ? Que souhaite-t-il transmettre ? « J’aimerais que les gens, à travers ma musique et tout ce qui l’entoure, abordent leur vie de la même manière. Qu’ils se voient comme une personne avec laquelle ils doivent composer et qu’ils doivent apprendre à aimer et à soigner. » Et d’ouvrir des pistes essentielles : « Comment créer une vie fidèle à nos rêves, nos passions, nos besoins les plus profonds ? Comment guérir ? Comment s’autoriser à être pleinement soi ? »

 

Plus on en découvre sur Boko Yout, plus le mystère s’épaissit. Comment ce jeune homme à l’attitude douce se transforme-t-il en cyclone d’énergie sur scène, comme lors de sa tournée avec les Viagra Boys ? Pourquoi son groupe est-il vêtu comme une troupe de scouts ? Et quel rôle joue la tradition vodoun ouest-africaine dans son esthétique visuelle ?

 

Cette part d’ombre et de mystique fait partie de sa magie. Chaque morceau recèle une aura surnaturelle, qui nous guide dans l’univers à la fois philosophique et surréaliste de Boko Yout. Pourtant, ce que l’on perçoit en trois minutes de musique n’est qu’un fragment, un éclat fugitif d’un artiste parmi les plus singuliers et créatifs de sa génération. Avec GUSTO, il ne signe pas seulement un album essentiel : il ouvre aussi un espace de réflexion sur la manière d’habiter le monde, et de s’y inventer librement.