Michael Rother

Solo II

Sortie le 4 septembre 2020

Grönland Records / Pias

Michael Rother a toujours pensé qu’il rêvait davantage que la plupart des gens.

« Souvent j’ai des visions merveilleuses d’eau, de bords de mer, de gens, de voyages. Dieter Moebius est apparu récemment dans l’un de mes rêves, il était vivant. Voilà ce que peut accomplir le cerveau la nuit, c’est une sorte de purification des angoisses et du stress, mais qui nous connecte aussi à des émotions positives. »

Ces voyages nocturnes se retrouvent dans les titres de son nouvel album, Dreaming, et de Traumreisen (1987), ou « voyage onirique », un cliché de la langue allemande que l’on retrouve dans les brochures des agences de voyage. Evidemment avec Rother tout a un double sens.

L’influence des rêves a toujours fait partie des sons que Rother crée, dans leurs mélodies plaintives, évocatrices. Le coffret Michael Rother Solo de 2019 révèle un Rother dévoilant son propre chemin musical après la dissolution de Neu!, mais avec cette deuxième sortie il aborde un processus de perfectionnement, avec sa touche unique bien délimitée. Dans les albums de Solo II, il explore ses propres limites, il sort des sentiers battus, il trouve des impasses, des ruelles sombres qui s’ouvrent sur de larges vues soniques ; elles méritent toutes le détour.

« Je cherchais de nouveaux sons. Après Neu!, Harmonia et le premier de mes propres albums avec des guitares partout, j’avais besoin d’explorer de nouveaux horizons. »

Sur les premiers albums de ce nouveau coffret Rother travaille méticuleusement, à l’aide du synthé Fairlight CMI et d’un sampler pour créer les paysages sonores détaillés, hyperréalistes de Lust (« Joie »,1983). Il s’éloigne un peu de la complexité électronique sur Süssherz und Tiefenschärfe (1985), avec « Süssherz » (« Amoureux »), peut-être la distillation la plus pure de son travail de guitare, un titre qu’il aime beaucoup.

Avec Traumreisen (1987) Rother est au sommet de son travail électronique, la guitare est presque absente, mais ses mélodies caractéristiques, baignées de folk, sont intactes. A ce jour, Traumreisen et Esperanza (1996) sont ses deux albums perdus, peu vendus en dehors de l’Allemagne. Même dans son pays natal les gens se sont désintéressés de sa musique au milieu des années 1980, Rother s’est retrouvé dans le creux de la vague, après le succès de Flammende Herzen.

« J’étais toujours en dehors du monde de la musique. Les principaux labels ne comprenaient pas pourquoi je ne faisais pas de concerts. Ils ne voyaient pas l’intérêt de promouvoir un artiste bossant uniquement en studio pour sortir un album, puis se remettant au travail pour le suivant. Les choses étaient un peu dures pour moi à la fin des années 1980. Après la sortie de Traumreisen, j’ai présenté un nouvel album partout, et comme je n’avais aucun retour positif j’ai créé mon propre label en 1993. C’était génial parce que je pouvais sortir ma musique, elle vivait à nouveau. »

Cet album rejeté a été découpé en bonus tracks sur des rééditions de ses premières œuvres, mais est présenté ici pour la première fois dans sa forme originale. Recréé, il est aussi puissant que ses autres LP, avec « The Doppelgänger », un hymne planant à la guitare, particulièrement apprécié par John Frusciante.

Remember (The Great Adventure), sorti en 2004, marque un changement pour Rother, on y trouve des beats plus dansants, et pour la première fois Sophie Joiner et Herbert Grönemeyer au chant. Cet album signe la fin de son travail enregistré, avec un Rother qui délaisse son studio pour se concentrer sur ses concerts éblouissants, d’abord avec Steve Shelley et Aaron Mullan pour un « Hallogallo » version 2010, puis avec Franz Bargmann et Hans Lampe, second batteur de Neu!.

« Faire un nouvel album isole, on travaille pendant des semaines, des mois, on devient fou. J’avais déjà donné. »

En dehors de son travail sur des bandes originales et quelques remixes, Rother n’a plus jamais enregistré jusqu’à ce début d’année 2020. Dans une Allemagne confinée à l’heure de la pandémie de coronavirus, son voisin à Forst s’est occupé à se construire une cabane. Rother, qui lui aussi bénéficiait de beaucoup de temps libre, bercé par le ronron de l’isolement, a décidé de construire un nouvel album. Un processus intense.

« Une routine quotidienne s’est mise en place. Si j’avais eu des concerts, ces interruptions m’auraient empêché de trop me concentrer sur cet album. Beaucoup d’énergie créative a besoin de s’exprimer, d’être transmise dans quelque chose, et c’était le bon moment. »

Il y avait des embryons de morceaux des sessions de Remember à développer, auxquels son ami Thomas Beckmann avait apporté des beats électroniques, il avait aussi participé au mixage – « Ces idées étaient une vraie mine d’or, environ 75 esquisses, je savais qu’il y avait des pépites là-dedans » –, mais Dreaming est très différent de son prédécesseur. Il n’y avait aucune guitare dans Remember, et ces nouveaux morceaux baignent dans les guitares : des lignes mélodiques qui reviennent à Flammende Herzen, des vibrations Ebow rappelant Katzenmusik, des parties rythmiques proches des expérimentations d’Harmonia, et même un clin d’œil à Brian Eno sur « Fierce Wind Blowing ».

« La priorité change au fil des années. Je savais que je voulais des guitares, je voulais cet élément imparfait, sa spontanéité et sa variation, mais il y a vingt ans, bizarrement, je ne voyais pas les choses ainsi, c’est pour ça que Remember ne contenait que de l’électronique. »

La plupart des guitares sur Dreaming ont été enregistrées en une prise, Rother composant ses lignes presque sans s’en rendre compte en enregistrant. Idem pour les chants de Joiner – flous, détendus et résolument humains –, en contraste total avec le sequencing parfait qui accompagne ses mots et le Stratocaster de Rother. « Sa voix m’impressionnait et m’impressionne toujours. »

Presque toute la musique de ce coffret, de Lust à Dreaming, a été enregistrée à Forst, à côté du Weser, dans le studio de Rother au sous-sol ou dans son appartement au-dessus. Tandis que ses premiers albums solo ont été produits par Conny Plank, avec Jaki Liebezeit (Can) aux percussions, tout ici, en dehors des voix de Joiner et Grönemeyer, a été conçu, joué et enregistré par Rother lui-même. C’est comme ça qu’il travaille, à son rythme, la tête dans ses rêves.

« Mes goûts sont limités. Le monde entier regorge de musique, et je me suis concentré sur 5 % de cet horizon. Mais j’en suis très heureux, car si l’on se rapproche, ces 5 % nous enveloppent, à 360 degrés. »