Requin Chagrin

Sémaphore

Sortie le 25 janvier 2019

KMS Disques

En collant l’oreille au nom de Requin Chagrin, on entend à la fois la mer et l’amer, le bruit des vagues et le vague à l’âme.

 

Derrière le quasi oxymore de son nom, Requin Chagrin cache un animal à la dent dure à la sensibilité à fleur de peau, qui baigne dans les eaux profondes de la chanson tout en surfant sur les rouleaux de la pop et du rock. Pour son deuxième album, Requin Chagrin, alias Marion Brunetto, chanteuse, auteure, compositrice et musicienne, a trouvé mieux qu’un port : un sémaphore, comme le guide qui la sauverait au milieu de ses tempêtes d’émotions.

 

Premier album à sortir sur le label KMS Disques le label de Nicola Sirkis au sein de Sony Music dont Requin Chagrin est la première signature, Sémaphore s’inscrit quelque part dans la descendance du groupe Indochine mais surtout, en droite lignée de leurs parents communs, qu’ils soient dans la new-wave, le yé-yé, la noisy-pop anglaise ou une chanson estivale qui serait obscurcie par les nuages. « Sa voix, son univers, le son du groupe… j’ai tout adoré chez Requin Chagrin » explique Nicola. C’est après les dix-sept premières parties d’Indochine données entre février et mai 2018 que Marion composa intégralement et enregistra les 10 chansons de Sémaphore.

 

Quatre ans après un premier album sobrement titré Requin Chagrin, joué, produit par ses soins et paru en toute indépendance, Marion a bien grandi. Elle qui tient quasiment tous les instruments sur ses compositions s’est cette fois entourée d’Adrien Pallot, réalisateur parisien de la nouvelle génération pop (Grand Blanc, Moodoïd, Fauve…) pour l’épauler en studio. Ses titres y gagnent en amplitude et même en longueur. Fini les instantanés power-surf juvéniles, place à des chansons plus développées, plus complexes aussi. « J’ai cherché à explorer de nouvelles sonorités et suis tombée dans la magie des pédales d’effets, pour des guitares plus aquatiques qui m’ont permis d’étoffer mon son » raconte-t-elle. Tandis que sa guitare envahit l’espace et donne une couleur aérienne à son rock, sa musique range le surf au garage pour sonner en écho à la scène indie rock américaine. « J’aime autant les mélodies de sa guitare que celles de sa voix » décrit Nicola Sirkis pour illustrer cette dream-pop qui tend vers la chanson psyché quand personne n’arrive à arrêter les déferlantes de l’orgue obsédé de « Dans le cœur ». Sémaphore fait se croiser sur une même plage les groupes référents de Marion : Crystal Stilts, Exploded view, Girls names, Molly Nilsson, Tomorrow’s Tulips et Shimmering Stars.

 

Avant même de franchir le cap de la trentaine, Marion traite tout au long de Sémaphore d’un instant de bascule de son existence. Celui de l’envie de larguer les amarres, qu’elle évoque sur « Croisades », jusqu’au retour au point de départ et la fin de l’aventure dans « Le grand voyage ». « Le morceau « Sémaphore » m’est apparu le premier et c’est lui qui a défini le climat musical à atteindre. Il est vite devenu le fil conducteur de l’album » se souvient Marion. Dix ans après avoir quitté son Var natal pour Paris, Marion tourne une page de sa vie, comme si lui prenait l’envie de saluer une dernière fois cette Méditerranée qui a nourri son enfance. Fin de l’adolescence, de l’été et de son lot d’insouciance, chagrins d’amour, déceptions de l’existence… c’est aussi une nouvelle ère dans son inspiration. Ses mots se noient régulièrement dans une douce mélancolie sans jamais céder au désespoir de la marée noire. Des mots qu’elle laisse aussi à d’autres quand Benoît David lui offre le magnifique texte de « Nuit » qu’ont inspiré au compositeur de Grand Blanc les insomnies nées de ces étés sans nuits en Russie. Autre fruit de la collaboration avec Benoît, le texte de « Croisades » qu’ils ont coécrit à quatre mains. Même loin de sa Provence, la nature, l’eau, le sable, les îles ou les rivages restent omniprésents dans les textes de Marion, comme indissociables de Requin Chagrin.

 

C’est en 2015 que Requin Chagrin déboulait dans le paysage musical hexagonal, avec son premier album réalisé dans la foulée d’« Adelaïde », chanson publiée sur internet et immédiatement repérée par le collectif La Souterraine. Face au succès et à la demande de concerts, Marion s’entoure vite d’un groupe pour la scène, se chargeant elle-même du chant et de la guitare.

 

Cette guitare, c’est à l’âge de 13 ans qu’elle l’apprenait dans son village de Ramatuelle durant cinq années de cours avant de se mettre à d’autres instruments comme la batterie dont elle joue toujours au sein des Guillotines, groupe parisien de garage-rock.

 

Une éternité plus tard, déjà retraitée de son métier d’illustratrice, la voilà dans la peau de Requin Chagrin, à croiser dans les fonds marins à la rencontre d’une maturité toute nouvelle. Moins naïf et ensoleillé que son prédécesseur, Sémaphore propage la douce mélancolie d’une Marion en plein passage à l’âge adulte. « Après les mirages, je trouverai mon camp, entre deux vies deux âges, à contre-courant » chante-t-elle dans « Croisades ». Les premières réponses à ses questionnements, sa soif de liberté et d’émancipation, la petite fille du soleil les a trouvées en chansons. À la lumière d’un sémaphore.