Silver Gore

Dogs In Heaven EP

Sortie le 12 septembre 2025

Island Records

Avec Dogs In Heaven, premier EP du duo londonien Silver Gore, l’éclat naît de l’ombre. Le disque, sombre et d’une beauté lumineuse, puise dans des pensées noires et des expériences aux teintes sépia pour en extraire des élans d’euphorie et de triomphe. C’est l’une des sorties les plus singulières et émouvantes de l’année, qui marque de façon inoubliable l’entrée en scène d’Ethan P. Flynn — déjà reconnu en solo — et d’Ava Gore, nouvelle venue au talent magnétique.

 

La palette sonore de Dogs In Heaven est à la fois foisonnante et cathartique : breakbeats baggy, guitares shoegaze, synthés ondulants et murs de son surgissant à l’improviste. Une effervescence lumineuse forgée dans l’épreuve, en réponse directe à une période de crise personnelle traversée par Ava en 2022. « Je suis une grande fan de musique, mais à ce moment-là je ne pouvais même plus en écouter, j’étais dans une période très sombre », confie-t-elle.

 

Explorant les zones d’ombre de la société et de la psyché contemporaine, le disque aborde le nihilisme ambiant des années 2020, tout en ironisant sur les mythes de conquête et d’identité britannique. Derrière le vernis saturé de ces chansons se cache une densité émotionnelle parfois déroutante. Ava cite un fil conducteur en particulier : Smile though your heart is breaking (« souris même si ton cœur est brisé »), qui résume l’esprit de l’EP. « C’est ça l’ambiance : sourire à travers les larmes, faire bonne figure, même quand tout s’écroule », explique-t-elle.

 

La naissance de Silver Gore tient presque du hasard. En 2022, Ava accompagnait Ethan à la batterie dans son projet solo. Un soir, après une répétition, ils commencent à écrire ensemble : de cette session improvisée naît ‘All The Good Men’, morceau synth-pop entraînant. L’année suivante, ils enchaînent avec ‘25 Metres’, fresque grandiose et atmosphérique qui parachève Dogs In Heaven.

 

Leur méthode repose sur l’instinct et la spontanéité, cherchant à capturer une émotion brute. « Chaque chanson doit exprimer ce que nous ressentons à ce moment-là. Tout — paroles, batterie, textures — découle de cette émotion », explique Ava, précisant que leurs sessions s’étirent souvent jusqu’à l’aube. « Nous essayons de documenter l’instant présent et de finir sur place, pour ne pas avoir à recréer artificiellement une émotion plus tard. »

 

Si Ethan a multiplié les collaborations prestigieuses (Nia Archives, FKA Twigs…), Silver Gore représente pour lui un espace totalement libre. « Avec Ava, on fait ce qu’on veut. Ce n’est pas un projet qui doit coller à une esthétique déjà définie, on construit la vibe en avançant », dit-il. « Pour moi, il s’agit de dépasser le contexte culturel de la musique et de comprendre pourquoi certaines fréquences ou rythmes m’affectent — une approche presque mathématique plutôt que de reproduire ce qui a déjà été fait. »

 

Cette liberté stylistique se reflète parfaitement dans leur premier single, ‘Forever’, qui navigue entre folk acoustique intime, post-rock incisif et indie-pop effervescente. Sous sa chaleur mélodique affleure pourtant un texte sombre : « ‘Forever’ parle du sentiment d’être réduit au silence, des choses négatives qui se passent dans l’ombre et dont on ne peut pas parler », raconte Ava. Cette impression de rabaissement traverse l’EP : dès l’ouverture avec ‘A Scar’s Length’, elle aborde sa propre dépression, mais transforme la douleur en élan libérateur. « C’était une manière cathartique de m’en sortir », dit-elle.

 

Tout au long de Dogs In Heaven, Silver Gore cherche ce basculement, ce passage des ténèbres à la lumière. La ballade ‘Celestial Intervention’ en est l’exemple le plus manifeste : elle imagine un bouleversement cataclysmique capable de réveiller un monde engourdi par le nihilisme. Une vision paradoxalement plus optimiste que le « sourire même si ton cœur est brisé »: l’idée qu’un avenir meilleur est possible, et que, si le chaos doit régner, il peut au moins enfanter de la beauté.